Il est bizarre, notre 1er mai, cette année… Le muguet se fait rare et la lutte contre la maladie a remplacé la lutte des classes. Quoique… avec la colossale crise économique qui pointe le bout de son nez, les syndicats ont de « beaux jours » devant eux.
Mais qu’importe. On se souhaite peut-être plus fortement encore, en ces temps incertains, tout le bonheur du monde!
Je vous repropose un petit article que j’avais écrit en 2012. L’histoire n’a pas changé!Bon 1er mai ! Un brin virtuel de muguet et le bonheur qui va avec pour tous, fidèles lecteurs et autres !
Du muguet, pourquoi du muguet, et depuis quand? Et pourquoi le 1er mai? Voyons voir…
Le mois de mai a toujours été un moment charnière, célébré par différentes civilisations. Pour les Celtes, il s’agit de la fête de Beltaine, le passage de la saison sombre à la saison claire, de l’hiver au printemps en quelque sorte, qui signifie la reprise des activités, le retour dans les champs et le début des expéditions guerrières. De grands bûchers sont allumés pendant que les druides récitent des incantations. Chez les Romains, la période est encore plus festive avec le déroulement des Jeux floraux fêtant l’efflorescence de la nature dans toute son exubérance. Pendant plusieurs jours d’affilée, orgies et danses rythment la vie des Romains en l’honneur de la déesse Flore, dont la statue est représentée chargée de fleurs. Désormais, l’arrivée du mois de mai gardera cet aspect exceptionnel et festif. Au Moyen Âge, c’est celui des accordailles ou des fiançailles entre jeunes gens : on dépose les premières fleurs de la saison devant la porte de la promise, en fonction de ses qualités. À Toulouse, un grand concours de poésie prend le nom de Jeux floraux pour célébrer la langue d’oc : dès le XIVe siècle, troubadours et ménestrels rivalisent de rimes pour décrocher les premiers prix, des fleurs d’argent telles que la violette, l’églantine, le souci ou encore l’oeillet.
Églantine rouge contre muguet blanc
Le muguet pointe le bout de ses cloches à la Renaissance, lorsque le tout jeune roi Charles IX le popularise à la cour de France. La légende veut que le chevalier Louis de Girard ait offert au monarque un bouquet de cette fleur embaumante et encore assez méconnue, de retour d’une mission. Charles IX apprécie tellement la fleur qu’il décide d’en offrir à toutes les dames de la cour la veille de son sacre, le 1er mai 1561, comme gage de bonheur. Le geste s’oublia quelque peu : il faut dire que le massacre de la Saint-Barthélemy ne fut pas la marque d’un règne fort heureux et que le muguet reste une plante potentiellement toxique…
À la fin du XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, les clochettes n’ont pas encore investi les rues. La fleur d’églantine règne en maître lors du 1er Mai : sa couleur rouge reste le signe de reconnaissance des ouvriers qui défilent sur le pavé pour réclamer l’abaissement de la journée de travail à huit heures. Pas question pour les socialistes de choisir le muguet blanc, surtout connu des Parisiens et associé depuis trop longtemps au culte de la vierge Marie fêtée au mois de mai – les clochettes symbolisant les larmes de la mère du Christ. Les fleurs d’églantine, cultivées au nord de la France, là où se déroulent les premiers rassemblements massifs d’ouvriers, deviennent naturellement le signe de reconnaissance des manifestants, et les policiers commencent à surveiller de près ces contestataires à la « boutonnière fleurie » en tête des cortèges.
Le muguet symbole de la réconciliation nationale
Mais le marketing va finir par gagner la partie. Dès 1900, les couturiers distribuent des brins de muguet à toutes leurs clientes à l’occasion du 1er Mai. La fleur devient le symbole du printemps, de l’amour et des beaux jours. Elle orne peu à peu corsages et chapeaux des employées, la presse s’en mêle avec des articles pittoresques, les cartes postales se multiplient comme autant de porte-bonheur. Au même moment, la parfumerie parvient à recréer de manière artificielle sa fragrance si particulière dont les femmes raffolent. En 1910, les deux fleurs sont au coude à coude : on compare les « églantinards des boulevards », ferments de la Révolution, aux amoureux tranquilles avec leur brin de muguet. Et lorsque les jeunes filles des halles apportent leurs bouquets de clochettes au président de la République, la messe est dite : la France entière adopte rapidement les couleurs vertes et blanches d’une fleur délicate. L’églantine ne peut plus lutter contre la production quasi industrielle, notamment autour de Nantes, du nouveau symbole du 1er Mai. En 1936, un compromis est trouvé : les manifestants mettront un petit ruban rouge autour de leur brin un peu trop blanc. Cette fois, le muguet a conquis toute la France, des catholiques aux socialistes.