Versailles Sans Souci ?
Le roi rêva un moment.
- Ranreuil, je vous ai fait appeler…
Le prélude s’achève, songea Nicolas.
- …pour vous montrer un objet.
Il ouvrit le tiroir du bureau et en sortit avec précaution une forme allongée dans une housse de velours bleu. Il la posa sur la tablette et la débarrassa du tissu qui l’enveloppait.
- Ranreuil, quel est cet objet selon vous ?
- Sire, je vois une canne brune avec un pommeau d’ivoire.
- Vos sens vous abusent, reprit le roi avec un air taquin quasiment enfantin.
Il entreprit de dévisser le pommeau et en sortit une seconde canne, blanche cette fois, et percée de trous. Nicolas demeurait interdit à la grande joie du roi.
- Ma surprise première fut égale à la vôtre.
Son expression se fit plus grave.
- Sans doute êtes-vous informé du souci de la reine. Cela prend la dimension d’une affaire d’État. On ne conçoit guère comment tout cela a pu s’agencer et comment la bonne foi de la reine a pu être aussi abusée.
Nicolas peinait à suivre les méandres de la réflexion royale. Il lui paraissait qu’on venait de changer de sujet et que d’un objet étrange on était passé à la question brûlante des dettes de la reine. Il se mit à préparer sa réponse (…)
- Enfin, poursuivait le roi, comment peut-on imaginer qu’un objet de cettte nature, dont il ne doit exister que peu d’exemplaires, ait pu disparaître pour se retrouver dans le salon de la reine? De quelle manière ma tante Adélaïde a-t-elle pu en faire présent à ma femme et dans quelles conditions s’en est-elle trouvée en possession, Balbastre servant d’intermédiaire ? Concevez que le bruit s’en soit répandu et que le ministre de Prusse ait saisi Vergennes, l’objet ayait été dérobé par une inconcevable audace dans les cabinets du roi Frédéric à Sans-Souci ! Et que cet objet réapparaisse à Versailles… Chez la reine ! Cela désormais nous menace d’un scandale et du discrédit. L’équilibre des alliances peut en être offensé, le nom et la réputation de la reine entachés, l’honneur de la couronne et l’autorité de l’État compromis.
- Votre Majesté pourrait-elle m’éclairer sur la nature de cet objet?
Le roi porta l’extrémité de la chose à sa bouche et souffla dedans, en tirant un son strident. À nouveau le jeune homme reparut sous le masque du souverain ; il éclata de rire devant la mine déconfite de Nicolas.
- Oui, oui, une flûte, Ranreuil. Qui l’eût cru ?
Il sortit un petit feuillet de tiroir et chaussa ses bésicles.
- Le baron de Golz, ministre de Prusse, a remis à Vergennes ce descriptif : « Dans un étui tabulaire en bois et os, une flûte tournée d’une seule pièce dans une dent de narval, un poisson licorne des mers boréales, finition marbre. Elle est flûte, notez-le, uniquement dans sa partie haute et hautbois dans sa partie basse, percée d’un double trou pour du sol, une clef de laiton courbe et forme trapézoïdale est montée sur une moulure en ivoire réversible donnant le mi sur la flûte ainsi que sur le hautbois, un capuchon à vis protège l’emplacement de l’anche, le pommeau en ivoire est également décoré imitation marbre, son joint avec la défense étant dissimulé par une bague en métal doré avec en dessous la marque SCHERER et le lion dressé. » Il paraît, acheva le roi avec malice, que la dent de narval est la panacée universelle contre les poisons. Elle permet de déceler leur présence. Mais celle-ci est un poison elle-même ! Ranreuil, reprit-il après un temps de réflexion, nous entendons que vous tiriez notre épingle de ce jeu dangereux. Je sais trop de gens dans cette cour, avides de…et je lis chaque semaine, apportés par Lenoir…
L’amertume lui crispa le visage.
- …trop de libelles, de pamphlets ignobles pour imaginer ce que cette affaire…
- Sire, dit Nicolas qui souffrait pour le roi, Votre Majesté peut être assurée que tout sera accompli afin d’éviter ce qu’elle redoute.
Il hésita avant de poursuivre. Un propos de Mme Campan résonnait dans sa tête qui éclairait beaucoup de choses.
- Je dois à la vérité et à la loyauté d’avouer à Votre Majesté que j’ai quelques soupçons sur l’origine de cette machination, car l’objet n’a pas pu parvenir dans les mains de la reine sans qu’une volonté mauvaise ne lui en facilite l’accès. Je ne peux dissimuler au roi que la reine… Enfin, on joue gros à Versailles…
Il se sentait rouge de confusion. Le roi crispé leva la main.
- J’achèverai, Ranreuil. La reine a des dettes. Je les paierai. Ne vous troublez point. Poursuivez.
- Votre Majesté me facilite la confidence. Profitant de l’indulgence de la reine, certains tentent de profiter des difficultés de sa cassette. Une intrigante, que je surveille et sur laquelle j’enquête, est sur le point de tomber dans nos rêts. Dimanche, après la messe, je compte pouvoir annoncer au roi qu’elle est convaincue de lèse-majesté et à la disposition de la justice.
Le roi se redressa, le teint animé.
- Qu’on ne décide rien sans nous en aviser. Tout doit être fait pour environner de ténèbres des tentatives qui affectent le trône.
Nicolas avait déjà entendu une sentence de ce genre dans la bouche de Sartine…
Jean-François PAROT, Le Cadavre anglais
Voici la bande-annonce de la série télévisée, qui résume assez bien les choses. Je ne l’ai malheureusement pas trouvée « seule » et visible en Belgique. Il m’a fallu passer par un magazine de programmes TV pour pouvoir vous la proposer et que vous puissiez la regarder.





Et puis, comme nous sommes à la veille d’un week-end, une autre lecture : un lien vers un blog ami où vous apprendrez bien d’autres choses passionnantes sur Frédéric de Prusse et pas que… ! Et puis il y a de la musique !
J’aime la description de la flute-hautbois.
Ce devait être un extraordinaire instrument, s’il a existé.. Pauvre poisson-licorne poison anti-poison!!
Et je continue mon périple littéraire ….
Je regarderai plus tard tes propositions de tv et blogami
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