Au fil des mots (45) : « impératrice »

L’impératrice reine   

   Le premier handicap de Marie-Thérèse est d’appartenir au sexe féminin. Dès le jour de sa prise de fonction, des voix tumultueuses protestent contre le fait qu’une femme est à la tête du pays. On affirme « qu’il ne convient pas au décorum de la nation d’être gouverné par une femme ». (…) 

   Selon Borcke, l’ambassadeur prussien, même les vieux ministres de son père qu’elle a conservés au début de son règne la considèrent sans respect excessif. À vingt-trois ans, le fait qu’elle est une jolie femme et gracieuse, n’arrange pas son cas, comme le montrent les propos suivants: « La nouvelle reine a été l’autre jour, pour son coup d’essai, quatre heures de suite à la Conférence (…) Les éclats de rire furent bien grands à ce propos que la beauté de la reine pût causer des distractions à ses ministres octogénaires. »

   Son second handicap est son inexpérience. Aux dires cette fois de Robinson, l’ambassadeur d’Angleterre, les ministres, au début de son règne, se permettent de lui dicter leurs avis avec une autorité révoltante. (…) Son humilité de départ n’est pas feinte, mais elle se rend compte rapidement que ses ministres ne sont pas à la hauteur d’une situation aussi complexe que périlleuse. Dès juin 1741, elle prend de la distance à l’égard de la vieille garde de son père. (…) Il est vrai que Marie-Thérèse s’entoure d’une cour plus jeune, met à mal la rigide étiquette espagnole et entend s’amuser quand l’occasion lui est donnée. Toutes choses qui lui sont reprochées par les serviteurs de feu l’empereur.

   Enfin, le troisième handicap de Marie-Thérèse est la détestation que l’on porte à son mari et qui rejaillit sur elle. (…)

  Pour surmonter ces lourds handicaps, Marie-Thérèse ne manque pas d’armes, et paradoxalement celle de sa féminité. Tous ceux qui l’approchent ne parlent que de son charme et de sa grâce. Les ambassadeurs sont unanimes à saluer son pouvoir de séduction. (…) Marie-Thérèse est dotée du talent de se faire aimer. Elle le cultive avec un art consommé de la psychologie et une belle intuition politique. À l’opposé de son père qui imposait une stricte distance avec ses sujets et paraissait froid, comme rigidifié par l’étiquette espagnole, elle promeut la proximité et la simplicité.(…)

   Elle ouvre les portes de la Hofburg et accorde audience, chaque semaine, aux particuliers qui en font la demande. Elle écoute et conseille avec affabilité, et tous en ressortent conquis. (…)

   Au demeurant, Marie-Thérèse sait bien que la séduction ne suffit pas pour gouverner. En ce début de règne, elle montre une étonnante lucidité sur elle-même, ignorée de nombre de ses homologues masculins. La preuve en est la relation très particulière qu’elle instaure avec un homme de vingt ans son aîné, le comte Emmanuel Silva-Tarouca. (…) Le pacte qui les lie repose sur une franchise réciproque dont il y a peu d’exemples. À lui, elle confie ses insuffisances, ses déceptions et ses remords. Elle lui demande conseil sur  tout sujet qui la concerne personnellement, du plus prosaïque au plus moral. (…) Cette humilité servira grandement Marie-Thérèse. Même si en vieillissant, elle montrera parfois un entêtement absurde, elle conservera jusqu’au bout une certaine faculté d’autocritique, celle de reconnaître ses torts, notamment politiques.

   L’humilité de la jeune reine ne doit pas faire oublier son atout majeur si bien détecté par l’envoyé vénitien dès le milieu des années 1730. « Une certaine virilité de l’âme qui la rend admirablement propre à la direction des affaires d’État. » Elle va en faire la démonstration dès la première année de son règne.

   Par son statut de femme, de mère et d’«homme d’état», Marie Thérèse occupe une place très particulière dans l’histoire des souverains. Dotée d’une intuition psychologique remarquable, elle va jouer de ses différents rôles avec virtuosité. Comme on l’a très bien dit, « elle est passée maître dans l’art d’une transgression permanente du corps politique et du corps naturel ». Celui-ci donne un poids sans pareil à celui-là. En mettant au monde seize enfants, dont cinq fils, Marie-Thérèse a mis fin à l’obsession de l’héritier de ses prédécesseurs et renforcé le pouvoir symbolique des Habsbourg. Mais elle a aussi affermi le sien propre. Son corps presque toujours gros durant vingt ans donne l’image d’une puissance vitale à jamais inconnue du corps du roi. En outre, elle ne s’est pas contentée de mettre ses enfants au monde, comme la plupart des femmes de sa caste, elle les a élevés et se montre régulièrement auprès d’eux. Cette image de la bonne mère conforte son autorité tout en suscitant des sentiments de respect et d’affection. De la maternité privée à la maternité politique, il n’y a qu’un pas qu’elle a franchi dès son arrivée au pouvoir. Elle affirme dès le début, et ne cessera jamais de le répéter, qu’elle gouverne en mère bienveillante de son peuple.

   Aux rôles de souveraine et de mère, il faut encore ajouter dans son mode de gouvernement celui de femme. Même si avec les années et les grossesses le corps et le visage se sont empâtés, Marie-Thérèse, qui fait pourtant peu de cas de la coquetterie, garde un pouvoir de séduction redouté des diplomates. L’«homme du siècle», comme la nommera son ami Tarouca, est une femme.

Élisabeth BADINTER, Le Pouvoir au féminin (Marie-Thérèse d’Autriche 1717 – 1780)

3 commentaires sur “Au fil des mots (45) : « impératrice »

  1. Oh la la, quelle tentation indue!
    Encore un autre sur ma nouvelle liste.
    Bon, mettons nous d’accord, il va falloir arrêter cette avalanche, ou alors tu ne nous en présente que des mauvais, ha ha!
    Mais au moins ou en es tu de tes rangements et de rêve de bibliothèque?
    Cela avance t’il ou au contraire c’est une colline de bouquins feuilletés?

    Aimé par 1 personne

  2. Tu as tout compris! Oublié le rangement, du moins pour l’instant! Je rameute des piles de bouquins disséminés un peu partout dans la maison et je feuillette, je feuillette… de 7h à 10h du matin, c’est la quête et la rédaction ! En plus sur Facebook, je publie une photo par jour, je pille donc les quelques fichiers photos de mon portable. J’en ai des milliers d’autres mais sur mon vieil ordi de bureau qui tourne toujours sur XP et que je rechigne à rallumer et puis des centaines de CD/DVD puisqu’à la fin de l’argentique, la FNAC notamment te livrait les pellicules mais aussi tes photos numérisées. Mais tout ça est dans le foutu bureau que je vais vider et rénover cet été. Pour l’instant, je ne me déconfine pas beaucoup, toujours le même rythme de croisière, courses et visite chez maman, même si nous allons tenter, Barbara et moi, un premier resto vendredi. Trois visites à Liège depuis le 9 mars… peut-être vais-je être un peu plus tentée maintenant que les transports en commun acceptent plus de passagers. Mais Liège sans terrasses, bistrots et restos, ça faisait pitié! À part bouquiner, j’ai entamé le nettoyage et le rangement en profondeur de mon living et je me suis laissée tenter par de nouveaux tapis de sol. Ceux que j’avais, je les avais choisis pour faciliter la circulation de mon vieux chien sur le nouveau parquet il y a 5 ans. J’en ai racheté des chatoyants bien douillets, on va me les livrer dans une dizaine de jours et je vais également peut-être me racheter une nouvelle table de salle à manger, celle que j’ai est une rescapée des étages! J’en ai reluqué des design qui me tentent… J’avoue avoir vécu ces semaines un peu repliée sur moi-même et des loisirs casaniers. La remise en état du jardin m’a redonné du peps et go, go, go pour égayer mon intérieur! Certain(e)s se vengent sur les fringues, moi c’est sur la déco! Si j’avais des sous, je ferais des folies!!! Bisous liégeois, cousine!

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