Gastronomies croisées
Alixe possédait bien un exemplaire du livre d’Antonio Latini, le père de Francesco, Scalco alla moderna, mais elle ne parlait pas italien. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle sollicita l’aide du Napolitain. Il s’illumina, battit l’air de ses bras et poussa un cri de triomphe.
- Nous allons faire le plus délicieux des soupers italiens ! déclara-t-il. Mon père serait fier de moi.
Soudain son visage se figea et il s’exclama d’une voix blanche:
- C’est impossible ! Je ne peux pas le faire!
Agacée, Alixe répliqua :
- Qu’est-ce qui te prend? Tu deviens fou? Il y a un instant tu dansais de joie et maintenant tu renonces…
- Je viens de penser qu’il n’y a pas à Paris les ingrédients nécessaires.
- Ne sois pas ridicule ! Paris regorge de victuailles.
- Mais pas la délicieuse ricotta de Calabre, des câpres de Rossano, des raisins secs de Belvedere, des olives de Gaeta…
- Arrête tes bêtises ! Il y a d’excellentes olives de Provence et du Languedoc chez tous les épiciers de Paris
- Jamais je ne trouverai les superbes choux-fleurs de Chiai, les exquises salades du Pausilippe, les lapins d’Ischia, les soubressades de Nola…
- Francesco, tu te contenteras des marchés parisiens, l’interrompit Alixe.
Il lui lança un regard furibond, se précipita vers la porte.
- Attends une minute et tu comprendras.
Alixe entendit une cavalcade dans l’escalier et il revint, tenant à la main le livre de son père. Il lui mit sous le nez :
- Regarde, la zuppa di vongole, comment veux-tu que je la fasse?
- Je ne sais même pas ce que sont les vongole.
- De jolis coquillages qu’on fait ouvrir et ensuite frire avec des herbes, des épices, des petits artichauts. On rajoute du bouillon de poisson, des pistaches et un jus de citron.
- Eh bien, on s’en passera!
- Quel dommage ! Et les scorfani et les cannolichi, vous en avez ici?
- Je ne veux pas le savoir ! Débrouille-toi pour trouver des plats au goût français. Des chapons, des poulardes, des lièvres, des gigots de veau, tu as l’embarras du choix.
- Mais un repas napolitain sans les fruits de la mer est impensable, s’indigna Francesco.
- Vous devriez aller en Bretagne, vous y trouveriez tout ce qui vous manque, lança d’un ton enjoué Trescoat qui venait d’entrer.(…)
- Bien entendu, je ne pourrai pas, non plus, faire de zuppa de gambari. Vos crevettes, ici, ne sont que de pauvres avortons qui n’ont rien à voir avec les superbes pièces qu’on trouve à Sorrento ou Vico. Et les seppie, les cefali, les calamari, je vais devoir m’en passer.
- Calamari? Voulez-vous parler des calamars, ces étranges animaux marins au corps flasque et gélatineux et aux filaments blanchâtres? insista Trecoat
- Quelle horreur! s’indigna Alixe. Et tu voudrais nous faire manger de telles monstruosités? Tu veux, toi aussi, empoisonner le Régent? (…)
La lutte entre Alixe et Francesco sur le choix des mets du repas napolitain fu acharnée. Il fallut deux journées pour arriver à un accord entre les deux parties. La cuisine avait tout d’un champ de bataille où les habitués de la maison ne faisaient plus que passer la tête et se retiraient bien vite, de peur de recevoir un mauvais coup. Alixe (…) refusa le potage aux tripes, le riz à l’espagnole, le potage d’oignons farcis, qu’elle jugeait trop communs, ainsi que le pâté à la napolitaine, trop compliqué. Après une longue et âpre discussion, elle céda sur le pâté de poissons à condition que les fruits de mer se limitent aux moules.
Le Napolitain pleura presque de ne pouvoir faire sa délicieuse salade de fleurs de romarin, mais obtint gain de cause pour sa Salade royale et sa crème Paradis. Il se désola que la saison rendît impossible la réalisation de la célèbre sauce tomate de son père.
- Tu ne vas pas recommencer ! s’indigna Alixe. Il est impensable de manger ce genre de saleté en France. Ta tomate est une très jolie plante décorative, mais on sait bien qu’elle est toxique.
- Ma pauvre Alixe ! Tout le monde en mange à Naples et personne n’en meurt. C’est délicieux, à la fois acide et sucré. Tu ne sais pas ce que tu perds.
La volaille à la mauresque, le poulet frit, le lapin fraci, les paupiettes de veau farcies ne suscitèrent aucune objection de la part d’Alixe. (…) La préparation du repas fut émaillée d’autres disputes, notamment sur la quantité d’épices utilisée par Francesco. Alors qu’il s’apprêtait à arroser généreusement des épinards de sucre et de cannelle, Alixe lui saisit le bras.
- Tu es fou ! Tu fais une cuisine qui n’a plus cours depuis presqu’un siècle. Tu devrais savoir qu’on a remplacé les épices par les herbes potagères. Aucun palais français ne saurait souffrir cette cuisine gothique.(…)
Croyant détendre l’atmosphère, Trescoat crut bon de raconter la senteur du poivre et des épices à l’arrive à Zanzibar. Élise et Honoré, au bout de la table, discutaient des mérites de l’oeillet et des tubéreuses.
Accompagné de Marivaux, Massialot choisit ce moment pour faire une apparition. Il fit deux pas dans la cuisine, pila net et les narines grandes ouvertes, commença à humer et fronça les sourcils.
- Quels horribles ragoûts êtes-vous en train de préparer ? Ça pue la cannelle à plein nez.
Il se précipita vers les fourneaux, souleva les couvercles et se mit à hurler:
- Arrêtez-moi tout ça !
Francesco vint se planter devant lui, l’air combatif.
- Ces plats ont été servis au roi Charles IV d’Espagne. Votre Régent s’en contentera.
- Ce n’est pas de la politique, c’est de la cuisine, riposta Massialot.
Alixe poussa un soupir, dénoua son tablier, prit Marivaux par le bras et l’entraîna hors de la cuisine en lui murmurant:
- Je n’en peux plus de cette maison de fous. Conduisez-moi dans un endroit où je n’aurai pas à entendre leurs stupides querelles.
Il l’emmena au Procope, rue Mazarine, où il avait ses habitudes, la Comédie-Française se trouvant à quelques pas de là. (…) Alixe commanda un sorbet à la violette et une tasse de chocolat. Marivaux se contenta d’un café.
Michèle BARRIÈRE, Les Soupers assassins du Régent
Quel menu, quelle querelle gustative!
Le sorbet a la violette doit être tres savoureux.
Et la salade de fleurs de romarin me réjouit, je vais chercher ce que c’est.
Je viens de terminer un livre racontant aussi tres abondamment des plats, recettes, et autres habitudes gourmandes italiennes: de Marlena du Blasi, dans son livre qui raconte son histoire, Un Palais A Orvieto.
Si ce qu’elle raconte est vrai, les italiens devraient être obèses! Ils ne cessent pas de boire d’où manger, alors j’ai des réserves sur ce bouquin, ça me semble trop de trop. Mais cet esprit italien décrit est amusant.
A la fin il y a des recettes, et je voudrais essayer la focaccia aux noisettes, mais l’hiver prochain…..car pour le moment il fait 32degres!
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Je connais Marlena de Blasi, j’ai aussi lu certains de ses livres Mille jours à Venise, mille jours en Toscane te Un palais à Orvieto… lectures délicieuses quand on aime l’Italie, et c’est vrai qu’on y mange tout le temps. Je me souviens que nous avions accepté l’invitation d’un ami grimpeur au temps où nous faisions de la montagne. Il vivait et travaillait à Liège mais sa famille était restée dans un petit village proche de la frontière autrichienne. Nous y sommes donc allés et avons été reçus comme des rois. c’étaient des gens assez pauvres mais qui partout où nous allions avaient préparé de véritables banquets… Nous avons tenu quatre jours et puis nous nous sommes littéralement enfuis, n’en pouvant plus de manger et de boire, du lever (la grappa avec le premier café) jusqu’au soir (la grappa comme digestif)… quel souvenir!
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Ha ha ha…tu rentres en pleine forme a cause des grimpettes et l’estomac en berne à cause de grappa abusive!
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