Recherche d’identité
Le shampoing lui coulait sur le visage sous la douche brûlante. (…) Laurent s’épongea dans une serviette puis sortit le rasoir du tiroir et une vieille bombe Williams qu’il avait eu la bonne idée de conserver. Rasé de près, il enfila un jean propre, une chemise blanche, une paire de mocassins et se coiffa en arrière – s’apprêtant pour l’ouverture du sac comme un homme se fait beau avant de se rendre au restaurant avec une femme. (…)
Le sac était là, sur le canapé. Il s’en approcha. (…) Il s’assit en tailleur sur le plancher, posa son verre sur une latte et se saisit du sac avec précaution. Il était beau, avec ses deux textures de cuir mauve, ses attaches dorées et ses poches extérieures de tailles diverses. (…) Il but une nouvelle gorgée de vin en ayant la nette impression qu’il allait commettre un acte interdit. Un homme ne fouille pas dans le sac d’une femme. (…) Il tira doucement la glissière dorée de la fermeture éclair jusqu’à l’extrémité opposée. Le sac exhala une odeur de cuir chaud et de parfum féminin.(…)
Le premier objet qu’il avait trouvé était un flacon de parfum en verre noir, Habanita de Molinard. Une pulvérisation lui révéla une odeur poudrée d’ylang-ylang et de jasmin. Puis vint un trousseau de clés agrémenté d’une plaquette dorée gravée d’hiéroglyphes. Suivit un petit agenda qui comportait des rendez-vous entourés aux heures des jours dits, des prénoms, quelques noms. Aucune adresse, ni numéro de téléphone. (…) Sa propriétaire n’avait pas pris soin d’inscrire ses coordonnées sur la page de garde pourtant prévue à cet effet. Le dernier rendez-vous date de la veille : 20h, dîner Jacques et Sophie + Virginie. Là non plus, pas d’adresse ni de téléphone. Une seule indication pour la semaine à suivre, à l’emplacement du jeudi : 18h, pressing (robe à bretelles). Puis vint une trousse en cuir parme et fauve contenant des produits de maquillage et des accessoires, parmi ceux-ci un gros pinceau dont il éprouva la douceur sur sa joue. Un briquet doré, un stylo Montblanc noir(…), un sachet de bonbons à la réglisse – dont il prit un bonbon qui aussitôt ajouta une intéressante note boisée au goût de son verre de Fixin. (…)
Les objets paraissaient innombrables. Laurent décida d’en retirer plusieurs à la fois. Il plongea sa main dans la poche latérale gauche et en sortit pêle-mêle un Pariscope, un baume pour les lèvres, un sachet d’Efferalgan, une épingle à cheveux et un livre. Accident nocturne de Patrick Modiano. Laurent s’arrêta, l’inconnue était donc une lectrice de Modiano, et il lui sembla que le romancier affectionnant le mystère, la mémoire et les quêtes d’identités lui faisait signe. Il ouvrit le livre pour y trouver l’année d’édition originale. « Gallimard, 2003 » était imprimé en bas de page gauche et il y avait autre chose derrière celle de droite, une écriture transparaissait. Laurent tourna la page pour découvrir deux lignes manuscrites au stylo sous le titre : « Pour Laure, souvenir de notre rencontre sous la pluie. Patrick Modiano ». L’écriture dansait devant ses yeux. Modiano, le plus insaisissable des écrivains français. Qui ne participait plus à aucune dédicace depuis des lustres et n’accordait que de très rares interviews. Dont la diction haletante, pleine de points de suspension, était devenue une légende. Lui-même était une légende. Une énigme que ses lecteurs suivaient de roman en roman depuis quarante ans. Posséder une dédicace de lui semblait plus qu’improbable. Et pourtant les lignes étaient là.
L’auteur de Rue des boutiques obscures venait de lui livrer le prénom de la femme au sac mauve.
Antoine LAURAIN, La femme au carnet rouge