À la japonaise !

Issue de la collection du musée Van Gogh d’Amsterdam, cette estampe datée de 1902 représentant la construction de la Tour Eiffel a tout d’une nippone.

On connaît la passion de Van Gogh et de Monet (mais aussi de Degas et de Toulouse-Lautrec) pour cet art japonais dont Hokusai et Hiroshige notamment furent les maîtres incontestés.

Cette estampe, elle est l’oeuvre d’un Français dont la vie s’est déroulée de la moitié du 19ème siècle à celle du 20ème. Cela donne le vertige d’autant qu’elle fut ponctuée par 3 terribles guerres : 1870 comme enfant ; 1914/18, en homme mûr ; 1940/45, en vieillard.

C’est lui, Henri Rivière (1864 – 1951). Il a 10 ans avec « Impression, soleil levant » de Monet, il meurt avec « Le Christ en croix » de Dalí.

Enfant, il « se fait l’oeil » avec des revues et des livres illustrés notamment par Gustave Doré. Ayant appris la peinture dans une académie libre en compagnie de Paul Signac dont il restera toujours l’ami, il travaille pour différents journaux. Il devient le directeur artistique du théâtre d’ombres du cabaret du Chat noir : ses créations et ses mises en scène lui assurent ses premiers succès puis une véritable renommée.

Les spectacles consistent en la projection sur un écran de silhouettes découpées dans des feuilles de zinc. Le caractère novateur conçu par Rivière repose sur les fonds colorés, restituant avec subtilité des effets météorologiques : couchers de soleil, nuits brumeuses, levers de lune. Ils sont produits à l’aide de combinaisons de plaques de verre colorées et d’un appareil de projection à lumière oxhydrique. Ces expériences vont profondément marquer la suite de son oeuvre.

Passionné par le japonisme ambiant, il se tourne vers la xylographie, méthode d’impression des grands maîtres de l’estampe japonaise. Mais la complexité du procédé pour des estampes en couleurs le mène dans l’impasse. Il produit cependant une série de « Effets de vagues » (inspirés de La Vague d’Hokusai) et de « Paysages bretons » ; la Bretagne, une région que lui avait fait découvrir Signac et à laquelle il restera toujours attaché.

La gravure sur bois étant trop complexe en version colorisée, il se tourne alors vers la lithographie, procédé beaucoup plus simple qui permet également des tirages à des centaines d’exemplaires. L’estampe ne devient plus un objet précieux mais peut conquérir une clientèle beaucoup plus large et même devenir, dans sa version murale, un objet éducatif dans les écoles ou une décoration d’habitation.

De 1894 à 1917, il va proposer différentes séries de lithographies : Les aspects de la nature, Les Paysages parisiens, Féérie des heures (en format vertical), Beau pays de Bretagne qui vont rencontrer un immense succès dans la publicité naissante.

Mais c’est sa série intitulée Les Trente-six vues de la Tour Eiffel inspirée des Trente-six vues du Mont Fuji d’Hokusaï qui devient la plus célèbre. Chaque estampe nécessite l’impression successive de cinq matrices lithographiques. La série est achevée en 1902 et tirée à 500 exemplaires. On y voit à chaque vue la Tour Eiffel en sujet principal ou en arrière-plan à diverses saisons.

Quelques vues choisies…

À la manière d’Hokusai, Rivière y appose un cachet…

Après la Première Guerre mondiale, Rivière abandonne l’estampe et choisit l’aquarelle. On en recense plus de mille sachant que dès 1944, il perd la vue.

En dehors de son statut d’artiste, Rivière disposa d’un large réseau de connaissances regroupant des amateurs, des collectionneurs, des érudits et des conservateurs du patrimoine. Il réunit personnellement plus de 800 pièces authentiques, séries complètes d’estampes et livres, dont l’essentiel est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France. On peut également trouver quelques photos très intéressantes réalisées par cet artiste prolifique.

Vous trouverez sans difficulté d’autres documents au sujet de cet artiste étonnant, tellement connu à son époque et tombé dans l’oubli.

Bonne découverte!

Une petite ajoute que j’avais préparée puis oubliée lors de la publication… Oui, chère Dominique, c’est déjà de la BD et notamment celle de notre cher François Schuiten (qui conçut également la station de métro Arts et Métiers à Paris que nous envisageons de découvrir un de ces jours !). Une filiation évidente !

Au fil des mots (138): « défi »

  • J’ai été torturé par la Gestapo, me dit-il.
  • J’ai été blessé trois fois, lui dis-je.

Au fil des mots, la reprise !

Juif lituanien russophone, émigré en Pologne dont il apprend la langue pendant sa scolarité ; tout en étant éduqué à la maison en français par sa mère qui lui prédit de toutes ses forces, lui petit indigent, un avenir glorieux dans la patrie de Victor Hugo, son dieu. Le voilà effectivement Compagnon de la Libération du Général de Gaulle puis membre du corps diplomatique jusqu’au grade d’ambassadeur de France. Et une incroyable épopée littéraire jusqu’à mystifier le plus célèbre jury littéraire, deux fois le Goncourt! C’est lui, Roman Kacew.

À la grecque!

Trônant au sommet de l’Acropole à Athènes, le Parthénon. Symbole de la Grèce antique, modèle architectural de l’Occident, ce temple dorique a été construit au Vème siècle avant J-C. Alors que le danger perse était éliminé, des travaux sont entrepris à l’initiative de Périclès et de son ami Phidias, célèbre sculpteur pour la réalisation d’une immense statue en hommage à la déesse Athena. Il lui fallait une enveloppe : ce fut le Parthénon. Cnstruit en seulement quinze années, cet édifice tout en marbre était remarquable pour ses incroyables corrections optiques mais également pour ses décors polychromes qui mettaient en valeur les décors des frises. Devenu église puis mosquée au fil de l’histoire, sa destruction partielle date de la fin du XVIIème siècle et provient d’un boulet vénitien lancé sur la poudrière installée à l’intérieur par les Ottomans. De nos jours, miné par la pollution et le tourisme de masse, il jouit d’une énorme campagne de restauration en cours.

Ainsi donc jusqu’à nos jours et malgré les vicissitudes des guerres, incendies, séismes et vandalisme, le Parthénon reste un modèle architectural universel. Faire le catalogue des monuments s’en inspirant depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, c’est parcourir tous les continents !

Mais deux réalisations m’ont personnellement étonnée. Du genre totalement improbable, vous allez voir ! Par laquelle commencer? Par la plus fidèle ?

Alors partons donc pour Nashville, Tennessee. Le temple de la musique country. Plus américain, impossible! Et pourtant…

Dès la fin du 19ème siècle, Nashville est connue comme l' »Athènes du Sud » (elle abrite aujourd’hui 3 universités réputées). Pour une exposition célébrant le centenaire du Tennessee, on y construit en 1897 une parfaite réplique du Parthénon en briques, en plâtre et en lattes de bois. Devenu très populaire, le pavillon n’est pas détruit après l’exposition internationale. Souffrant cependant de dégradations rapides, il est démoli et reconstruit. Cette copie conforme de celui d’Athènes à l’intérieur comme à l’extérieur ouvre ses portes en 1931 et est désormais inscrite comme monument national au Registre national des lieux historiques. En 1990, le plan intérieur va inclure l’énorme statue d’Athéna de Phidias, réalisée par le sculpteur américain Alan LeQuire avec un mélange de plâtre et de fibre de verre (recouvert de feuilles d’or), sur une armature d’acier et d’aluminium. Cette Athena Parthenos est la plus grande sculpture d’intérieur occidentale.

Revenons en Europe. Toujours à la fin du 19ème siècle. Je vous présente maintenant le Walhalla… Le Walhalla ? Mais oui, il existe !

Le Walhalla, c’est effectivement son nom, est un temple allemand néo-dorique en marbre achevé en 1842. Situé en Bavière, au bord du Danube, à Ratisbonne (Regensburg en allemand), c’est un mémorial consacré à des hommes et des femmes qui illustrèrent la civilisation allemande. Il s’enrichit toujours aujourd’hui de nombreux bustes, s’inscrivant ainsi dans la mythologie nordique comme étant le séjour des héros.

Alors, étonnant, non ? (cliquez sur les photos pour les agrandir…)

Essuyer les plâtres…

Où il est question de maisons saintes ou coquines, grand écart assuré !

C’est une de ces images iconiques du centre de Paris. Du boulevard Haussmann par la rue Laffitte, le Sacré-Coeur et Notre-Dame de Lorette en une seule perspective.

Attachons-nous tout d’abord aux choses religieuses et à cette Notre-Dame de Lorette. Une première chapelle est édifiée en 1646 dans un quartier hors murs et donc hors paiement de l’octroi qui se couvre alors de guinguettes mais aucun vrai lieu de culte dans le coin.

Donc dès 1821, première pierre d’une église digne de ce nom au pied de la rue des Martyrs et de la Butte Montmartre ; elle sera achevée en 1836 sous Louis-Philippe.

Notre-Dame de Lorette… Mais qui est donc cette Lorette?

Non, ce n’est pas un prénom mais le nom francisé de la commune italienne de Loreto dans les Marches. Les anges y auraient translaté la maison de Marie depuis Nazareth lors de la prise de la Palestine par les Infidèles en 1291 !

Cette « Santa Casa » devient lieu de pèlerinage du culte marial, symbole du côté humain et familial de Jésus. Napoléon, quant à lui, se contentera de la première étymologie du nom Loreto, un lieu planté de lauriers…

L’église Notre-Dame de Lorette parisienne est à la limite d’un lotissement créé à partir de 1819 où choisissent de vivre un grand nombre d’écrivains, d’acteurs, de musiciens et de peintres qui forment l’élite du courant romantique parisien. On y construit énormément d’hôtels particuliers à l’architecture pseudo-antique à la mode de cette époque. D’où son nom de « Nouvelle-Athènes » attribué par son style de bâtiments mais également par le foyer intellectuel qui s’y développe.

Au fil des constructions, le quartier abrite aussi des « lorettes ». Surnom (venant bien évidemment de l’église du quartier) qu’on donne à des jeunes filles entretenues dans des conditions frisant la prostitution mais pas que, comme le dit cette chanson : « Je suis coquette. Je suis lorette, reine du jour, reine sans feu ni lieu ! Eh bien ! J’espère quitter la Terre en mon hôtel… » « Mon hôtel » ?

Comme nous l’avons vu, entre Notre-Dame-de-Lorette, la gare Saint-Lazare et la butte Montmartre se construisent de tout nouveaux hôtels dont il faut « essuyer les plâtres » au sens propre : les faire sécher, éliminer l’humidité des murs nouvellement érigés, gérer les éventuels vices cachés. En échange de bas loyers, les propriétaires y logent alors ces fameuses lorettes en exigeant d’elles que les appartements soient chauffés afin de devenir salubres. Elles y habitent donc pendant plusieurs mois ou plusieurs années dans le luxe et une apparente richesse.

Le Grand Dictionnaire du XIXème siècle indique, en 1873 que « la lorette a succédé aux impures et aux filles d’opéra ; on l’appela ensuite camélia, femme du demi-monde, biche, cocotte. Sous toutes ces dénominations, c’est toujours la femme entretenue ».

La plus célèbre des lorettes est sans conteste la Païva qui, venue de Russie, s’installe dans ce quartier de demi-mondaines. Plus tard et après bien des aventures, elle épouse un riche

marquis portugais qui lui offre un hôtel place Saint-Georges (ci-dessus). Le lendemain du mariage, elle rompt toute relation avec lui puis devient la maîtresse d’un riche Prussien qui lui fera construire le fameux hôtel de la Païva au bas des Champs-Élysées !

Voilà donc un quartier du 9ème arrondissement bon chic bon genre, un peu austère aujourd’hui, mais qui cache à son origine bien d’autres histoires coquines !

Champagne, mesdames !

Le vin et les femmes, quelle histoire étonnante !

Sans tomber dans certains excès actuels d’un féminisme parfois outrancier, on peut constater qu’autour d’un produit aussi célébré et mythique que le vin, se sont installées des dynamiques patriarcales qui ont eu la vie dure au (très) long cours! Cela daterait des Romains qui croyaient dur comme fer « qu’un sang chasse l’autre » selon un précepte de Pline l’Ancien. Par extension, cela associait le cycle menstruel féminin et le vin, sang de la vigne. Aussi les femmes furent-elles, pendant des siècles, interdites au chai, où leurs menstruations pouvaient faire tourner le vin !

Les tâches nobles de la viticulture étaient par tradition réservées aux hommes ; leurs épouses s’occupaient du commercial, de l’administratif, des douanes, des salaires, de la gestion des vendangeurs. Femmes de l’ombre. Vint ensuite, dans les années 2000, le concept de « vin de femme » qui mit en lumière, en dehors de ridicules réticences sexistes masculines, le bonheur et le succès des femmes vigneronnes ou sommelières qui prirent définitivement leurs places dans ce milieu machiste.

Et pourtant ! Des femmes viticultrices, il y en eut de fameusement célèbres dès le début du 19ème siècle. Souvent par nécessité dans un département haché menu par les guerres jusqu’à celles de 1870 et de 14/18, avec leurs générations entières d’hommes perdus : la Marne eut ainsi des dizaines de « Veuves de Champagne » vénérées sous ce nom. Quelles femmes ! Les deux premiers exemples :

Barbe-Nicole Cliquot-Ponsardin (1777-1866)

Cette fameuse Veuve Cliquot!

Née noble à Reims, cachée pendant la Révolution française, elle se marie en 1798 avec François Cliquot. À la tête d’une maison de champagne créée en 1772, celui-ci meurt en 1805. Tout en étant mère, sa veuve de 27 ans refuse de vendre les terres et s’entoure petit à petit de collaborateurs pour faire évoluer le domaine. Dotée d’un vrai nez, intelligente et audacieuse, elle devient la pionnière des produits de luxe : son vin de Champagne aura du style, une marque reconnue avec la désormais emblématique étiquette jaune, un marketing avec relations publiques efficaces partout en Europe faisant fi des guerres napoléoniennes puis du blocus anglais, ses bateaux naviguant sous pavillon américain… En 1814, elle envoie un navire chargé de sa production vers Saint-Pétersbourg, s’assurant ainsi le marché russe avant toutes les maisons concurrentes. La tzarine est enceinte : « ils boiront, boiront encore », promet-elle. Pouchkine devient fan et en parle dans sa pièce Eugène Oneguine. Mais elle ne s’arrête pas là : elle perfectionne une technique de remuage avec les râteliers obliques pour éliminer les sédiments et rendre le vin plus clair ; elle améliore la bouteille pour mieux résister à la pression ; elle invente le champagne rosé en assemblage de vin blanc et rouge. À elle également, l’idée du champagne millésimé. Mais quelle vie!

Autre femme emblématique : Jeanne Alexandrine Louise Mélin veuve Pommery (1819-1890)

Dotée d’une sérieuse instruction qui l’a conduite en Angleterre pour en revenir parfaitement bilingue, elle épouse en 1839 Alexandre Pommery. Ils deviennent propriétaires d’un domaine, ont deux beaux enfants lorsqu’Alexandre meurt soudain en 1858 d’une attaque cérébrale. À Jeanne de prendre les rênes, s’inspirant de l’illustre veuve Cliquot.

Elle a le génie du commerce ! De 50000 bouteilles, la production va passer à plus de 2 millions avec un cercle d’activités en Angleterre, aux États-Unis puis dans le reste du monde. Ce succès est dû à une de ses créations révolutionnaires. Le champagne était par tradition un vin relativement sucré consommé au dessert. Elle comprend que sa clientèle anglo-saxonne et nord-européenne préfèrerait un champagne plus sec, elle en fait donc une version « brut » qui deviendra dry et extra dry immédiatement célébrée dans le magazine anglais Vanity Fair.

Techniquement parlant, elle décide d’utiliser les crayères naturelles pour le stockage des bouteilles, reliant les différents puits naturels par de vastes tunnels, des escaliers et des rails de transports des paniers de bouteilles pour diminuer la pénibilité du travail.

En surface, elle fait construire un grand domaine à l’architecture et aux couleurs étonnantes d’inspiration anglo-saxonne. Tout y est moderne et parfaitement organisé.

Amatrice d’art, elle fait sculpter par Gustave Navlet dans les caves, un bas-relief représentant le satyre Silène versant du nectar dans une coupe. Elle acquiert également aux enchères les Glaneuses de Millet, en faisant ensuite don au musée du Louvre (aujourd’hui au Musée d’Orsay)

Son collaborateur Henry Vasnier, éminent collectionneur d’art et ami d’Émile Gallé, fait construire à Reims par l’architecte Louis Sorel, un hôtel particulier qui constitue l’un des exemples les plus éminents de l’Art Nouveau à Reims : la villa Demoiselle. En 1985, acquérant le domaine Pommery, Paul-François Vranken, bien connu chez nous, en donne le nom à une cuvée emblématique avec une bouteille du même style, et entame la restauration des lieux. C’est un joyau de l’architecture du début du XXème siècle, témoignage unique d’une collaboration entre l’architecte Louis Sorel, l’ensemblier Tony Selmersheim et le peintre décorateur Felix Aubert, unis par la même inspiration, entre Art nouveau et Art déco. Cela parle à un de chez nous, où ces styles architecturaux sont iconiques.

Après ces veuves, en vinrent bien d’autres tout au long de ce 20ème siècle qui n’épargna pas la région. À la direction de domaines renommés : https://fr.wikipedia.org/wiki/Veuves_de_Champagne

Mesdames, chapeau et une petite coupe à votre santé!

Lait chaud

Voilà qu’il fait très frais depuis deux jours. Le temps automnal s’installe enfin et avec lui, l’envie d’une boisson chaude réconfortante, régressive. Pourquoi pas un lait chaud aromatisé à la cannelle, à la cardamome et au miel, un lait russe à la belge (teinté de café) ou un cappuccino à la mousse de lait ponctuée de poudre de cacao all’italiana ?

Ah, le lait ! une production pléthorique fin des années 70 en Europe qui a provoqué la création de toutes ces filières nous ayant inondés de crèmes desserts, de yaourts, de crèmes glacées industriels, créant une nécessité alimentaire pour rester soi-disant en bonne santé… Si les quotas laitiers de 1984 à 2015 ont tenté de tout réguler, que faire de la production malgré tout excédentaire ou impropre à la consommation pour raison sanitaire sans mener à la ruine les producteurs de bovins toujours traumatisés par la crise de la vache folle ?

C’est alors qu’une très vieille idée est revenue à la surface et fait désormais le buzz dans le monde de la mode tendance écologique : transformer le lait en une fibre textile.

L’idée n’est pas neuve : début du 20ème siècle, le chimiste allemand Frederick Todtenhaupt tenta de transformer les sous-produits du lait en une sorte de soie. Sans vrai succès.

Après l’invasion de l’Éthiopie et son emploi d’armes chimiques, l’Italie de Mussolini se trouve isolée (la SDN tentant d’éviter son rapprochement avec l’Allemagne nazie) et cherche des filières amenant l’auto-suffisance.

Le groupe futuriste de Filippo Tommaso Marinetti, né à la même époque que la découverte de Todtenhaupt, finit par envisager que le lait est un des tissus de l’avenir. Pas si fou que cela, car la laine est une protéine tout comme comme la caséine, protéine du lait. À charge aux chimistes de traiter cette caséine pour lui donner la texture de la laine !

Ainsi naît le Lanital développé entre 1937 et la fin de la 2ème Guerre Mondiale.

C’est la société SNIA Viscosa qui développe cette fois la découverte d’Antonio Ferretti. Un fil très proche de la laine, doux, chaud, inattaquable par les mites ; mais peu résistant à l’usure et par temps humide, développant certaines odeurs aigres.

Et comme toujours en Italie, la mode joue son rôle!

À la même époque, une fibre similaire est développée par les Atlantic Research Associates Inc. aux États-Unis. Dans l’Italie d’après-guerre, le produit est relancé sous le nom de Merinova mais les fibres synthétiques l’évincent définitivement.

Définitivement ? Pas si sûr! Viennent les années 2000 et les intolérances aux fibres synthétiques mais aussi à la laine ; l’idée naissante de l’empreinte écologique d’un produit biologique et biodégradable. On l’utilise alors pour le linge de maison. Aujourd’hui, cette fibre naturelle, bio, compostable et recyclable combine des qualités antibactériennes, antifongiques, hypoallergiques et antistatiques qui conviennent aux linges pour bébés et ceux en contact avec les malades.

Et la mode emboîte le pas. De nombreuses marques comme Qmilk, Milk serie et Duedilatte combinent désormais la fibre de lait avec le coton, le mérinos et le cachemire. La fibre naturelle simple est, elle, appréciée pour la confection de sous-vêtements hypo-allergiques.

Faire du neuf avec du vieux ; utiliser des techniques développées par un régime fasciste pour viser l’empreinte écologique minimale ; valoriser le travail de la filière du lait par une métamorphose éthique et innovante de l’industrie de la mode. Pas si mal !

Merci, les filles, vous êtes les vraies stars!

Usine à gaz…

Si tout comme moi vous rêvez un jour de découvrir Vienne, vous pensez Schönbrunn, Prater, Musikverein, Hofburg, Sachertorte, Palais de la Sécession, Opéra, Danube, gazomètres…

Oups, gazomètres ??? Oui, oui car ceux-là, ils valent vraiment le détour… À la fin de l’article, vous n’aurez plus qu’une envie, la même que moi : courir les découvrir!

Ils ne sont pas tout jeunes, environ 125 ans et ont eu plusieurs vies.

À la fin du XIXème siècle, la ville de Vienne doit faire face à la fin d’un contrat de gaz avec une compagnie anglaise. Pour gagner son indépendance énergétique (déjà!), elle va donc construire une usine à gaz à base de charbon et quatre gazomètres pour le stocker en dehors de la ville, à Simmering. Ce seront pour l’époque les installations les plus grandes d’Europe. Il faudra trois ans pour les ériger et comme ils étaient visibles de la ville, les habitants exigèrent que les cuves soient entourées d’un mur de brique avec fenêtres. On ne transigeait pas avec l’esthétique dans la Vienne de l’époque! Au total, 43 millions de briques, 17 500 m³ de béton utilisés, et 75 000 m³ d’excavation.

Bombardé plusieurs fois pendant de la Seconde Guerre mondiale, le site est resté malgré tout opérationnel grâce au courage des centaines d’ouvriers et d’ingénieurs qui le protégèrent également lors de la reddition des troupes allemandes.

L’usine de Simmering a fourni du gaz de ville aux Viennois de 1898 à 1984, date à laquelle on passe définitivement au gaz naturel. Pas de destruction car heureusement, l’ensemble avait été précédemment classé « repère historique protégé » en 1978. Néanmoins, le démantèlement intérieur a lieu et les enveloppes vides deviennent des sites de concerts des rave party « Gazometer » qu’on peut voir sur Youtube, et des décors de séries allemandes et de cinéma notamment pour le James Bond Tuer n’est pas jouer en 1987.

C’est donc ainsi qu’allait finir ce complexe qui, contre vents, marées et guerres, avait éclairé et chauffé Vienne pendant 80 ans ? Non. Ces monuments fascinants d’une époque révolue réveillent soudain l’intérêt des promoteurs lorsqu’on envisagea de les transformer en hôtels pour une exposition universelle Vienne/Budapest qui ne vit jamais le jour.

Mais l’impulsion salvatrice a enfin eu lieu et naît alors un projet architectural extraordinaire : Les Quatre Cylindres de Simmering.

De 1999 à 2001 va naître la Gazometer City ou G-Town, quatre réalisations de grands architectes sur les gazomètres A, B, C, D.

Le gazomètre A est confié à Jean Nouvel. L’architecte français ne veut pas obstruer l’intérieur de la structure mais plutôt l’utiliser et lui conférer une grande légèreté et une grande luminosité avec du verre et de l’acier réfléchissant. 11 étages résidentiels avec sur chacun 20 appartements. Un espace est resté ouvert entre le mur de brique et les nouvelles constructions permettant de voir la façade du gazomètre de l’intérieur et une coupole en toile d’araignée pour toit.

Le gazomètre B est confié à l’agence d’architecture autrichienne Coop Himmelb(I)au. Sa spécificité est l’adjonction d’une tour penchée, « le bouclier ».

Le gazomètre C échoit à l’architecte autrichien Manfred Wehdorn. Il y crée un lieu typiquement viennois, l’Innhof, dans un style art déco avec un atrium verdoyant.

Pour le gazomètre D, c’est Wilhem Holzbauer également architecte autrichien qui s’y colle. Si on peut dire, car c’est le seul qui se détache de la paroi et installe sa construction en étoile de l’intérieur vers l’extérieur avec au sol un grand jardin.

Les gazomètres accueillent aussi un grand centre commercial qui court dans les sous-sols, des salles de concerts, un conservatoire de musique, des salles de fitness, des bureaux, des bibliothèques. Des passerelles permettent de passer de l’un à l’autre, on se trouve ainsi devant une petite ville parfaitement autonome.

Alors, ces gazomètres, pas envie d’aller y faire un tour lors d’un voyage à Vienne? Moi, j’y courrai avec une belle leçon d’architecture en perspective!

Astérix and Co – 2

2. Le village ! où ça, le village ?

Albert Uderzo, un des papas d’Astérix, était totalement autodidacte et dessinait depuis son plus jeune âge. En 1942, à 15 ans, alors qu’il s’est déjà fait un petit nom en publiant des dessins dans les journaux parisiens, il quitte tout pour rejoindre son frère Bruno réfugié dans la région de Saint-Brieuc pour échapper au STO. Pendant deux ans, il découvre la nature, la mer et les environs immédiats, lui qui ne connaissait que la banlieue parisienne… et il crayonne toujours!

Aussi en 1959 lorsqu’il crée le petit guerrier moustachu, il installe son village dans ce coin d’Armorique (proche d’ailleurs de Corseul, « notre » ancienne ville gallo-romaine).

Ce village gaulois, certains se sont mis en tête de le situer avec exactitude même si Uderzo lui-même disait en être incapable. Leur premier indice : les 3 îles à gauche sous la loupe.

Ce sont « Les Trois Pierres du Cap d’Erquy » (en face de Saint-Brieuc) ! Y figurent encore un corps de garde du système défensif de la Bretagne initié par Louis XVI, avec batteries et corps de garde; et en retrait, le four à boulet d’où on tirait des boulets chauffés à rouge sur les bateaux ennemis. Haut-lieu de résistance donc!

Un peu mince ? Il y a mieux ! Regardez la première vignette de la première page de l’album « Le Domaine des dieux » : 4 autres indices numérotés de 1 à 4 avec photos à l’appui…

  1. le port d’Erquy semble avoir servi de modèle à celui présenté sur la maquette de César.
  2. Le village d’Astérix en surplomb correspond au terrain resté vierge au-dessus de la petite crique voisine et appelé « le camp de César »… Uderzo, venu plus tard sur place, n’en croyait pas ses yeux et se demandait si son subconscient ne lui avait pas joué des tours !!!

Le port d’Erquy

Le Camp de César

Restent à trouver une carrière pour les menhirs d’Obélix, une forêt pour ses sangliers et les herbes magiques pour Panoramix !

3. Nous sommes sur une côte de grès rose ( et non de granit qui est plus loin) avec des affleurements sur les plages mais également la carrière « Les Lacs bleus » visitable par le sentier touristique des Carriers (et remise en activité récemment). On y débardait dès le Moyen Âge d’énormes pierres pour la construction d’édifices de prestige et jusqu’en 1974, des pavés de rue…

Affleurements de grès rose

La carrière « Les Lacs bleus »

4. Et la forêt ? le Chaos d’Huelgoat ! tout proche également de Saint-Brieuc! Les druides le fréquentaient, y cueillant des plantes médicinales dont le lierre, la fougère mâle et bien évidemment le gui! Bien des légendes y courent encore dont une tenace dans le coin : celle d’une boisson énergisante…

Le Chaos de Huelgoat

Que penser de tout cela ? Les habitants y croient dur comme fer : Erquy = le village d’Astérix ! Uderzo, lui, était resté baba devant tant de coïncidences. Et vous ? Bizarre tout de même, non ?

Astérix and Co – 1

I. Irréductible Gaulois ?

Fasciné par Jules César, l’Empereur des Français Napoléon III (1808-1873) entreprit d’en écrire la biographie. Très vite, la période de la Guerre des Gaules devint le vrai sujet du 2ème tome paru en 1866. Sur le terrain, Napoléon III agit en novateur, finançant personnellement la recherche des traces archéologiques avec l’aide des meilleurs spécialistes. S’en suivirent bien des découvertes. Du coup, l’intérêt pour la Gaule se propagea : les Gaulois devinrent un thème culturel à la mode et Vercingétorix, un héros romantique. Lors de la guerre de 1870, tout se teinta de patriotisme exacerbé : les Romains = les Prussiens, César = Bismarck, Vercingétorix = Gambetta, le battu plein de panache et revanchard.

Naît ainsi l’irréductible Gaulois : le Français en général, mais surtout l’Alsacien, le Lorrain et les Poilus de la 1ère Guerre mondiale dont les cigarettes s’appelleront « les Gauloises ». À l’école de la Troisième République, c’est le fameux et parfois incongru « Nos ancêtres les Gaulois« !

1959, apparition d’Astérix, le petit guerrier moustachu qui va remettre le mythe au goût du jour. Avec humour, les auteurs présentent des Gaulois farouches qui ne se rendent pas et qui finissent par gagner. L’Armorique est leur base de résistance.

Qu’en fut-il vraiment ? Certes, il y eut de sanglantes révoltes et des déportations, mais le temps d’une génération aura suffi pour que la plupart des élites gauloises deviennent gallo-romaines, richesse économique oblige. Voyons voir !

Bretagne d’aujourd’hui : Corseul-la-Romaine. Lieu déjà mentionné par César, l’oppidum de la tribu des Coriosolites fut sous Auguste transformé pour des raisons économiques en « Fanum Martis », une ville gallo-romaine de plus de 6000 habitants au carrefour des routes vers Rennes (Condate) Tours (Caesarodunum), Le Mans (Vindinum) et les cités portuaires.

De nombreux vestiges et un archéoforum. Puisque « Fanum Martis », il y a un Temple de Mars ; le bâtiment le plus grand et le plus haut de la Bretagne romaine construit selon un plan de Vitruve de 5000m² pouvant contenir 2000 personnes lors des cérémonies religieuses. Le Champ Mulon avec sa villa romaine, sa domus et son centre thermal ; le jardin des Antiques, son quartier commercial et ses insulae le long de la via romana (la départementale d’aujourd’hui) donnant sur un forum aujourd’hui recouvert ; la stèle de la Carthaginoise Silicia Namgidde venue rejoindre son fils marchand et morte à l’âge de 65 ans ; une nécropole…

Cette importante cité gallo-romaine se développa donc comme toutes les autres villes alentour de la province La Lyonnaise comme l’indique la carte ci-dessus. Donc pas d’irréductibles gaulois ici!

(Lors des invasions germaniques, elle se dépeupla, devint le lieu-dit Coriosolis en souvenir de la tribu gauloise puis Corsolt avec un château médiéval d’où le « Corseul » d’aujourd’hui faisant partie de la communauté de Dinan.)

On remarque sur une carte actuelle qu’elle est proche du cap Fréhel et du cap d’Erquy, c’est là que nous attendra Astérix!