À Tervuren, « tout passe sauf le passé »…

60ème anniversaire de l’Indépendance du Congo belge – Reprise de mon compte-rendu de notre visite en janvier 2019.

C’est le titre du livre du sociologue flamand Luc Huyse (consacré à l’Apartheid) qui accueille dorénavant le visiteur de l’Africamuseum de Tervuren.

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Auparavant pavillon colonial lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1897, il se métamorphose en « Musée colonial » par la volonté du roi Léopold II ( inauguré en 1910 par Albert 1er). Il portera ensuite le nom de « Musée du Congo belge » et après 1960, « Musée Royal de l’Afrique Centrale ».

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20190119_100946Le voici  par un samedi gelé de janvier 2019, s’étant refait une virginité décolonisatrice, avec adjonction d’une aile d’accueil moderne à l’extrême gauche où je me trouve (avec l’excellent restaurant TEMBO que je vous recommande chaudement).  On rejoint le palais-musée par un couloir souterrain plein de surprises.

 

Pour mieux savourer la métamorphose, jetons un coup d’œil sur son passé…

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Si le buste du roi Léopold II a été aujourd’hui remplacé par la sculpture « Souffle nouveau » d’Aimé Mpané, c’est pourtant bien grâce ou à cause de ce souverain que la Belgique va devenir une nation colonisatrice et richissime jusqu’à l’après-deuxième guerre mondiale. Et ainsi que de fabuleuses  collections uniques au monde vont être engrangées.

Léopold II fut le monarque qui fit entrer la Belgique dans l’ère de la modernité industrielle et architecturale qu’il avait découverte en Angleterre et dans le Paris du baron Haussmann. Rendons à César…

Mais comme ses voisins européens, il avait des ambitions colonisatrices.

Dès 1876, il organise une association internationale comme paravent pour son projet privé d´exploitation des richesses de l’Afrique centrale (caoutchouc et ivoire). Il est aidé par  Stanley contre l’explorateur français de Brazza pour acquérir des droits sur la région du Congo. La région devient sa propriété personnelle, qu’il agrandit avec le Katanga. Ayant pris comme exemple les méthodes brutales des Hollandais face aux populations autochtones notamment « les mains coupées », il est mis en cause dès 1894 par les autorités internationales qui organisent une Conférence internationale sur le sujet. Il est jugé par ses pairs et se voit alors contraint en 1908 de céder ses biens à l’État belge ; biens qui deviendront le Congo belge jusqu’à l’indépendance en 1960.

Léopold II organise en 1897  à Bruxelles une Exposition internationale. Le pavillon africain est construit à Tervuren avec un village africain « zoo humain » selon la tradition de l’époque.

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Le succès fulgurant amène Léopold II à envisager la construction d’un véritable musée colonial, le Musée du Congo. Il engage Charles Giraud, l’architecte du Petit Palais de Paris. Mais le roi meurt en 1909 et c’est son successeur Albert Ier qui l’inaugure.

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Le musée changea de nom, certes, mais eut du mal à se moderniser…

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La transformation fut envisagée dès 2007. Il s’agissait de mettre les collections au goût du jour muséal mais également de les « décoloniser », de faire découvrir et admirer le patrimoine culturel et naturel de l’Afrique centrale. Dans la foulée, des associations réclamèrent la restitution de certains objets aux états africains. La position actuelle du musée est de dire que ces centaines de milliers d’objets, témoins d’une civilisation essentielle à la compréhension de l’aventure humaine, ont été sauvés de la destruction par l’action muséale.

Et pour ma part, je suis de cet avis.

Je ne suis jamais allée en Afrique, je ne suis pas portée instinctivement vers cette civilisation  mais que de merveilles ai-je découvertes lors de cette visite! Les yeux totalement écarquillés… Et je comprends la fascination des artistes européens du début du XXème siècle face à elles…  Peut-être les odeurs de la savane et de la forêt tropicale vont-elle me titiller?

La découverte du désormais Africa-museum  de Tervuren s’est faite en deux temps

La visite du matin fut plutôt consacrée à l’architecture primitive et à la rénovation.

En route pour le couloir souterrain. Tout commence par cette immense et lourde pirogue (plus de 22 mètres de long, pas loin de 4 tonnes confectionnée dans un tronc de Sipo)  utilisée par Léopold III. Dernier objet à quitter le vieux musée, elle fut la première à entrer dans le nouveau. Placée dans le couloir souterrain,  elle fut installée lors de la construction. Impossible de la sortir aujourd’hui…

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On passe ensuite, toujours dans ce couloir, par le dépôt. Lieu dans lequel sont consignées les statues colonialistes…

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Ensuite, promenade dans un bâtiment exceptionnel… L’architecture initiale est respectée avec une touche de modernité indéniable

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L’après-midi, visite d' »objets »… Des masques, des statues, des objets par milliers d’une beauté insolente, émouvante. Quelques photos, moisson bien dérisoire…

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Et les animaux, dont l’emblématique éléphant, dans la grande section de la biodiversité fréquentée par des centaines d’enfants!

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On en ressort à la nuit tombée. Lune glaciale sur le parc engourdi et l’étang gelé mais que de merveilles au fond des yeux !

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Une visite s’impose.

Une visite? ça ne suffira pas pour aller à la découverte de ce musée à nul autre pareil!

Au fil des mots (66) : « planque »

Apprentissage exaltant !  

   Pour apprendre le métier, il fallait accepter de « faire la planque ».

   Planquer voulait dire attendre, de préférence sans se faire remarquer, face à un domicile privé, un ministère, une ambassade, un hôpital, un cercle de jeu, un bordel, un gymnase, un théâtre, que sais-je encore, pour voir sortir celui dont vos chefs vous avaient dit : « Il ne faut pas le lâcher. » Cela signifiait donc attendre, et attendre, et encore attendre, et ne rien faire d’autre, et surtout ne pas quitter son poste… (…) Souvent lorsqu’un photographe nous accompagnait, on planquait dans une voiture. cependant, le journal L’Étoile ne disposait pas d’un parc automobile très important, et la plupart du temps, Batta m’envoyait planquer seul, dans la rue, sous un porche d’immeuble ; dans un bistrot, s’il était bien situé ; sur un banc, s’il se trouvait dans une rue très passante ; à la sortie d’une station de métro, ou à l’arrêt d’une file de taxis ou d’autobus, ou devant un bureau de tabac. Mais cela se passait essentiellement sous des porches.

   On restait droit, debout dans son imper, le dos collé au mur ou à la grille d’entrée de l’immeuble, et il fallait faire bonne figure à tous ceux qui entraient ou sortaient de l’immeuble, faire semblant d’être là depuis seulement quelque temps, consulter sa montre, maugréer comme si la personne que vous attendiez était en retard ; lire un journal et rester indifférent au regard des familiers du quartier et du voisinage ; ou bien jouer une autre comédie, sourire et dire bonjour ; ou bien se faire passer pour un flic, si le bourgeois moyen devenait trop insistant. Ce n’était pas la plus mauvaise des solutions. (…)

   À trop attendre – aussi bien quand on planque que, simplement, lorsqu’on se trouve au siège du journal et qu’il ne se passe rien – on se rend au bistrot le plus proche et on picole. (…) J’avais rapidement pu mesurer le nombre élevé d’ivrognes ou, à tout le moins, de siroteurs patentés qui encombraient le service dirigé par Batta. Cela ne me dérangeait pas, parce que certains d’entre eux racontaient des histoires du métier, des blagues, lâchaient des anecdotes, des conseils ou des tuyaux, et aussi parce que je me disais, en les écoutant et en les observant : tu ne seras jamais comme eux, tu dois t’inspirer de leur savoir et te séparer de leurs vices. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas boire avec eux. Au contraire, tu peux et tu dois partager leurs rites et leurs coutumes, et rien ne t’interdit de prendre une bonne cuite, une vraie muflée, mais tout t’interdit de t’y habituer et d’en faire une routine. Car avant tout, il faut bien te porter, il faut d’abord garder son corps. Et si tu écris ivre, alors il faut que tu sois à jeun pour te relire. J’avais lu ces deux derniers préceptes dans une « Lettre à un jeune écrivain » d’André Gide, publiée deux ans plus tôt dans la NRF. (…)

   On stationnait sur ses jambes, mains dans les poches, assailli par la tentation de la cigarette ou par la faim – mais un bon planqueur devait prévoir qu’il aurait faim à un moment et à un autre de sa planque, et il ne partait pas, si Batta lui en avait donné l’ordre, sans avoir fait un arrêt au bistrot d’en bas, le Quatre Vents, au pied du journal, pour y commander deux grands sandwiches. C’étaient des jambon-beurre, avec de la baguette, que le patron vous enveloppait dans le même papier dont étaient faites les nappes à carreaux rouges et blancs de son établissement. Le jambon-beurre, nourriture de base de l’homme en attente. On le dévorait à grands bouchées, les yeux braqués sur l’autre côté de la rue ou de la place, sans le mâcher ou presque. (…) Après, si vous en aviez le loisir, il valait mieux tout de même, aller boire un grand verre ballon de côtes du-Rhône au premier comptoir venu, et le faire suivre d’un kaoua, si vous ne désiriez pas trop vous bousiller les intestins. (…) Moi, ce que j’aimais particulièrement dans les sandwiches du Quatre Vents, c’est que la patronne, qui les confectionnait, laissait tout le gras du jambon. Et comme vous mangiez le sandwich sans le regarder, puisqu’il valait mieux ne pas quitter votre planque des yeux, votre dent rencontrait soudain la bordure plus épaisse, près de la couenne, plus gélatineuse, et vous hésitiez à la recracher, mais, finalement, vous l’absorbiez, et c’était la seule partie du sandwich que vous mâchiez avec lenteur et circonspection afin de vous assurer qu’elle descendrait bien dans la gorge…

Philippe LABRO, Un début à Paris