Une nouvelle lecture partagée, bonne découverte!
Mémé
Un poulet de mémé nous faisait trois jours ou trois repas. Rôti le dimanche midi. Froid avec de la mayonnaise le dimanche soir. En vol-au-vent le lundi soir. Trois repas à quatre ou à cinq pour un poulet… un poulet de basse-cour, un poulet qui cherche sa pitance dans le sol, qui gratte avec ses pattes et pique avec son bec, un poulet qui connaît la pluie et le vent, le soleil, l’ombre, la vache, le marc de pommes et nos pétards du mois de juillet.
Avec ton frigo vide, on mangeait bien, même un simple steak saisi à la poêle se retrouvait avec un bon morceau de beurre sur le dos, un haché d’échalote et de persil, un jet de gros sel et un tour de moulin à poivre, on se battait pour saucer la poêle avec notre bout de pain mou.
Pour tenir le coup l’hiver, dans le froid, la pluie, le vent, lorsqu’il fallait planter des pieux, récurer une étable, couper du bois, mémé avait une arme secrète, une potion druidesque, une mixture, un feu d’artifice de sucres lents: « la Soupe au Riz », que nos oreilles distraites ont longtemps appelée « soupe pourrie ». Du riz cuit à saturation dans du lait entier cru, des pommes de terre et des tranches de pain rassis frottées à l’ail puis frites dans la poêle, une pincée de muscade, sel et poivre et au moment de servir un jaune d’oeuf et de la crème fraîche pour les plus coriaces…. Après vous pouvez camper à la belle étoile en terre Adélie.
Rien n’était gâché, jamais.
Une vieille poule efflanquée par son quota d’œufs pondus pour la bonne cause avait le droit de terminer sa vie dans un bain de crème, telle une Cléopâtre normande, des champignons coupés en quatre en guise de canards de bain (…)
Un terrible jour, ce principe de « on ne va pas gâcher ça » a atteint son point culminant. Nous avions mon petit frère et moi des cochons d’Inde, qui profitaient de nos vacances scolaires pour faire un stage de « réinsertion rongeurs » avec leurs cousins conils. Ils en revenaient en général toniques, boudant leur sciure urbaine et le couinement indien légèrement teinté d’accent normand… Et puis le drame est arrivé. La cage sous laquelle leur stage nature se déroulait devait être déplacée tous les matins pour avoir une nouvelle flaque d’herbe fraîche. Jusqu’ici nos cochons d’Inde comprenaient plus ou moins rapidement qu’il fallait se bouger le croupion en même temps que la cage s’ils ne voulaient pas se faire écrabouiller, visiblement un de nos amis devait penser à autre chose ou ne devait toujours pas arriver à comprendre le principe de cette cage mouvante car il s’est retrouvé coincé, le dos brisé, mort…
« On ne va pas gâcher ça »!!!
Au déjeuner, nous nous sommes attablés mon frère et moi devant un civet de cochon d’Inde avec carottes, pommes de terre et chipolatas que mémé nous avait cuisiné. On a chipoté notre cochon d’Inde en se regardant, pas fiers.
Philippe TORRETON, Mémé