Amours fatales
Le duc de Guise, qui avait beaucoup d’esprit et qui était fort amoureux, n’eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiait les paroles de la princesse (de Montpensier) ; il répondit avec beaucoup de respect : « J’avoue, madame, que j’ai eu tort de ne pas mépriser l’honneur d’être beau-frère de mon roi plutôt que de vous laisser soupçonner un moment que je pourrais désirer un autre cœur que le vôtre ; mais si vous voulez me faire la grâce de m’écouter, je suis assuré de me justifier auprès de vous. » (…)
Quoiqu’ils ne se fussent point parlé depuis si longtemps, ils se trouvèrent pourtant accoutumés ensemble et leurs cœurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu. Ils finirent enfin cette conversation, qui laissa une sensible joie dans l’esprit du duc de Guise. La princesse n’en eut pas une petite de connaître qu’il l’aimait véritablement, mais, quand elle fut dans son cabinet, quelles réflexions ne fit-elle point sur la honte de s’être laissée fléchir si aisément aux excuses du duc de Guise, sur l’embarras où elle s’allait plonger en s’engageant dans une chose qu’elle avait regardée avec tant d’horreur, et sur les effroyables malheurs où la jalousie de son mari la pouvait jeter. (…)
Le mariage du roi avec la fille de l’empereur Maximilien remplit la cour de fêtes et de réjouissances. Le roi fit un ballet où dansaient Madame et toutes les princesses. La princesse de Montpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beauté. Le duc d’Anjou dansait une entrée de Maures et le duc de Guise avec quatre autres, était de son entrée : leurs habits étaient tous pareils, comme l’ont accoutumé de l’être les habits de ceux qui dansent une même entrée.
La première fois que le ballet se dansa, le duc de Guise, devant que de danser et n’ayant pas encore de masque, dit quelques mots en passant à la princesse de Montpensier. Elle s’aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde, ce qui la mit en inquiétude, et, toute troublée, quelque temps après, voyant le duc d’Anjou avec son masque et son habit de Maure qui venait pour lui parler, elle crut que c’était encore le duc de Guise et, s’approchant de lui : « N’ayez des yeux ce soir que pour Madame, lui dit-elle ; je n’en serais point jalouse ; je vous l’ordonne, on m’observe, ne m’approchez plus. » Elle se retira sitôt qu’elle eut achevé ces paroles et le duc d’Anjou en demeura accablé comme d’un coup de tonnerre. Il vit dans ce moment qu’il avait un rival aimé. Il comprit par le nom de Madame que ce rival était le duc de Guise. La jalousie, le dépit et la rage se joignant à la haine qu’il avait déjà pour lui firent dans son âme tout ce qu’on peut imaginer de plus violent, et il eût donné sur l’heure quelque marque sanglante de son désespoir si la dissimulation qui lui était naturelle ne fût venue à son secours, et ne l’eût obligé, par des raisons puissantes, en l’état qu’étaient les choses, à ne rien entreprendre contre le duc de Guise. Il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu’il savait les secrets de son amour et, l’abordant en sortant de la salle où l’on avait dansé : « C’est trop, lui dit-il, d’oser lever les yeux jusqu’à ma sœur et de m’ôter ma maîtresse. La considération du roi m’empêche d’éclater, mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-être la moindre chose dont je punirai quelque jour votre témérité. »
La fierté du duc de Guise n’était pas accoutumée à de telles menaces. Il ne put néanmoins y répondre parce que le roi, qui sortait en ce moment, les y appela tous deux. Mais elles gravèrent dans son cœur un désir de vengeance qu’il travailla toute sa vie à satisfaire.
Madame de LAFAYETTE, Histoire de la princesse de Montpensier
Youpi! Le torchon brûle avec ténacité!
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