Ah, la Chine ! Ses virus et ses vaccins… quelle saga ! Malgré tout, question méthode de vaccination, on échappe au pire…
Je m’occupai aussi d’assurer ma santé. La vermine ne m’ayant pas dédaignée lors de mes vagabondages mandchouriens – c’est par les poux que se transmet le typhus – , je tenais à ne pas être à la merci d’un parasite dans cette Chine où je séjournerai peut-être plus longtemps que je ne pensais.
Depuis deux ans, les missionnaires sont immunisés contre le typhus exanthématique par un nouveau vaccin, fabriqué uniquement à Pékin.
Devant me faire injecter à trois reprises par le docteur Tchang, quelque quatre ou cinq milliards de germes fournis par deux cents poux environ, j’eus le loisir de visiter le laboratoire de l’université de Fujen. J’eus grand-peine à y entraîner Peter, qui prétendait que jamais un pou n’oserait attaquer sa peau de « dur à cuire ». Je lui fis observer que s’il tombait malade, j’aurais à le soigner, et qu’il me devait donc obéissance sur ce point.
Ce vaccin de Weigl est fait selon un procédé si curieux que j’en dirai quelques mots. On injecte à un cobaye le sang d’un malade atteint du typhus. Au bout de quinze jours, lorsque le cobaye est bien souffrant, on l’anesthésie, on lui ouvre le crâne, on enlève la matière cérébrale, virulente au plus haut degré.
Mais il s’agit encore de transmettre la maladie à des poux avant de pouvoir faire un vaccin utile à l’homme et c’est pour cela que le laboratoire de Pékin possède un élevage, unique au monde, de ces insectes.
Pour nourrir les poux, des Chinois guéris du typhus, et donc immunisés, viennent deux fois par jour leur servir de pâture. Une demi-heure, les poux sucent le sang qui leur est nécessaire. Chaque homme en nourrit deux cents sur ses jambes, répartis dans de petites boîtes dont un côté grillagé est maintenu contre la peau. Dans ces boîtes, sur un chiffon, sont posés leurs oeufs, qu’on recueille pour avoir des couvées du même âge.
« Ces nourrisseurs de poux, écrit le père Rutten, sont souvent des mendiants en haillons ; ils sont agréablement surpris aujourd’hui de recevoir un salaire pour nourrir des parasites qu’ils avaient hébergés gratuitement à toute heure du jour et de la nuit. »
Quand les poux ont dix jours, il est temps de les contaminer : au moyen d’une canule, on leur injecte dans l’intestin un peu de la matière cérébrale du cobaye typhique ; quelques jours plus tard les microbes pullulent. C’est alors qu’aidé d’un scalpel, on dissèque les poux ; leur intestin est placé dans l’eau phéniquée ; le liquide est broyé, clarifié, maintenu à soixante-dix degrés pendant une demi-heure… et le vaccin est prêt.
Ella MAILLART, Oasis interdites 1935, PAYOT
Ci-dessus, les patients nourrisseurs de poux, université de Pékin avec les petites boîtes attachées aux jambes.
Fin du mois de décembre 2020, la cathédrale Saint-Paul de Liège s’est enfin révélée, libérée de ses échafaudages et de ses bâches après une rénovation de plus de 7 ans. Le test avant/après est sans appel.
Le premier élément fort de cette rénovation fut la pose de nouveaux vitraux. La série géométrique de Gottfried Honneger et celle du père Kim En Joong ont été réalisées par l’Atelier Loire.
L’atelier Loire. Nous avons donc à Liège des vitraux de cet atelier mythique ?!?! Trois générations de maîtres-verriers aux réalisations qui firent date.
Le patriarche, celui par qui tout commence: Gabriel. Né en 1904, il suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts d’Angers, cultive sa foi chrétienne auprès de Jésuites, et consacre sa thèse de fin d’études au vitrail. Il décide de partir travailler dans l’unique atelier de vitraux de l’époque, l’atelier Lorin à Chartres. Devenu associé, il se sent pourtant très vite à l’étroit dans ces traditions héritées du 19ème siècle et reprend sa liberté en 1936. Mais une clause de non-concurrence l’obligeant à ne plus travailler le vitrail pendant 10 ans, il doit se tourner alors d’autres techniques : la céramique, la mosaïque, la sculpture, la création de mobilier. Il peint, dessine, fonde une famille nombreuse, développe de nouvelles techniques et se rapproche de l’esthétique du Bauhaus. Mais le vitrail ! Le vitrail le rappelle, c’est son truc, c’est là qu’il va innover et exceller. Il achète une propriété avec château, bâtiments et dépendances (que la famille occupe toujours aujourd’hui), trouve du travail tout d’abord dans la reconstruction d’après-guerre puis se tourne enfin vers le vitrail en dalle de verre, jouant avec le rythme, la couleur, l’émotion même de l’abstrait. Ses compositions vibrent et fascinent. Voici celle qui va changer sa vie et le rendre célèbre à jamais: l’Église du Souvenir à Berlin. Mais oui, vous la connaissez tous de l’extérieur, deux masses de béton entourant les ruines de la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche . Mais l’avez-vous déjà vue de l’intérieur et/ou illuminée ?
À partir de 1960, des centaines de réalisations vont se succéder. Notamment la Thanksgiving Square Chapel de Dallas
Et la tour des Oiseaux (ou de la symphonie) à Hakoné au Japon…
Peut-on imaginer la splendeur visuelle quand on entre dans de tels endroits ?
En 1970, Gabriel confie la direction de l’atelier à son fils Jacques puis a la joie de travailler pour des projets de vitraux, mosaïques et peintures murales avec lui et ses deux petits-fils Bruno et Hervé. Jacques se focalise sur le Japon, Hervé dirige notamment les prestigieux chantiers de restauration de vitraux, comme ceux de la Cathédrale de Chartres, du Château de Chambord ou de la Cathédrale de Versailles.
On peut remarquer que souvent le fameux Bleu de Chartres enchante ces vitraux. Visitez les galeries de photos sur Internet pour voir les merveilles que cet Atelier et ces créateurs ont produites.
Et voici le documentaire GEO qui m’a fait tout découvrir… Les deux ateliers, Lorin et Loire, aux mains des jeunes avec la passion et la compétence! Et cette cathédrale, c’est une merveille visitée de jour comme de nuit, on a envie d’y être! Attention, vidéo visible jusqu’au 16 mars via ARTE, on verra ensuite…
52 minutes de bonheur absolu. Regardez-la, plein écran indispensable. Vous serez subjugués, c’est bon par les temps qui courent !
« L’amour qui sommeille dans un souffle irréel » (Vanessa Paradis)
Dominique Bona, en trois livres, est devenue chère à mon coeur. Fille d’Arthur Conte, adoubée en littérature par Jean d’Ormesson et reçue à l’Académie Française par le discours de Jean-Christophe Rufin, elle ne pouvait que me plaire ! Auteur de romans souvent récompensés par des prix, elle est surtout aujourd’hui une biographe. J’ai lu avec gourmandise ses biographies de Berthe Morisot, des soeurs Rouart et de Colette. La lecture de « Mes vies secrètes » m’a donné une furieuse envie de dévorer celles sur Romain Gary, sur Stefan Zweig, sur Clara Malraux et l’étonnante Gala qui vogua entre Éluard et Dalì. Elles sont commandées, elles vont tomber dans mon escarcelle et je m’en pourlèche déjà les babines !
Dans ses biographies, elle a le grand talent de nous prendre par la main et de nous inviter dans le cercle familier de la personnalité qu’elle nous dévoile. Tout semble naturel grâce à une incroyable documentation qu’elle domine parfaitement et qu’elle a totalement phagocytée, et à un style jamais pédant mais plein d’empathie pour son personnage comme pour son lecteur. Des heures merveilleuses m’attendent !
Mais revenons à « Mes vies secrètes ». Bona y reparle de Paul et Camille Claudel dont elle avait déjà fait une biographie en miroir. Des pages souvent déchirantes. Ici, elle nous gratifie tout de même d’une éclaircie : la relation Camille Claudel/ Claude Debussy. Sans aucun doute une amitié amoureuse pour le compositeur qui lui restera fidèle en mettant à tout jamais en bonne place sur son piano, un exemplaire de « La Valse ». Dix pages dont je vous ai extrait les temps forts en tentant de faire un récit cohérent.
Quelques clichés de Camille…
Parmi ces divers scénarios imaginaires, dont le déroulement parallèle peut donner le vertige, un surtout me laisse des regrets : c’est une rencontre qui a réellement eu lieu mais comme une occasion manquée, l’esquisse d’une aventure qui n’a pas été. J’ai vraiment failli écrire, telle une belle uchronie, ce chapitre dont je me sentais frustrée : l’histoire d’amour de Camille Claudel et de Claude Debussy.
À trente ans, à la date de cette rencontre, Camille était d’une beauté sauvage, sans aucune affectation de coquetterie. Grande, avec un corps sculptural, des yeux d’une bleu profond, une sensualité d’allure et de mouvement, elle n’était pas d’un abord facile. Trop franche, trop souvent ironique, avec un humour propre à déstabiliser, sinon à agacer son interlocuteur, elle détonnait dans les salons mondains, presque autant que son frère Paul. Fiers et peu portés à la tolérance, incapables de surcroît de feindre la moindre hypocrisie, cet ingrédient de la vie sociale, tous deux portaient gravés dans leurs personnalités arrogantes le sceau des Claudel : mélange d’orgueil et de brutalité qui les mettait à part. Aucune réserve, aucune douceur dans le comportement de Camille, qui se déplaçait telle une reine d’une tribu barbare, au milieu des bourgeoises raffinées, à l’élégance codifiée auxquelles le monde parisien est habitué. (…) Debussy a compté, dès leur première rencontre, parmi ses admirateurs.(…)
Camille n’aimait pas la musique. Elle le disait sans se gêner : elle n’avait pas d’oreille. La musique l’ennuyait, elle la trouvait « embêtante » et lui préférait le silence. Ou le bruit du burin, le son familier, enivrant, des coups de marteau sur les blocs de marbre, d’où sortiraient les visages d’un Niobide, de Méduse ou de Psyché. Il a été l’exception, parmi les musiciens de tous pays et de tous temps, de Bach à Vincent d’Indy, qui ennuyaient Camille. Elle a aimé la musique de Debussy. Et l’homme qui la composait ne l’a pas laissée indifférente.
Robert Godet, journaliste politique au Temps, ami du compositeur, raconte un de ces moments où Camille s’est laissé par exception apprivoiser. Alors que toute soirée musicale représentait pour elle une épreuve, elle ne montrait aucun signe d’agacement et semblait pour une fois absorbée par ce qu’elle entendait. Selon Godet, quand Debussy cessa de jouer et qu’il se frottait les mains, devenues glacées tout à coup, elle l’aurait pris par le bras et conduit près de la cheminée, en lui disant : « Sans commentaires, monsieur Debussy! » – sa manière à elle, laconique et brutale, de lui exprimer son admiration. Ni l’un ni l’autre n’étaient de grands bavards.
De son côté, on l’apprend encore par Godet, Debussy était amoureux de La Petit Châtelaine et en avait acquis un exemplaire. Il aimait aussi beaucoup Clotho, l’âpre figure de la vieillarde, aux traits creusés de rides profondes, méchantes, mais où, contre toute attente, la main de Camille a mis sa touche de tendresse. Mais la sculpture que le musicien préférait et qu’il avait achetée elle aussi, c’est La Valse – on l’aurait deviné : ce couple de danseurs lascivement enlacés, emportés par le mouvement de la musique. Sans doute a-t-il pu s’étonner que Camille, prétendument étrangère à son art, ait pu saisir l’union si parfaitement musicale du couple et en traduire la mélodie avec ses pleines mains de sculptrice. Cette Valse de Camille, Debussy l’avait placée sur son piano. Elle y est restée jusqu’à sa mort. Quand il levait les yeux de son clavier, c’est elle qu’il voyait. (…)
Quel lien a été le leur ? Jusqu’où se sont-ils admirés, estimés mutuellement? Comme le couple aussi mystérieux qu’aléatoire formé par Berthe Morisot et Manet, ce lien – s’il a existé – est resté secret. Aucune lettre d’amour, ni aucun témoignage ne l’atteste. On apprend que les deux artistes se sont retrouvés à Bruxelles, en 1894, pour participer au Salon de la Libre Esthétique, salon qui réunissait peintres, sculpteurs, écrivains et musiciens. Mais on ne sait rien de plus. Malgré mes efforts, je n’ai pu obtenir aucune matière biographique pour étoffer le récit de leurs relations. Le journal que Paul Claudel commence à tenir, à peu près à la date à laquelle Camille fréquente Debussy, est désespérément vide à leur sujet. Rien non plus dans les Mémoires des contemporains. Rien, pour justifier le chapitre que j’avais tellement envie d’écrire et que j’ai été tentée d’inventer. (…)
Que se serait-il passé si au lieu de se laisser mourir à petit feu à cause de Rodin, Camille s’était accordé, ne serait-ce qu’une aventure avec Debussy ? Est-ce qu’elle n’aurait pas gagné un regain de vie, avec un peu de bonheur ? Ou ne pouvait-elle être sauvée ? N’y avait-il vraiment aucune issue, aucune échappatoire à sa malédiction?
Seule, une mystérieuse lettre de Debussy entretient le rêve. Adressée au fidèle Robert Godet, le compositeur se plaint d’endurer les conséquences d’une liaison malheureuse et le fait en termes empruntés au royaume végétal dont il est familier : « J’ai laissé beaucoup de moi accroché à ces ronces… » Il ne révèle pas le nom de la femme qui l’a fait souffrir – grâce à quoi tous ses biographes ont élaboré les scénarios les plus divers. J’aurais voulu écrire le nom de Camille, à la place du « elle », l’énigmatique pronom personnel qui désigne cette anonyme : « Ah! je l’aimais vraiment bien et avec d’autant plus d’ardeur triste que je sentais par des signes évidents que jamais elle ne ferait certains pas qui engagent toute une âme et qu’elle gardait inviolable à des enquêtes sur la solidité de son coeur. »
L’échange n’a pas eu lieu. Debussy n’a pas remplacé Rodin. Et Camille est restée seule, à trente-cinq ans, avec son chagrin. Ces mots de Debussy, à la fin de sa lettre à Godet, sont aussi les miens, ceux d’une biographe contrariée dans ses élans : « Malgré tout, je pleure sur la disparition du rêve de ce rêve. »
Dominique BONA, Mes vies secrètes (13. Les promesses amoureuses non tenues – page 244 à 257 – collection Folio)
S’il est un domaine dans lequel les femmes n’ont pas tardé à s’exprimer, c’est celui de l’exploration des terres lointaines, des mers et des airs : dès la fin du 18ème siècle, et souvent déguisées en homme quand il s’agissait de s’embarquer puisque les femmes étaient interdites à bord. Ainsi la première à être répertoriée en tant qu’exploratrice, c’est Jeanne Barret ou Baré (1740-1807) qui partit faire le tour du monde avec l’expédition de Bougainville comme botaniste. Ou encore la célébrissime Calamity Jane (1852-1903), qui déjà de son vivant, était une légende des plaines du Far-West ! Et que dire de ces vaillantes alpinistes qui bravaient glaciers et crevasses en robes et corsets (extraordinaire, cette photo sur la Mer de glace)!
Mais les superstars dans le domaine de ces pionnières sont sans conteste Isabelle Eberhart (1877-1904) qui explora l’Algérie et se convertit à l’islam, et Alexandra David-Neel (1868-1969) qui fit découvrir le Tibet et sa capitale Lhassa aux Européens.
Depuis la seconde moitié du 20ème siècle, l’aventure a pris un caractère plus sportif (sauf la conquête de l’espace) : on performe sur les mers, on conquiert les montagnes, on traverse les déserts et les forêts équatoriales en raids, en trails et en rallyes automobiles…
Et pourtant… La femme dont je voudrais vous parler est une aventurière à l’ancienne mais une pionnière bien posée dans son époque puisqu’elle fréquentait les studios de télévision et leurs émissions emblématiques (notamment Apostrophes de Bernard Pivot en 1989 dans l’émission « La vie est un long fleuve tranquille »!). Elle a répondu à des centaines d’interviews qui ont servi à la création de nombreux documentaires, dont celui que j’ai pu voir sur TV5 il y a quinze jours. J’ignorais tout d’elle, jusqu’à son nom. Quelle découverte !
La voici entre Alexandra David-Neel (encore cantatrice) et Isabelle Eberhardt en matelot…
Elle naît en 1903 au bord du lac Léman dans une famille très large d’esprit qui favorise son épanouissement. Elle est de santé fragile, elle fera donc du sport : elle crée le premier club féminin de hockey sur gazon au monde, fait du ski et de la voile. Elle a comme amie d’enfance Hermine de Saussure (l’arrière-arrière-petite-fille d’Horace Benedict de Saussure, considéré comme l’inventeur de l’alpinisme et dont la statue emblématique, en compagnie de Jacques Balmat, montre à tous le Mont-Blanc à Chamonix). Elles participent à des régates en Méditerranée, en mer Égée, se nourrissent de l’antiquité et de ses voyages fabuleux puis se passionnent pour la traversée de l’atlantique en solitaire d’Alain Gerbault. À quatre filles, elles décident de rééditer cet exploit mais Hermine, « Miette », tombe enceinte, se marie avec Henri Seirig (avec lequel elle aura l’actrice Delphine Seirig) et déclare forfait. Sans armateur ni capitaine, voilà la grande aventure maritime qui prend fin. En 1924, ma belle aventurière barre pour la Suisse aux Jeux Olympiques de Paris, seule femme de la compétition. Puis elle est actrice (en doublant certaines très célèbres dans des scènes d’action), professeur de français à Londres et à New York ; dirige l’équipe olympique suisse de hockey, est membre de celle de ski aux championnats du monde de de 1931 à 1934. Mais elle sent son destin lui filer entre les mains. Il est temps de redonner du sens à sa vie, l’envie de faire du reportage la saisit.
En 1929, elle a rencontré des athlètes russes, ils l’ont fascinée. Alors c’est en Russie qu’elle veut entamer sa nouvelle carrière et la veuve de Jack London en personne va lui apporter son soutien.
Mais qui est cette femme étonnante ? me direz-vous.
Ella Maillart (1903-1997).
Vous connaissez ? Moi pas, mais pas du tout, j’avoue humblement. Malgré la lecture de bien des livres de montagne et d’exploration, jamais son nom ne m’est apparu. Et pourtant, elle en a écrit des livres, elle en a laissé des photos, elle en a fait des voyages extraordinaires !
En 1930, la voilà donc en Russie. Elle fait paraître un premier livre « Parmi la jeunesse russe » qui déclenche un véritable scandale à Genève. Toute sa vie durant, on lui reprochera d’avoir eu une vision partisane et d’avoir occulté la réalité de la vie en URSS. Mais elle y retourne et parcourt le Caucase et ses vallées inconnues. Elle découvre les Kirghizes, les Kazakhs et les Ouzbeks et du haut d’une montagne, le désert de Takla Makan en Chine. Il est interdit ? elle y reviendra ! Suit un deuxième livre : « Des Monts célestes aux sables rouges » complété par ses photos et ses films. Elle a voyagé sans passeport, sans permis, évitant tout contact avec les autorités, regagnant seule l’Europe par les républiques musulmanes (où elle découvre la répression des autorités soviétiques), un gros sac comme seul bagage. Les grands journaux européens la courtisent, elle est traduite en anglais…
Jusque là, ses notes, ses photos ne sont que des témoignages ethnographiques, sans valeur littéraire ou artistique, pense-t-elle.
Mais les journaux et les maisons d’édition se pressent au portillon, a-t-elle vraiment un don littéraire? Et ses photos ? La présentation d’une seule, celle ci-dessous, à la prestigieuse maison Leica dont elle utilise un appareil, va lui permettre de posséder une véritable indépendance : un sponsoring total.
Ella va encore faire deux grandes et belles rencontres.
De 1934 à 1937, elle voyage pour Le Petit Parisien. Sa route va croiser celle de Peter Fleming, aventurier et espion qui servira de modèle à son frère Ian Fleming pour créer le personnage de James Bond. Tout un programme ! Ils vont notamment faire la route Pékin-Srinagar en évitant tous les postes de contrôles. Deux témoignages différents : Ella écrit « Oasis interdites » ; Peter, « News of Tartary ».
Elle repart seule en Turquie, en Inde, en Iran, en Afghanistan utilisant les camions et les autobus. Puis en 1939, elle rencontre Annemarie Schwarzenbach et sa superbe Ford. Elles parcourent ensemble tous ces pays fabuleux, Ella espérant ainsi la libérer de la drogue. Peine perdue, elles se quittent.
Ci-dessus, le tracé de tous les voyages effectués par Ella
C’est la Seconde Guerre Mondiale. Traumatisée par la Première et refusant de voir encore une fois les hommes s’entretuer, elle décide de rester en Inde, vivant de ses droits d’auteur et recherchant une vie complète et harmonieuse, étudiant tous les textes porteurs de sagesse.
Puis elle rentre en Europe et s’établit dans le Val d’Anniviers. Pendant les 25 années suivantes, elle va organiser des voyages culturels notamment au Népal qui vient d’ouvrir se frontières.
Jusqu’à la fin de sa vie, elle écrit, réunit ses photographies, témoignages d’un monde disparu et fascinant, et se préoccupe des enjeux écologiques pour une planète qu’elle a tant aimée. Elle s’éteint à 94 ans.
Un tout petit film qui illustre bien mon propos.
Et si cette femme extraordinaire vous intéresse, voici le lien vers le documentaire de la RTS, que j’ai découvert sur TV5 (45 minutes environ) et il en existe bien d’autres, parcourez Youtube ! Cette femme est décidément une icône et je ne la connaissais pas…
J’ai commandé « Oasis interdites », le récit de sa découverte d’une région du monde que j’ai moi-même visitée (le Cachemire et l’Himalaya indien à la frontière sino-pakistanaise) , je me réjouis de cette lecture. Je vous tiendrai au courant !