Feux tricolores
À quand remonte l’utilisation des premiers feux tricolores dans la signalisation urbaine? J’ai cherché à répondre à cette question il y a une trentaine d’années, alors que je travaillais sur la genèse du code de la route et sur le rôle dévolu aux couleurs. En ce domaine, les travaux sérieux étaient rares, les documents fiables, pratiquement inexistants. N’ayant guère trouvé d’informations à la Bibliothèque nationale, ni aux Archives nationales, j’eus l’idée de visiter la bibliothèque des Ponts-et-Chaussées, pensant trouver dans un tel endroit des études spécialisées portant sur ce sujet, notamment des articles allemands publiés entre les deux guerres dans des revues peu accessibles.
Cette bibliothèque, alors située à Paris rue des Saints-Pères, était en travaux. Je dus me rendre dans une annexe, en banlieue. À l’usage, elle se révéla décevante : rien dans les usuels, rien dans les fichiers. Passant outre ma timidité, je m’adressai au bibliothécaire de service dans la salle de lecture et lui expliquai ma recherche. Il prit un air affligé, me fit répéter ma demande et résuma celle-ci d’une formule interrogative : « L’histoire des feux rouges? » Je précisai que je travaillais plus largement sur les débuts de la signalisation urbaine en Europe et aux États-Unis. Cela sembla l’accabler davantage. Il me fit comprendre qu’il devait aller consulter un collègue assis à un autre bureau au fond de la salle, peut-être son supérieur hiérarchique. Je le suivis des yeux, observai les deux hommes échanger quelques mots, regarder dans ma direction de manière soupçonneuse, puis reprendre leur conversation, jusqu’à ce que le second bibliothécaire y mette fin en plaçant son index sur sa tempe et en le tournant dans les deux sens, signifiant probablement par ce geste que j’étais un lecteur de la famille des cinglés, travaillant sur un sujet ridicule, et que je leur faisais perdre leur temps. J’étais sans doute venu un mauvais jour.
Je sortis bredouille de ma visite à la bibliothèque des Ponts-et-Chaussées – ou du moins de son annexe provisoire – mais confirmé dans l’idée qu’il était bien difficile de faire comprendre autour de moi combien l’histoire des couleurs n’était pas un objet d’étude totalement futile. Ce n’était pas la première fois que je me heurtais à l’incompréhension d’un interlocuteur, parent, ami, collègue ou étudiant. Au mieux, l’histoire des couleurs relevait de la « petite histoire », des recueils d’anecdotes et de curiosa ; au pire, elle traduisait de la part de celui qui s’y adonnait des préoccupations infantiles, obscures ou méprisables. Une telle situation n’était pas celle des années 1880, à l’âge du scientisme et du positivisme, mais bien celle des années 1980, à l’époque de la sémiologie, de l’histoire des mentalités et de la glorieuse pluridisciplinarité !
Quelques années plus tard, différentes séances de travail dans plusieurs bibliothèques allemandes et britanniques me permirent de reconstituer les grandes lignes de l’histoire des feux tricolores et de constater que, sur de nombreux points, la signalisation routière était l’héritière de la signalisation ferroviaire, elle-même fille de la signalisation maritime, née au XVIIIème siècle. Sur route comme sur mer, les premiers feux étaient bicolores et opposaient le rouge et le vert. En ville, le plus ancien a été installé à Londres, en décembre 1868, au coin de Palace Yard et de Bridge Street. Il s’agissait d’une lanterne à gaz pivotante, manœuvrée par un agent de la circulation. Mais le système était dangereux puisque l’année suivante une explosion blessa mortellement l’agent venu allumer les lampes. Londres se montra néanmoins largement pionnière sur ce terrain ; Paris ne l’imita qu’en 1923 et Berlin, l’année suivante. Le premier feu parisien fut placé au carrefour des boulevard Sébastopol et Saint-Denis ; il était entièrement rouge, le vert ne faisant son apparition qu’au début des années 1930. Entre-temps, les feux bicolores avaient gagné les États-Unis : Salt Lake City, 1912 ; Cleveland 1914 ; New York, 1918.
Pourquoi a-t-on choisi ces deux couleurs, le rouge et le vert, pour réglementer la circulation, d’abord sur mer, puis sur rail et enfin sur route? Le rouge est certes la couleur du danger et de l’interdiction depuis des époques anciennes (il l’est déjà plus ou moins dans la Bible), mais pendant des siècles le vert n’a rien à voir avec la permission ou le laissez-passer. Au contraire, il jour le rôle de couleur du désordre, de la transgression, de tout ce qui va à l’encontre des règles et des systèmes établis. En outre, il n’est pas pensé comme un contraire du rouge, comme peuvent l’être le blanc – depuis toujours – et le bleu – depuis le Moyen Âge central. Mais le classement des couleurs change dans le courant du XVIIIème siècle, lorsque s’imposent les théories de Newton, qui a découvert le spectre quelques décennies plus tôt, puis que se diffuse dans le monde savant l’opposition entre couleurs primaires et couleurs complémentaires. Le rouge, couleur primaire, a désormais pour complémentaire le vert. Les deux couleurs commencent à faire couple et, puisque le rouge est la couleur de l’interdiction, le vert, sa complémentaire, presque son contraire, devient peu à peu celle de la permission. Sur mer puis sur terre, entre 1780 et 1840, on prend l’habitude de « donner le feu vert » pour autoriser le passage. Une nouvelle histoire des codes chromatiques se met en place. Le vert devient signe de laissez-passer, et même de liberté. Il l’est encore aujourd’hui.
Michel PASTOUREAU, Les couleurs de nos souvenirs
Étonnant et passionnant!
Mais dans tout cela….d où vient l orange?
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C’est la question que je me suis posée effectivement. Depuis les premières recherches de Pastoureau, beaucoup d’autres ont été entreprises. Il y a notamment un site « Feu routier » dédié à l’histoire du code de la route. Apparemment à partir du moment où l’autorisation et l’interdiction se faisaient automatiquement (quand les feux ont été électrifiés et qu’il n’y avait plus d’agent préposé à les actionner et à prévenir les automobilistes par un geste que le feu allait changer), on s’est rendu compte que les automobilistes devaient « se préparer » à s’arrêter ou à démarrer. Le feu du milieu est apparu et était au départ jaune… pourquoi est-il devenu orange? Je ne sais pas encore, je fouine… Je te conseille la lecture des livres de Pastoureau. J’ai commencé par « Bleu », le premier édité à l’époque et j’ai découvert que cette couleur qui fait l’unanimité en occident aujourd’hui n’était pas bien vue du tout à d’autres époques pour des questions de bonne tenue et d’éclat de la teinture, que les Grecs anciens ne possédaient pas de véritable mot pour cette couleur tellement présente pourtant das leur environnement, pourquoi le manteau de la Vierge était rouge et maintenant bleu… quel voyage étonnant! Depuis il y a eu Rouge, Vert, Noir et le dernier Jaune… et puis d’autres livres dont « Les couleurs expliquées en images » (par des tableaux notamment) et « Le petit livre des couleurs » (condensé où il aborde d’autres couleurs)… tous en poche sauf Les couleurs expliquées… un beau livre d’art! c’est passionnant et cela nous en apprend tellement sur l’aventure humaine! c’est aussi une sommité en héraldique et en histoire des us et coutumes…
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Je viens de relire le message de mai 2016, ha ha! ( je n’apprécie guère le mot de vocabulaire nouveau genre…(ah non, excusez, on ne peut plus dire genre, on peut dire con, fuck you, mais surtout pas genre )moche de « blog » on dirait une créature extraterrestre de mauvaise vie.
C’est drôlement joli chez toi….et si je comprends bien, tes mots choisis actuels sont le résultat de….enfin, et finalement, les livres vont trouver leur place?
Alors, bravo!
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Je veux avoir une vraie bibliothèque ! je vais donc « vider » mon ancien bureau que Christian avait fini par squatter après avoir rempli tout le 2ème étage vu son fameux syndrome de Diogène exacerbé. Ce bureau, mon bureau, qui était confortable avec un divan-lit pour accueillir à l’occasion un hôte, est dans un état lamentable avec des monceaux de choses à lui jetées n’importe comment. Le courage m’a toujours manqué pour faire place nette. Mais comme cet été va être casanier, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de tout vider avec l’aide de mon voisin qui me conduira autant de fois qu’il le faudra à la déchetterie. J’avoue qu’il y a également des choses à moi même si j’avais légué à une ancienne stagiaire toute ma bibliothèque pédagogique. Donc c’est mon boulot estival, je rêve de me bricoler une échelle glissant sur un rail pour atteindre le dessus. Je vais y arriver! En attendant, les livres sont toujours partout : des dizaines dans le fameux bureau, des dizaines dans ma chambre, des dizaines dans le living. Bah, ça met de la vie dans ma grande maison, ce sont de bien agréables compagnons!
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Ah ben, ça y est, tu t’attaques au noeud du problème!
Et comme on dit ici » petit train va loin » autrement dit il y a toujours « le » moment propice a toute chose.
Et c’est fou ce que le minus méchant génère de temps, de découvertes, de nouveautés.
A part en mourir, il n’y a pas que du mauvais là-dedans:ici les parents sont tout surpris de -découvrir – leurs enfants!!!!!
Je sais Diogene est excessivement encombrant, sans excuses ni pardon, car « mon « Diogene personnel est bordélique de bordélique, a gagner un trophée!
Sauf pour ses trains chéris et ses rails bie-aimes et ses réseaux, 11, si 11 entre tout le sous-sol, le bureau, le garage, la grange a bois, et parfois il ose une incursion dans MA cuisine, je ne te dis pas: le typhon Dominique ne fait pas de cadeau.
Alors bon courage et surtout prends cela du cote ludique du boulot, et rien de moins qu’une échelle de bibliothèque , he he tu vas bien t amuser!
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