Au fil des mots (102) : « renardeau »

La Cité des Anges

En Haute-Californie, très peu de gens savaient lire et écrire, sauf les missionnaires, qui bien qu’étant des hommes rudes, presque tous d’origine paysanne, avaient au moins un vernis de culture. Il n’y avait pas de livres disponibles et dans les rares occasions où arrivait une lettre, comme elle apportait sûrement une mauvaise nouvelle, le destinataire ne se pressait pas de la porter à un religieux pour qu’il la déchiffre ; mais Alejandro avait le prurit de l’éducation et il se battit pendant des années pour faire venir un maître d’école de Mexico. À cette époque, Los Angeles était déjà plus importante que la bourgade de quatre rues qu’il avait vue naître ; elle était devenue la halte obligatoire des voyageurs, un lieu de repos pour les marins des bateaux marchands, un centre de commerce de cette province. Monterrey, la capitale, était si loin que la plupart des affaires du gouvernement se réglaient à Los Angeles. Hormis les autorités et les officiers militaires, la population était mélangée, se qualifiant de gens de raison pour se distinguer des Indiens purs et des domestiques. Les Espagnols de sang pur constituaient une classe à part. La localité comptait déjà des arènes et une maison de tolérance flambant neuve composée de trois métisses à la vertu négociable et d’une opulente mulâtresse de Panamá, dont le prix était fixe et assez élevé. Il y avait un édifice spécial pour les réunions de l’alcade et des dirigeants, qui servait également de tribunal et de théâtre, où l’on présentait en général des opérettes, des oeuvres morales et des actes patriotiques. Sur la place d’Armes avait été construit un kiosque pour les musiciens qui animaient les après-midi à l’heure de la promenade, quand les jeunes célibataires des deux sexes, surveillés par leurs parents, se montraient en groupes, les jeunes filles marchant dans un sens et les jeunes hommes en sens inverse. En revanche, il n’existait pas encore d’hôtel ; en fait, dix ans allaient passer avant que le premier soit élevé ; les voyageurs étaient logés dans les maisons riches, où la nourriture et les lits pour recevoir ceux qui demandaient l’hospitalité ne firent jamais défaut. Au vu d’un tel progrès, Alejandro de La Vega considéra indispensable qu’il y eût aussi une école, bien que personne ne partageât son inquiétude. De ses propres deniers, seul et à la force du poignet, il réussit à fonder la première de la province, qui serait la seule pendant de nombreuses années.

L’école ouvrit ses portes juste au moment où Diego fêta ses neuf ans et où le père Bernardo annonça qu’il lui avait appris tout ce qu’il savait, sauf dire la messe et exorciser les démons. C’était une pièce aussi sombre et poussiéreuse que la prison, située à un angle de la place principale, pourvue d’une dizaine de bancs de fer et d’un fouet à sept lanières accroché près du tableau. Le maître était l’un de ces petits hommes insignifiants que le moindre soupçon d’autorité transforme en êtres brutaux. Diego eut la malchance d’être un de ses premiers élèves avec une poignée d’autres garçons, rejetons de familles honorables de la localité. (…)

Parmi les élèves il y avait García, fils d’un soldat espagnol et de la propriétaire d’une taverne, un enfant d’une intelligence limitée, grassouillet, aux pieds plats et au sourire nigaud, victime préférée du maître et des autres élèves qui le tourmentaient sans arrêt. Par un désir de justice que lui-même ne parvenait pas à s’expliquer, Diego devint son défenseur, gagnant l’admiration fanatique du gros garçon.

Isabel ALLENDE, Zorro

6 commentaires sur “Au fil des mots (102) : « renardeau »

  1. Fausse manœuvre! J’avais écrit une note pour aujourd’hui et une pour hier……. et boum! Disparue!!
    Zorro n’est pas arrivé pour les sauver à temps..
    Et justement je n’ai plus le temps….donc demain sera un autre jour, ha ha

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  2. Ahhhhhh! Nos voisins turbulents du dessous semblent vouloir encore vénérer leur gourou fou et dangereux pour 4 autres années….
    Attendons le comptage des votes anticipés, tous démocrates car ceux là craignent le covid à juste titre.
    Quelle société cassée, pourrie, affolée, rien de bon ne sortira de cela, quelque soit le gagnant.
    Mais le Cortes orange a décidé que la fête est finie…. » je suis président » et une moitié des gens va être heu-reu-se, l’autre va grogner à juste titre…..
    Quel voisinage!
    Quel infamie.
    Il faudrait aussi commencer par:
    Non, les USA ne sont ni le gendarme du monde, ni le top du top des sociétés.
    Une parmi d’autres…..et pas dans les meilleures!
    Et les bourses et autres entités s’alignent encore la dessus. Gravissime erreur.:
    leur déficit est égal à leur PIB!!!
    Et les gens qui votent pour lui disent « c’est le meilleur gestionnaire d’affaires que nous avons eu depuis le début ! »
    Donc comme les neurones se font rares, goûtons à juste titre et avec gourmandise le lieu où nous vivons, quelle chance nous avons! Réjouissons nous, tant que nous le pouvons encore.
    Et non, je n’ai jamais pensé au gourou comme un Zorro, mais bien plutôt à un Cortes ravageur…..

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  3.  » Zorro est arrivé.é é …. » , quelques paroles fredonnées au sortir du cinéma de quartier ou immanquablement après revu ces vieux films à la TV . Le livre est plaisant à lire , on se met à imaginer ce Justicier sur tous les fronts ; les images défilant comme dans un film et avec une fin très surprenante présageant une longue vie à Zorro ….ou en son nom . Parfois , je voudrais pouvoir agir en  » justicier  » dans certaines circonstances de la vie ou envers quelque personne mais heureusement le temps arrange bien certaines tempêtes intérieures .

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