Au fil des mots (5) : « expert »

Petit mot d’explication à propos de ce texte : L’auteur, Frédéric Lenormand, y met en scène Voltaire en tant que fantasque détective joyeusement accompagné de sa maîtresse Émilie du Châtelet, femme libérée et grande scientifique. La petite dizaine d’enquêtes parues sont menées tambour battant avec un humour décapant, de l’auto-dérision à foison, de délicieux jeux de mots remue-méninges mais des mises en situation historiques rigoureuses. Je suis une fan inconditionnelle! En feuilletant un des tomes, je suis tombée sur ce passage qui me semble d’une extraordinaire actualité ! Il y a même Marseille et son docteur à contre-courant…

Bonne lecture à tous, bon amusement et n’hésitez pas à commenter, il y a de quoi faire!

Réunion d’experts   

       Elle (Émilie du Châtelet) n’avait pas le temps de retrouver le vrai Voltaire pour l’accompagner à cette conférence. L’idéal aurait été d’utiliser celui qu’elle avait sous la main. Il essayait l’habit de son frère devant le miroir (…) La tentatrice exigeait de lui un petit service : il (Armand Arouet, receveur des épices, janséniste et frère de Voltaire) devait l’accompagner à une réunion importante.  

  •  Pas question. Une réunion de quoi?  
  •  De médecins. Pour évoquer les moyens de se prémunir contre la peste.

  Elle n’avait pas fini sa phrase qu’il enfilait déjà son manteau (…) 

    Il n’y avait pas loin à aller, on les attendait à l’Hôtel-Dieu (…) Dans la salle Sainte-Geneviève, éclairée par des fenêtres en ogive, la séance était présidée par François Chicoyneau, éminent  savant qui avait débuté sa carrière en épousant la fille du célèbre Chirac, premier médecin du roi. Son heure de gloire avait sonné lorsque le gouvernement du roi l’avait envoyé à Marseille soigner la peste. Malgré un courage admirable, sa conviction que cette maladie n’était pas contagieuse l’avait empêché de lui opposer aucune barrière.(…) 

   À sa droite était assis frère Côme, chirurgien renommé qui avait choisi son nom de religieux par référence au saint patron de sa profession. Il avait fondé à ses frais un hospice pour les pauvres où il était passé maître dans la « taille latérale », c’est-à-dire l’ablation du calcul rénal, ce qui ne préparait pas beaucoup à contenir la peste.

     À sa gauche, Pierre-Jean Burette, soixante-dix ans, connu comme historien de l’Antiquité, avait publié nombre de mémoires sur la musique, la danse, la gymnastique, la lutte, la course et le pugilat chez les Grecs. Ses travaux du moment, une traduction du Dialogue sur la musique de Plutarque, ne prédisposaient  pas non plus à observer les bubons.

   Le Dr Jault, orientaliste et interprète, était si doué pour les langues qu’il enseignait le syriaque au Collège royal. Il regretta l’absence des médecins attachés aux Bourbons, les Silva, les Lapeyronie : les princes avaient trop peur de les voir rapporter au château des maladies de pauvres.

    Pierre Baux, second du nom, vingt-six ans, d’une famille de grands médecins nîmois, météorologue, naturaliste et astronome, était l’un des plus zélés défenseurs de l’inoculation. Au contraire de Chicoyneau, on venait de lui refuser ses titres de noblesse au motif qu’il était protestant. Il s’étonna que son confrère n’ait pas jugé utile d’appeler le Dr Bertrand, un illustre partisan de l’école contagionniste qui avait lui aussi combattu l’épidémie de peste marseillaise. La raison en était que Chicoyneau n’avait pas envie d’affronter la contradiction en plus de la peste.

     La réunion était victime de l’éclectisme qui caractérisait leur siècle.  

  • Pourquoi n’a-t-on pas recruté de vrais spécialistes? s’étonna Armand.  
  • Parce qu’ils risqueraient de s’apercevoir que ce n’est pas la peste, supposa Émilie. 

    Pierre Baux rappela que, dans Relation historique de la peste, le Dr Bertrand qui n’était pas là exposait l’idée que les épidémies étaient dues à de minuscules animaux qu’on ne voyait pas, « invisibles et si petits qu’ils éludent la vivacité des yeux les plus pénétrants ».  

  •  La peste n’est nullement épidémique! clama Chicoyneau qu’on chicanait. (…)                

      Le Dr Burette conseilla de bourrer les faux nez des médecins de feuilles de menthe : plus les herbes sentaient fort, plus elles empêchaient les pestilences d’atteindre les voies respiratoires. Car, chacun le savait, les maladies se répandaient par les odeurs. La preuve, les mal portants sentaient très mauvais, surtout quand on s’abstenait de les laver.             

  •  Et si nous distribuions du savon à tout le monde? proposa frère Côme. (…)       

    Pierre Baux mis à part, ils s’entendaient à nier l’existence de ce qu’on ne voyait pas.

  •  C’est une chose stupide à dire, encore plus à penser, s’insurgea Armand, qui avait plus de foi dans l’invisible que dans le visible.
  •  Nous sommes des savants ! dit Chicoyneau.
  •  Un savant ne fait que se méprendre de façon plus élaborée que les ignorants : il fait des erreurs plus compliquées, répliqua Armand.  
  • La cause, répondit Pierre Baux, voilà qui aurait dû susciter l’intérêt de mes confrères. 

Leurs certitudes le navraient.    

  •  Il n’est pas nécessaire d’être malveillant pour malfaire, il suffit d’être incompétent, siffla-t-il…

Frédéric LENORMAND, Docteur Voltaire et Mister Hyde (Voltaire mène l’enquête) 

 

Frédéric Lenormand, auteur prolixe que tout intéresse! Découvrez-le…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lenormand

Au fil des mots (4): « marché »

Une nouvelle lecture partagée : bonne dégustation!

Sur les traces de Colette

    Cerises, œufs de caille, patates douces, asperges blanches à six euros le kilo, abricots charnus (érotiques), haricots verts (importés du Kenya), seaux de pivoines et de roses, grappes de tomates rouge cramoisi – et toute l’effervescence du marché couvert d’Auxerre. Les clients remplissent leurs cabas aux étals de fruits et de légumes, les dames de la ferme sont venues avec leurs paniers d’œufs. Cela pourrait être un marché en Italie ou au Portugal. Mais il suffit de faire quelques pas pour être bien sûr d’être en France. Les étals de viande sont aussi soignés que les vitrines des bijoutiers du Ponte Vecchio. Les yeux comme des soucoupes, nous regardons les dindes bridées, farcies aux pruneaux, les paupiettes de porc, les jambons roses en gelée, les poulets aux pattes noires, les rôtis dans la crépine. Je compte jusqu’à vingt sortes de terrines : poisson, foie de ceci et de cela, « campagne », légumes, volaille. Les boulangers vendent des gougères – grosses comme des balles de base-ball – des pâtés en croûte, de bonnes miches rocailleuses de pain. Le fromage à lui seul justifie un voyage en France. À côté de moi, une femme en tâte discrètement plusieurs pendant que le crémier regarde ailleurs. Elle sait, du bout du pouce, apprécier la maturité. Puis elle se penche pour examiner la croûte. Elle fait part de son choix : la meule en question est compacte comme du beurre, lisse comme une peau de bébé. Ed choisit plusieurs chèvres fermiers, ronds et gonflés, de la taille d’un gros bouton de manteau. Deux vendeurs encaissent l’argent. Je règle l’un d’eux et nous nous éloignons. Le second crie qu’il faut le payer, le premier lui répond que c’est déjà fait, et il s’ensuit une querelle de famille à laquelle personne ne prête attention.

Frances MAYES, Saveurs vagabondes, Bourgogne : un presse-papiers pour Colette

Au fil des mots (3): « gâcher »

Une nouvelle lecture partagée, bonne découverte!

Mémé

     Un poulet de mémé nous faisait trois jours ou trois repas. Rôti le dimanche midi. Froid avec de la mayonnaise le dimanche soir. En vol-au-vent le lundi soir.                                               Trois repas à quatre ou à cinq pour un poulet… un poulet de basse-cour, un poulet qui cherche sa pitance dans le sol, qui gratte avec ses pattes et pique avec son bec, un poulet qui connaît la pluie et le vent, le soleil, l’ombre, la vache, le marc de pommes et nos pétards du mois de juillet.

    Avec ton frigo vide, on mangeait bien, même un simple steak saisi à la poêle se retrouvait avec un bon morceau de beurre sur le dos, un haché d’échalote et de persil, un jet de gros sel et un tour de moulin à poivre, on se battait pour saucer la poêle avec notre bout de pain mou.

     Pour tenir le coup l’hiver, dans le froid, la pluie, le vent, lorsqu’il fallait planter des pieux, récurer une étable, couper du bois, mémé avait une arme secrète, une potion druidesque, une mixture, un feu d’artifice de sucres lents: « la Soupe au Riz », que nos oreilles distraites ont longtemps appelée « soupe pourrie ». Du riz cuit à saturation dans du lait entier cru, des pommes de terre et des tranches de pain rassis frottées à l’ail puis frites dans la poêle, une pincée de muscade, sel et poivre et au moment de servir un jaune d’oeuf et de la crème fraîche pour les plus coriaces…. Après vous pouvez camper à la belle étoile en terre Adélie.

    Rien n’était gâché, jamais.

    Une vieille poule efflanquée par son quota d’œufs pondus pour la bonne cause avait le droit de terminer sa vie dans un bain de crème, telle une Cléopâtre normande, des champignons coupés en quatre en guise de canards de bain (…)

Un terrible jour, ce principe de « on ne va pas gâcher ça » a atteint son point culminant. Nous avions mon petit frère et moi des cochons d’Inde, qui profitaient de nos vacances scolaires pour faire un stage de « réinsertion rongeurs » avec leurs cousins conils. Ils en revenaient en général toniques, boudant leur sciure urbaine et le couinement indien légèrement teinté d’accent normand… Et puis le drame est arrivé. La cage sous laquelle leur stage nature se déroulait devait être déplacée tous les matins pour avoir une nouvelle flaque d’herbe fraîche. Jusqu’ici nos cochons d’Inde comprenaient plus ou moins rapidement qu’il fallait se bouger le croupion en même temps que la cage s’ils ne voulaient pas se faire écrabouiller, visiblement un de nos amis devait penser à autre chose ou ne devait toujours pas arriver à comprendre le principe de cette cage mouvante car il s’est retrouvé coincé, le dos brisé, mort…

     « On ne va pas gâcher ça »!!!

    Au déjeuner, nous nous sommes attablés mon frère et moi devant un civet de cochon d’Inde avec carottes, pommes de terre et chipolatas que mémé nous avait cuisiné. On a chipoté notre cochon d’Inde en se regardant, pas fiers.

Philippe TORRETON, Mémé

 

Au fil des mots (2): « lumière »

Nouvelle petite lecture partagée, bonne découverte !

Cher Eugène    

    Vous avez débarqué « au milieu du peuple le plus étrange » et vous ne savez où donner de la tête. Le temps vous a semblé étroit, insuffisant pour tout voir, tout sentir, tout comprendre. Vous avez été étourdi par l’air, le ciel, les pierres, les êtres. Sur vos yeux, longtemps un voile avait été posé, une sorte de retenue dans le regard, une habitude que rien ne venait déranger (…) Ce fut en sortant de vos habitudes, en suivant votre instinct de curiosité, en voyageant, que vous vous êtes rendu à vous-même, et que vous nous avez donné le meilleur de votre œuvre. (…)

     Je vous imagine en ce début d’année 1832, jeune homme élégant et réservé, quitter votre atelier de la rue des Fossés-Saint-Germain, laissant derrière vous une lumière retenue, empêchée par un ciel gris et bas d’éclater, une lumière brève et faible à laquelle les Parisiens finissent par s’habituer. Vous sortez de ce quartier et vous vous trouvez, quelques jours après, inondé par une lumière si vive, si pleine et même brutale que vous subissez un choc. Il n’y a pas que cette clarté envahissante, il y a la nature, les couleurs et les parfums de l’herbe, des arbres, des fleurs, de la mer. Vous êtes à la fois en Méditerranée et face à l’océan Atlantique. Le ciel est haut. L’azur passe par plusieurs bleus. L’horizon est net, la population est vivante, je veux dire tumultueuse, gaie, différente de celle de votre pays. Vous êtes ailleurs, vous avez franchi la frontière de l’imaginaire. Tout cela vous étonne et va vous habiter. Ce qui se révèle à vous, ce n’est pas uniquement un pays étranger à votre culture, c’est un monde neuf et en même temps proche de ce que vous aimez dans l’Antiquité. Vous avez tout de suite écrit, noté, dessiné ce que vous voyez. Vous avez eu la prudence et l’intelligence de ne pas poser votre chevalet dans la rue, à la campagne, face à des paysans qui n’ont jamais vu de leur vie un peintre. Vous avez pris des notes et ce qui est remarquable, c’est que la pudeur vous a imposé une grande rapidité. Rien ne devait vous échapper, pas seulement les détails de ce que vous peindrez plus tard, mais aussi l’état d’esprit, l’état d’âme de ce peuple que vous découvrez.

Tahar BEN JELLOUN, Lettre à Delacroix

Tahar Ben Jelloun, immense écrivain, également peintre (toiles et vitraux)…

À demain, les amis!

Au fil des mots (1) : « trottoir »

Confinement, déconfinement? Peu importe, on finit par s’en désintéresser tellement ils nous ont fait des embrouilles pas possibles. Même si on récupère un peu de liberté à plus ou moins long terme, rien ne vaut celle qu’on trouve dans les livres : immuable ou changeante, indispensable ou frivole, mais toujours diverse. Et cette liberté, on la choisit, quel luxe!

En ce début de soirée, je furète dans mes livres. J’envisage un hypothétique rangement car il y en a partout dans la maison : des lus, des pas encore lus, des abandonnés, des haïs, des chéris, des indispensables… Quels chouettes compagnons! On se réjouit d’en lire certains, on savoure le souvenir laissé par d’autres. On est heureux d’en retrouver, on n’est bien qu’avec d’aucuns à portée de main. Comme les ami(e)s fidèles arrachés à notre affection par ce confinement brutal et qu’on rêve de retrouver!

M’est alors venue l’idée de vous présenter chaque jour un petit texte ou un extrait de texte que j’aime ou que je redécouvre au fil de mon rangement. En toute humilité, rien que pour le plaisir de partager l’amour des mots et des auteurs.

Allons-y!

Le trottoir au soleil

  • On traverse?
  • Pourquoi?
  • Pour prendre le trottoir au soleil.

   Il faisait bon dans l’ombre, on ne cherche pas la chaleur. Un vrai soir d’été. Les passant se déploient dans la contre-allée, la démarche libre, pas pressés. Avant le dîner, après? Dans la ville, on ne sait jamais. Après toutes les crispations de l’hiver, les réticences du printemps, c’est bon simplement d’étirer le corps en marchant, de sentir des ébauches de translation dans les hanches, de ne plus piquer tout droit vers le but éloigné. Ce soir, c’est là, c’est maintenant que ça se passe.

    Le trottoir au soleil, c’est beaucoup dire. Les immeubles d’en face ont déjà pris leur pouvoir bleu. Il reste des clairières, au débouché des petites rues traversières, une terrasse de café éclaboussée, et ce banc, juste au coin. On va s’installer là, jambes tendues, mains croisées sur la nuque. C’est drôle, les voitures ont allumé leurs phares, et le feu rouge se framboise au bout de l’avenue. À l’inverse des matins clairs où les bruits se détachent, la rumeur se fait basse, un coton flou. On regarde le soleil en face, et puis on ferme les paupières aux premières irisations qui se mettent à danser. C’est une éternité qui va fléchir sans mélodrame, et s’endormir, plutôt que disparaître, dans la palpable persistance du bien-être. C’est une sensation encore, ce n’est plus une idée. Le trottoir au soleil.

Philippe DELERM, Le trottoir au soleil

À demain, les amis!

À la queue leu leu, Guillaume!

Une de mes photos, que je fais paraître chaque soir depuis le début du confinement, a particulièrement attiré l’attention de mes amis de Facebook. Soit parce qu’ils connaissaient l’endroit et en raffolaient, soit parce qu’ils le découvraient…

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C’est un véritable havre de paix (même s’il y a de très nombreux promeneurs) coincé dans une partie de Liège particulièrement bruyante : entre le centre commercial de Belle-Île, la ligne de chemin de fer vers l’Allemagne  et l’autoroute vers le Luxembourg et l’est de la France. Les habitués vont diront : c’est le canal de l’Ourthe. Ils ont raison.

Mais derrière cette dénomination se cache une des ces aventures extraordinaires dont seul le génie civil est capable.

Tout démarre sous le règne de Guillaume Ier d’Orange, un souverain hollandais qui au début du 19ème siècle règne sur un territoire qui correspond aujourd’hui aux Pays-bas, à la Belgique et au Luxembourg ; un souverain qui, comme Louis XVI ou Napoléon III, est haï par une partie de ses sujets mais à qui, à l’épreuve du temps, on reconnaît bien des qualités!  Guillaume, avant d’être chassé de chez nous, avait eu le temps par exemple en 1817 de créer l’Université de Liège, notre chère Alma Mater… On peut le voir représenté dans la sublime salle académique lors de son inauguration en 1824 ainsi qu’aux murs son monographe (« W » pour Wilhelm/Guillaume).

Et ce n’est pas tout! Il jette les bases de la prospérité économique de la Wallonie en accueillant notamment John Cockerill, et améliore les voies navigables par le creusement de canaux. Des canaux, dont celui qui nous intéresse, qui relierait le Rhin à la Meuse!

Sur une carte, la distance entre le Rhin et la Meuse n’est pas très importante et relier ces deux grands fleuves a toujours fasciné. Dès l’époque romaine, on y songe avec l’empereur Claude, puis Philippe II (qui commença des travaux), Frédéric de Prusse et Napoléon… du beau monde!

Guillaume reprend l’idée dans l’optique du développement économique de la région liégeoise. On a trouvé au Luxembourg des gisements de minerai qu’on pourrait travailler dans le bassin sidérurgique nouvellement développé par Cockerill. De plus, le Luxembourg produit du bois, de la pierre et du cuir, matériaux très utiles dans les mines.

map1Son projet est très original : il envisage, au lieu de creuser un canal de bout en bout, d’utiliser les rivières existantes en les canalisant : la Moselle, la Clerve, la Wiltz, le ruisseau d’Hachiville, la Sûre et l’Ourthe. De Wasserbling (banlieue de Trêves) jusqu’à Liège, confluent de l’Ourthe et de la Meuse. Plus de 300 km rythmés par 205 écluses, le tout à la queue leu leu. Le seul vrai problème se situe entre Clervaux et Houffalize au niveau de Tavigny et de son hameau Bernistap. Un canal souterrain de plus de 2 km doit être construit sous une colline.

Tout le long du canal, un chemin de halage facilitera la circulation des petites embarcations en bois que sont les Betchètes.

L’ingénieur Remi De Puydt met au point l’ensemble du projet qui démarre.  Survient le temps des Révolutions. Bon nombre d’écluses sont pourtant construites entre La Roche et Liège, le canal souterrain creusé en partie. L’ouvrage est mis en service entre Comblain-au-Pont et Angleur. Mais le chemin de fer arrive, puis la Première Guerre mondiale et on remblaie certains tronçons. La dernière partie est utilisée jusqu’en 1948.

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La partie la plus étonnante est le canal-tunnel de Bernistap.

Ci-joint un lien pour voir un sujet proposé par l’émission de la RTBF « les Ambassadeurs » : https://www.rtbf.be/embed/m?id=2496376&autoplay=0

Un roman raconte également la création de cet étrange ouvrage…

La partie la plus touristique est sans aucun doute celle entre Comblain et Liège, avec toutes ses écluses et maisons d’éclusiers, le chemin de halage étant devenu un RAvel très prisé.

3409261768.2Pour se promener à pied depuis la Cité Ardente le long de ce canal au destin décidément peu commun , c’est entre Angleur et Liège que cela se passe. Et là encore bien des surprises géographiques et historiques nous y attendent ; les quartiers des Vennes et de Fétinne ayant été complètement transformés lors de l’Exposition de 1905, y compris le cours tortueux de l’Ourthe et par là même l’apparence de Liège elle-même comme nous le découvrirons dans un prochain post. Vous verrez, c’est passionnant et étonnant, et ça n’a qu’un peu plus de 100 ans!

Le lieu de promenade suggéré par ma photo se situe sur cette ancienne carte : l’Ourthe, en plus de son canal (signalé par écluse n°1), avait un bras, « le Fourchu Fossé », avec l’île aux Cochons et l’île aux Aguesses (l’île aux pies).

Allez, on se balade, vous l’avez bien mérité!

On partira de la Meuse et du quai Gloesener (juste après la Haute école polytechnique). Là se situe l’écluse n°1, la maison de l’éclusier et dans le canal des bateaux à demeure.

Nous arrivons alors au pont Marcotty , un petit goût d’Amsterdam, nous étions Hollandais à l’époque! Une deuxième partie du canal et un petit lac absolument charmant de romantisme qui correspond à l’ancien Fourchu Fossé…

On remonte toujours le canal et on trouve les pépés pêcheurs dans un site enchanteur. Oui, le centre commercial de Belle-Île est à gauche. Oui, l’autoroute est à portée de main. Oui, la ligne TGV vers l’Allemagne se voit. Et pourtant, tout est y miraculeux!

Nous voilà à notre point de départ. Avouez que l’histoire de ce lieu est étonnante… et vous verrez dans la suite de notre aventure que le quartier nous réserve d’autres métamorphoses de notre ville qu’on a peine à croire être seulement centenaires!

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Comme toujours, vous pouvez agrandir les photos en mosaïques en cliquant dessus! Bonne balade, c’est précieux par les temps qui courent!

Flamboyante

Elle est incontournable dans le paysage de l’art déco : la Villa Empain.

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Nous avons vu précédemment comment Louis, le second fils du mythique et richissime baron Edouard Empain, avait tenté une aventure architecturale au Québec, en y construisant un centre de loisirs révolutionnaire.

Féru d’architecture, Louis l’est depuis son plus jeune âge : il a souvent eu de longues conversations sur le sujet avec son père et il a côtoyé bon nombre d’architectes (ceux-ci, voulant développer dans les Années folles le caractère international de leur carrière, fréquentaient souvent le monde des affaires). Appréciant l’art déco, il s’intéresse également au courant moderniste du Bauhaus.

C’est dans ce contexte, alors qu’il n’a encore que 22 ans, qu’il rencontre l’architecte suisse Michel Polak, figure bien connue de l’art déco bruxellois auquel on doit notamment de nombreux hôtels et les Galeries Anspach. Polak développe de grands espaces dans un style luxueux mais classique, y mêlant une influence de la Sécession viennoise.  Empain s’entend bien avec lui et lui confie les projets de construction d’une villa à Bruxelles le long de l’avenue Franklin Roosevelt, en bordure du bois de la Cambre. La réalisation s’étend de 1931 à 1934.

Mais en 1934, Louis a déjà tourné la page de l’art déco, il lui préfère un modernisme plus radical et surtout, il s’est lancé dans l’aventure canadienne. La villa ne l’intéresse plus.

Il ne l’habitera donc jamais.

Il la cèdera à l’État belge dès 1937 avec la condition expresse qu’elle devienne exclusivement un musée : le Musée Royal des Arts décoratifs contemporains, lié à l’école de la Cambre, et sous la houlette d’une fondation Louis Empain.  La guerre met fin à ce projet, la villa étant occupée par l’armée allemande en novembre 1943.

Commence alors une série de tribulations: à la fin de la guerre, le ministre Paul-Henri Spaak, niant toutes les clauses de la donation, y installe l’ambassade d’URSS. Louis se rebiffe, récupère sa villa et y présente des expositions d’art contemporain. Puis il la vend à un industriel arménien du tabac qui, lui même, la loue à la chaîne RTL jusqu’à la fin des années 1980.

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Pauvre villa ainsi ballottée! Elle n’est pourtant pas au bout de ses peines, bien au contraire. Le vrai chemin de croix commence : abandonnée, en partie détruite et vandalisée, pillée malgré son inscription à la liste du patrimoine bruxellois à protéger en 2001. La fondation Boghossian la récupère en 2006 et entame une restauration complète jusqu’en 2010.

En 2011, la Fondation Boghossian reçoit le prix Europa Nostra pour le caractère exemplaire de la restauration. Depuis, la villa Empain est devenue le Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident, où la Fondation organise des rencontres culturelles et des expositions d’art contemporain.

Les matériaux employés sont raffinés: du granit poli sur les façades, des cornières en laiton dorées à la feuille d’or, des marbres d’Escalette et de Bois Jourdan, du bois de Palu moiré des Indes, du Manilkara du Venezuela, des panneaux de ronce de Bubinga poli, du noyer et sa loupe, du palissandre et du chêne, des ferronneries, des vitraux, des mosaïques… sur quatre étages.

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Lors de notre visite, nous avons eu de la chance : la villa, ordinairement vide et d’un blanc uniforme  propice aux expositions d’art contemporain, voyait ses murs tapissés de somptueux papiers peints et était meublée sur deux étages à l’aide de meubles, de tapis, de tableaux, d’objets de design qu’aurait pu choisir Louis Empain s’il s’y était installé… un spectacle absolument fabuleux, « flamboyant »!

Cette maison l’a bien mérité : elle a été ressuscitée, elle devient vivante!

Partons à sa découverte !

Il est, comme toujours,  possible de voir « en grand » les photos en cliquant sur chacune d’elles. Sur les plans, figurent les noms des artistes dont les oeuvres meublent les différentes pièces.

Deux étages pouvaient être visités : le rez-de-chaussée et le 1er étage. Passé le couloir de l’entrée, on découvre l’immense salon de musique (n°1 sur le plan) puis toujours en avançant, on découvre la célèbre piscine….

On pivote à droite, la salle à manger (n°2) ; à gauche, le grand salon (n°3). Ambiance cossue, précieuse avec des meubles juste sublimes. La lumière baigne l’ensemble.

Revenant vers le salon de musique, on accède alors au 1er étage.

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Une chambre d’enfant (n°1) et une chambre à coucher (n°5)

Le fumoir de l’oasis (n°2) et le bureau de monsieur (n°4)

Le boudoir (n°6), le salon intime (n°7). On y trouve aussi un dressing et une salle de bain.

Les pièces sont organisées autour du fameux atrium surplombant le salon de musique. Retour au rez-de-chaussée par une élégante cage d’escalier.


Revenues au rez-de-chaussée, il nous reste à découvrir le jardin qui est constitué d’une simple pergola et de la célèbre piscine…

Un petit tour au café et à la boutique.

On sort de la villa Empain éblouies mais mises un peu KO par une certaine grandiloquence du traitement de l’espace. Nulle intimité, un sublime décor. Nous avions visité la maison Buuren le matin, deux mondes complètement opposés!