Essuyer les plâtres…

Où il est question de maisons saintes ou coquines, grand écart assuré !

C’est une de ces images iconiques du centre de Paris. Du boulevard Haussmann par la rue Laffitte, le Sacré-Coeur et Notre-Dame de Lorette en une seule perspective.

Attachons-nous tout d’abord aux choses religieuses et à cette Notre-Dame de Lorette. Une première chapelle est édifiée en 1646 dans un quartier hors murs et donc hors paiement de l’octroi qui se couvre alors de guinguettes mais aucun vrai lieu de culte dans le coin.

Donc dès 1821, première pierre d’une église digne de ce nom au pied de la rue des Martyrs et de la Butte Montmartre ; elle sera achevée en 1836 sous Louis-Philippe.

Notre-Dame de Lorette… Mais qui est donc cette Lorette?

Non, ce n’est pas un prénom mais le nom francisé de la commune italienne de Loreto dans les Marches. Les anges y auraient translaté la maison de Marie depuis Nazareth lors de la prise de la Palestine par les Infidèles en 1291 !

Cette « Santa Casa » devient lieu de pèlerinage du culte marial, symbole du côté humain et familial de Jésus. Napoléon, quant à lui, se contentera de la première étymologie du nom Loreto, un lieu planté de lauriers…

L’église Notre-Dame de Lorette parisienne est à la limite d’un lotissement créé à partir de 1819 où choisissent de vivre un grand nombre d’écrivains, d’acteurs, de musiciens et de peintres qui forment l’élite du courant romantique parisien. On y construit énormément d’hôtels particuliers à l’architecture pseudo-antique à la mode de cette époque. D’où son nom de « Nouvelle-Athènes » attribué par son style de bâtiments mais également par le foyer intellectuel qui s’y développe.

Au fil des constructions, le quartier abrite aussi des « lorettes ». Surnom (venant bien évidemment de l’église du quartier) qu’on donne à des jeunes filles entretenues dans des conditions frisant la prostitution mais pas que, comme le dit cette chanson : « Je suis coquette. Je suis lorette, reine du jour, reine sans feu ni lieu ! Eh bien ! J’espère quitter la Terre en mon hôtel… » « Mon hôtel » ?

Comme nous l’avons vu, entre Notre-Dame-de-Lorette, la gare Saint-Lazare et la butte Montmartre se construisent de tout nouveaux hôtels dont il faut « essuyer les plâtres » au sens propre : les faire sécher, éliminer l’humidité des murs nouvellement érigés, gérer les éventuels vices cachés. En échange de bas loyers, les propriétaires y logent alors ces fameuses lorettes en exigeant d’elles que les appartements soient chauffés afin de devenir salubres. Elles y habitent donc pendant plusieurs mois ou plusieurs années dans le luxe et une apparente richesse.

Le Grand Dictionnaire du XIXème siècle indique, en 1873 que « la lorette a succédé aux impures et aux filles d’opéra ; on l’appela ensuite camélia, femme du demi-monde, biche, cocotte. Sous toutes ces dénominations, c’est toujours la femme entretenue ».

La plus célèbre des lorettes est sans conteste la Païva qui, venue de Russie, s’installe dans ce quartier de demi-mondaines. Plus tard et après bien des aventures, elle épouse un riche

marquis portugais qui lui offre un hôtel place Saint-Georges (ci-dessus). Le lendemain du mariage, elle rompt toute relation avec lui puis devient la maîtresse d’un riche Prussien qui lui fera construire le fameux hôtel de la Païva au bas des Champs-Élysées !

Voilà donc un quartier du 9ème arrondissement bon chic bon genre, un peu austère aujourd’hui, mais qui cache à son origine bien d’autres histoires coquines !

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