Une nouvelle lecture partagée : bonne dégustation!
Sur les traces de Colette
Cerises, œufs de caille, patates douces, asperges blanches à six euros le kilo, abricots charnus (érotiques), haricots verts (importés du Kenya), seaux de pivoines et de roses, grappes de tomates rouge cramoisi – et toute l’effervescence du marché couvert d’Auxerre. Les clients remplissent leurs cabas aux étals de fruits et de légumes, les dames de la ferme sont venues avec leurs paniers d’œufs. Cela pourrait être un marché en Italie ou au Portugal. Mais il suffit de faire quelques pas pour être bien sûr d’être en France. Les étals de viande sont aussi soignés que les vitrines des bijoutiers du Ponte Vecchio. Les yeux comme des soucoupes, nous regardons les dindes bridées, farcies aux pruneaux, les paupiettes de porc, les jambons roses en gelée, les poulets aux pattes noires, les rôtis dans la crépine. Je compte jusqu’à vingt sortes de terrines : poisson, foie de ceci et de cela, « campagne », légumes, volaille. Les boulangers vendent des gougères – grosses comme des balles de base-ball – des pâtés en croûte, de bonnes miches rocailleuses de pain. Le fromage à lui seul justifie un voyage en France. À côté de moi, une femme en tâte discrètement plusieurs pendant que le crémier regarde ailleurs. Elle sait, du bout du pouce, apprécier la maturité. Puis elle se penche pour examiner la croûte. Elle fait part de son choix : la meule en question est compacte comme du beurre, lisse comme une peau de bébé. Ed choisit plusieurs chèvres fermiers, ronds et gonflés, de la taille d’un gros bouton de manteau. Deux vendeurs encaissent l’argent. Je règle l’un d’eux et nous nous éloignons. Le second crie qu’il faut le payer, le premier lui répond que c’est déjà fait, et il s’ensuit une querelle de famille à laquelle personne ne prête attention.
Frances MAYES, Saveurs vagabondes, Bourgogne : un presse-papiers pour Colette