Autour de l’Alhambra
À Grenade, il restait un secteur qui tenait bon face aux troupes de Franco : l’Albaicín. Dans leur café situé à l’angle de l’ancien quartier mauresque, les Ramírez avaient désormais de bonnes raisons de craindre pour leur foyer et moyen de subsistance.
En théorie, ce barrio était en mesure de se défendre tout seul. Il occupait un flanc de colline pentu et disposait même d’une douve grâce au Darro qui coulait en contrebas.
Des barricades avaient été érigées pour bloquer l’entrée de l’Albaicín, et depuis leur point de mire élevé, les habitants y étaient en position de défendre leur « château » contre les militaires. Pendant plusieurs jours, le combat se poursuivit sans relâche, et les Ramírez virent gardes civils et gardes d’assaut être évacués, blessés.
Radio Grenade lançait régulièrement des avertissements, rappelant que quiconque résistait à la garde d’assaut serait abattu, mais le siège se poursuivit quand même. Nul ne doutait que la détermination des résistants de l’Albaicín aurait raison de l’attaque.
Leurs chances auraient pu être meilleures si l’armée n’avait pas déjà occupé l’Alhambra, qui les surplombait. Un après-midi, en regardant par la fenêtre, Concha vit pleuvoir les mortiers. Les balles s’abattaient sur l’Albaicín, faisaient exploser les toits et les murs. Une fois que les soldats rebelles eurent tout détruit, la poussière flotta dans les airs un moment. Quelques minutes plus tard, le vrombissement d’un avion se fit entendre et le bombardement aérien débuta. Les habitants de l’Albaicín étaient des cibles faciles.
Pendant des heures, la résistance continua puis Concha vit un flot de personnes se déverser de la colline encore fumante. Des femmes, des enfants, des hommes âgés, portant des ballots de chiffons et d’objets sauvés de leurs maisons descendaient de la colline. Il était difficile d’entendre quoi que ce soit par-dessus le bruit des mitrailleuses qui arrosaient maintenant les toits et le grondement de l’artillerie, mais de temps en temps, dans le silence entre deux rafales, on pouvait percevoir les pleurs des enfants et les gémissements des femmes qui se précipitaient à travers les barricades. Les derniers hommes, à court de munitions et conscients que la partie était perdue, grimpèrent sur les toits et agitèrent des morceaux de tissu blanc pour signifier leur reddition. Ils avaient mené bataille avec courage mais ils savaient que les fascistes possédaient l’artillerie nécessaire pour raser toutes les maisons du barrio. Les plus chanceux parvinrent à s’échapper vers les lignes républicaines mais la majorité fut arrêtée. (…) Cinq jours après l’insurrection militaire, et une fois le bombardement de l’Albaicín achevé, le silence retomba. Les ouvriers étaient maintenant en grève, seul moyen sûr de protester. (…)
Au petit matin du 29 juillet, le bombardement aérien de Grenade débuta, il allait se poursuivre par intermittence jusqu’à la fin août. Le pire n’était pas la destruction gratuite de leur ville mais le fait que la plupart des habitants étaient dans le même camp que les avions républicains qui les bombardaient. (…) Les sirènes donnaient l’alerte mais même si l’arrivée des avions était annoncée, il n’y avait de toute façon nulle part où se réfugier. De temps en temps, un membre de la garde civile se retrouvait enterré sous les décombres, mais les victimes étaient surtout les habitants de Grenade inoffensifs, terrorisés par les bombardements quotidiens répétés qui semblaient augmenter chaque jour en puissance destructrice. (…)
Des bombes étaient tombées sur la Plaza Cristo et sur l’hôtel Washington, près de l’Alhambra où des gens s’étaient réfugiés pour échapper aux mitrailleuses. Neuf personnes étaient mortes en ville ce jour-là, des femmes en majorité, et de nombreux blessés étaient à déplorer. Au moment même où ces innocents trouvaient la mort, d’autres âmes tout aussi pures étaient mises à rude épreuve. Le vrombissement des bombardiers républicains n’avait fait qu’accroître la détermination des fascistes à condamner ceux qui soutenaient encore le gouvernement. Avant même que l’encre n’ait séché sur leurs actes de sentences, leurs exécutions étaient accomplies.
Les premiers à passer en jugement furent le gouverneur civil, Martínez, le président du conseil municipal, un avocat du nom d’Enrique Martín Forero, et deux syndicalistes, Antonio Rus Romero et José Alcantara. Entre leur présentation devant un jury le 31 juillet et leur passage en cour martiale, l’annonce de la sentence et l’exécution au coucher du soleil contre le mur du cimetière, quatre jours à peine s’écoulèrent. Pour ces hommes et pour leurs famille et amis, ce furent quatre jours de terreur et d’incrédulité. Nul ne pouvait croire que des décisions aussi arbitraires étaient prises au nom de la justice.
Victoria HISLOP, Une dernière danse
Saisissant portrait de la Guerre civile espagnole, ce livre permet de mieux comprendre l’histoire déchirée de ce pays, dont la société porte encore les stigmates 80 ans plus tard.
Un autre livre de cette auteure m’avait profondément marquée et m’avait fait découvrir un fait assez inimaginable au 20ème siècle…
https://nouveautempolibero.blog/2016/12/02/une-longue-et-terrible-epine/
Un extrait qui donne envie d’en lire plus et un renvoi vers un autre article très intéressant et assez inattendu. Deux belles découvertes à garder en mémoire.
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Si on aime la Méditerranée, son histoire contemporaine ne peut qu’interpeller. On est friand de ses eaux bleues, de ses plages, de ses civilisations anciennes ; on oublie parfois qu’elle fut/est le lieu de toutes les tragédies du siècle : dictatures (Espagne, Italie, Grèce), guerres civiles (Espagne), guerres récentes (Ex-Yougoslavie, Chypre). Rien que pour la rive européenne. Quant à la rive africaine, guerres de décolonisation, printemps arabes, Israël/Palestine/Égypte, Liban, Syrie, velléités turques, terrorisme, islamisme ; cimetière marin avec ces coquilles de noix qui transportent toute la misère humaine… que d’horreurs dans un décor de rêve !
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-Je me souviens de cette auteure et de son roman » L’île des oubliés » : le tragique destin de centaines de lépreux exilés sur l’île de Spinalonga car considérés comme contagieux . Cette oeuvre littéraire m’avait bouleversée par son récit sur faits authentiques du sort de ces malades au XXeme siècle en Crète.
– La guerre civile espagnole me projette sur E. Hemingway : un reportage vu dans » Une maison , un artiste » récemment .. Cet écrivain et journaliste a été également correspondant de guerre . Ses écrits furent plusieurs fois récompensés car il dépeignait ses personnages avec véracité dont » Pour qui sonne le glas » , roman relatant les faits ,avec moultes réflexions , sur cette horrible guerre civile en Espagne .
Hemingway , mis à part son oeuvre littéraire , est connu aussi pour ses nombreux mariages , les destins tragiques – par suicide – de certains membres de sa famille dont lui- même et ….par sa passion pour les chats polydactyles , que je viens d’apprendre et voir via ce beau petit reportage sur son lieu de vie ., devenu un superbe musée .
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J’adore cette série « Une maison, un artiste » avec la superbe voix chaude de Patrick Poivre d’Arvor… On découvre tout autrement des artistes qu’on croit connaître ou dont on découvre l’existence… J’ai revu il n’y a pas longtemps l’émission sur Benoîte Groult et sa petite maison bretonne qu’elle avait cédée au couple Badinter pour que Robert puisse faire une vraie retraite afin de préparer sa loi contre la peine de mort…
Il y a de très nombreux artistes et écrivains qui se sont engagés soit physiquement et/ou littérairement et artistiquement dans la guerre d’Espagne. Beaucoup aux côtés des Républicains, d’autres comme Claudel aux côtés de Franco… mais certains écrivains catholiques n’ont pas apporté leur soutien au Caudillo comme Bernanos et Mauriac. Et puis Picasso et son terrible Guernica… Cette guerre me touche particulièrement car la famille de maman avait accueilli une orpheline à Comblain-au-pont, et elle y fit toute sa vie. Plus tard, j’ai vécu dans une famille à Madrid pour parfaire mon espagnol et bien que nous étions en 1971, 32 ans après la fin de cette horreur, les familles étaient toujours déchirées, haineuses et ce qui n’arrangeait rien, nous étions à la fin du franquisme avec tous ses attentats, la répression se déchaînait et la suspicion était partout… Quand certains aujourd’hui hurlent à la dictature en raison des mesures sanitaires telles que le port du masque et la distanciation sociale, je me dis qu’ils n’ont pas la moindre petite idée de ce que c’est de vivre quotidiennement dans un système totalitaire !
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