« L’amour qui sommeille dans un souffle irréel » (Vanessa Paradis)
Dominique Bona, en trois livres, est devenue chère à mon coeur. Fille d’Arthur Conte, adoubée en littérature par Jean d’Ormesson et reçue à l’Académie Française par le discours de Jean-Christophe Rufin, elle ne pouvait que me plaire ! Auteur de romans souvent récompensés par des prix, elle est surtout aujourd’hui une biographe. J’ai lu avec gourmandise ses biographies de Berthe Morisot, des soeurs Rouart et de Colette. La lecture de « Mes vies secrètes » m’a donné une furieuse envie de dévorer celles sur Romain Gary, sur Stefan Zweig, sur Clara Malraux et l’étonnante Gala qui vogua entre Éluard et Dalì. Elles sont commandées, elles vont tomber dans mon escarcelle et je m’en pourlèche déjà les babines !




Dans ses biographies, elle a le grand talent de nous prendre par la main et de nous inviter dans le cercle familier de la personnalité qu’elle nous dévoile. Tout semble naturel grâce à une incroyable documentation qu’elle domine parfaitement et qu’elle a totalement phagocytée, et à un style jamais pédant mais plein d’empathie pour son personnage comme pour son lecteur. Des heures merveilleuses m’attendent !
Mais revenons à « Mes vies secrètes ». Bona y reparle de Paul et Camille Claudel dont elle avait déjà fait une biographie en miroir. Des pages souvent déchirantes. Ici, elle nous gratifie tout de même d’une éclaircie : la relation Camille Claudel/ Claude Debussy. Sans aucun doute une amitié amoureuse pour le compositeur qui lui restera fidèle en mettant à tout jamais en bonne place sur son piano, un exemplaire de « La Valse ». Dix pages dont je vous ai extrait les temps forts en tentant de faire un récit cohérent.
Quelques clichés de Camille…




Parmi ces divers scénarios imaginaires, dont le déroulement parallèle peut donner le vertige, un surtout me laisse des regrets : c’est une rencontre qui a réellement eu lieu mais comme une occasion manquée, l’esquisse d’une aventure qui n’a pas été. J’ai vraiment failli écrire, telle une belle uchronie, ce chapitre dont je me sentais frustrée : l’histoire d’amour de Camille Claudel et de Claude Debussy.
À trente ans, à la date de cette rencontre, Camille était d’une beauté sauvage, sans aucune affectation de coquetterie. Grande, avec un corps sculptural, des yeux d’une bleu profond, une sensualité d’allure et de mouvement, elle n’était pas d’un abord facile. Trop franche, trop souvent ironique, avec un humour propre à déstabiliser, sinon à agacer son interlocuteur, elle détonnait dans les salons mondains, presque autant que son frère Paul. Fiers et peu portés à la tolérance, incapables de surcroît de feindre la moindre hypocrisie, cet ingrédient de la vie sociale, tous deux portaient gravés dans leurs personnalités arrogantes le sceau des Claudel : mélange d’orgueil et de brutalité qui les mettait à part. Aucune réserve, aucune douceur dans le comportement de Camille, qui se déplaçait telle une reine d’une tribu barbare, au milieu des bourgeoises raffinées, à l’élégance codifiée auxquelles le monde parisien est habitué. (…) Debussy a compté, dès leur première rencontre, parmi ses admirateurs.(…)
Camille n’aimait pas la musique. Elle le disait sans se gêner : elle n’avait pas d’oreille. La musique l’ennuyait, elle la trouvait « embêtante » et lui préférait le silence. Ou le bruit du burin, le son familier, enivrant, des coups de marteau sur les blocs de marbre, d’où sortiraient les visages d’un Niobide, de Méduse ou de Psyché. Il a été l’exception, parmi les musiciens de tous pays et de tous temps, de Bach à Vincent d’Indy, qui ennuyaient Camille. Elle a aimé la musique de Debussy. Et l’homme qui la composait ne l’a pas laissée indifférente.
Robert Godet, journaliste politique au Temps, ami du compositeur, raconte un de ces moments où Camille s’est laissé par exception apprivoiser. Alors que toute soirée musicale représentait pour elle une épreuve, elle ne montrait aucun signe d’agacement et semblait pour une fois absorbée par ce qu’elle entendait. Selon Godet, quand Debussy cessa de jouer et qu’il se frottait les mains, devenues glacées tout à coup, elle l’aurait pris par le bras et conduit près de la cheminée, en lui disant : « Sans commentaires, monsieur Debussy! » – sa manière à elle, laconique et brutale, de lui exprimer son admiration. Ni l’un ni l’autre n’étaient de grands bavards.
De son côté, on l’apprend encore par Godet, Debussy était amoureux de La Petit Châtelaine et en avait acquis un exemplaire. Il aimait aussi beaucoup Clotho, l’âpre figure de la vieillarde, aux traits creusés de rides profondes, méchantes, mais où, contre toute attente, la main de Camille a mis sa touche de tendresse. Mais la sculpture que le musicien préférait et qu’il avait achetée elle aussi, c’est La Valse – on l’aurait deviné : ce couple de danseurs lascivement enlacés, emportés par le mouvement de la musique. Sans doute a-t-il pu s’étonner que Camille, prétendument étrangère à son art, ait pu saisir l’union si parfaitement musicale du couple et en traduire la mélodie avec ses pleines mains de sculptrice. Cette Valse de Camille, Debussy l’avait placée sur son piano. Elle y est restée jusqu’à sa mort. Quand il levait les yeux de son clavier, c’est elle qu’il voyait. (…)

Quel lien a été le leur ? Jusqu’où se sont-ils admirés, estimés mutuellement? Comme le couple aussi mystérieux qu’aléatoire formé par Berthe Morisot et Manet, ce lien – s’il a existé – est resté secret. Aucune lettre d’amour, ni aucun témoignage ne l’atteste. On apprend que les deux artistes se sont retrouvés à Bruxelles, en 1894, pour participer au Salon de la Libre Esthétique, salon qui réunissait peintres, sculpteurs, écrivains et musiciens. Mais on ne sait rien de plus. Malgré mes efforts, je n’ai pu obtenir aucune matière biographique pour étoffer le récit de leurs relations. Le journal que Paul Claudel commence à tenir, à peu près à la date à laquelle Camille fréquente Debussy, est désespérément vide à leur sujet. Rien non plus dans les Mémoires des contemporains. Rien, pour justifier le chapitre que j’avais tellement envie d’écrire et que j’ai été tentée d’inventer. (…)
Que se serait-il passé si au lieu de se laisser mourir à petit feu à cause de Rodin, Camille s’était accordé, ne serait-ce qu’une aventure avec Debussy ? Est-ce qu’elle n’aurait pas gagné un regain de vie, avec un peu de bonheur ? Ou ne pouvait-elle être sauvée ? N’y avait-il vraiment aucune issue, aucune échappatoire à sa malédiction?
Seule, une mystérieuse lettre de Debussy entretient le rêve. Adressée au fidèle Robert Godet, le compositeur se plaint d’endurer les conséquences d’une liaison malheureuse et le fait en termes empruntés au royaume végétal dont il est familier : « J’ai laissé beaucoup de moi accroché à ces ronces… » Il ne révèle pas le nom de la femme qui l’a fait souffrir – grâce à quoi tous ses biographes ont élaboré les scénarios les plus divers. J’aurais voulu écrire le nom de Camille, à la place du « elle », l’énigmatique pronom personnel qui désigne cette anonyme : « Ah! je l’aimais vraiment bien et avec d’autant plus d’ardeur triste que je sentais par des signes évidents que jamais elle ne ferait certains pas qui engagent toute une âme et qu’elle gardait inviolable à des enquêtes sur la solidité de son coeur. »
L’échange n’a pas eu lieu. Debussy n’a pas remplacé Rodin. Et Camille est restée seule, à trente-cinq ans, avec son chagrin. Ces mots de Debussy, à la fin de sa lettre à Godet, sont aussi les miens, ceux d’une biographe contrariée dans ses élans : « Malgré tout, je pleure sur la disparition du rêve de ce rêve. »
Dominique BONA, Mes vies secrètes (13. Les promesses amoureuses non tenues – page 244 à 257 – collection Folio)
Quelques clichés de Debussy…




Camille, Rodin et Debussy réunis…
Ce que tout ça est triste.
Occasion de bonheur, même éphémère, manqué?
La sculpture de la valse est incroyablement enveloppante de tendresse. Je ne connaissais pas…ni Debussy!
Plus de mode je suppose. J’ai plusieurs chaînes de musiques classiques, et où « modernes » cad du 20 eme, et on n’entend jamais ce compositeur.
Schuman revient à peine sur le plateau, mais avec beaucoup de timidité.
Je vais aller chercher la biographie recomposée de Colette.
En plus je ne connaissais pas non plus Dominique Bona!
Merci cousine, plein de lacunes à réorganiser. Scron-gneu-gneu: j’arrive à peine à me faire de la place dans mes bibliothèques en donnant beaucoup de livres, que déjà j’ai des projets de les remplir à nouveau.
Allez je ne boude pas mon plaisir.
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Je viens de visionner un magnifique enregistrement de Péleas et Mélisande depuis Vienne. Tes extraits ci-dessus nous plongent également dans les mystères et les difficultés de communication amitié/amour. Peut-être une oeuvre de Debussy à faire découvrir à ta cousine. Cette musique est sublime et tellement poétique. Et comme Arkel, elle pourra dire à Camille et Claude : Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du coeurs des Hommes…
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Il y a des compositeurs qui vivent des traversées du désert de la part des mélomanes et des professionnels de la musique. Grâces et disgrâces de la mode. Le cas de Debussy est particulier. Mon professeur d’histoire de la musique m’a souvent dit que s’il programme l’analyse d’une oeuvre de Debussy, pas grand monde se présente au cours… et pourtant ce sont des mélomanes avertis et souvent passionnés! Je me souviens être allée à un superbe concert un peu avant le 1er confinement, l’OPRL y donnait La Mer, une superbe interprétation tantôt chatoyante, tantôt dramatique, enivrante à mon humble avis. Le lendemain, je rencontre une amie mélomane qui était également au concert et qui me dit qu’elle s’y est prodigieusement ennuyée, que cette oeuvre lui est décidément insupportable… Debussy focalise de l’amour et de la haine de façon irrationnelle, un peu comme Wagner. Prononcer leur nom déclenche des réactions violentes même chez ceux qui n’en ont jamais entendu une note ! Chère Dominique, je sais que tu aimes la musique orchestrale, pourquoi ne pas commencer la découverte de « Claude de France » par le Prélude à l’après-midi d’un faune ou La Mer, cette pièce qui te rappellera peut-être tes grandes marches le long de l’océan du côté de Vancouver (dont tu me parlais avec émerveillement) ? J’aime particulièrement l’interprétation de ces deux pièces par Pierre Boulez avec l’Orchestre de Paris, un très vieil enregistrement dans lequel Boulez fait ressortir toute la modernité de cette musique. Mais il y en a tant d’autres ! Et puis l’oeuvre pour piano… Pelléas, je l’ai vu il y a très très longtemps, 50 ans ? C’était à Liège avec Bacquier en Golaud. Et cela ne m’avait pas particulièrement emballée. Peut-être devrais-je m’y remettre ? Quant à Camille Claudel, nous avons eu la chance de voir un exemplaire de La Danse au Louvre-Lens lors de l’expo Amours. Une petite statue fascinante, vibrante ! Bonne journée à vous deux, je fais une descente à Liège chercher mon livre d’Ella Maillart ! 0°C et soleil, ça devrait aller…
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Rita, tu dois absolument réécouter Pelléas et Mélisande. Il y a 50ans, pas sûr que je l’aurais apprécié non plus… Mais avec la maturité, cette œuvre est assez bouleversante. Évidemment c’est un Wagnérien convaincu qui te parle….et il y a beaucoup de points communs dans leurs œuvres, malgré leurs différences.
Avec notre José (l’autre 😉 ) par exemple : https://youtu.be/kYVA9QcePhw
Bonne fin de journée
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Bon, je vois que mes deux mélomanes me conseillent gentiment. Je vais m’y mettre avec ouverture d’oreille et de cœur.
Je vais bien voir si le cœur et le tympan se réjouissent!
Mais ta remarque est tout à fait vraie, Rita. Il y a des modes, et où des critiques, et où des engouements, subitement pour un siècle, une œuvre ou un compositeur, sans même parler des chanteurs.
D’abord c’est injuste et ensuite c’est parfois tout à fait indigeste!
Et ensuite on ne peut tout aimer d’un compositeur, ou même d’un Maestro.
Je vous donne des nouvelles de mes écoutes, d’ici quelques temps.
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Haha! Debussy…je ne connais que ça!
Trêve de plaisanterie, j’ai une excellente mémoire auditive, mais alors les titres et noms me coulent entre les neurones, aucune mémoire de ce côté. Donc à mon grand étonnement je chantonnais deci- delà des airs que je connaissais très bien!. Mais SVP ne me demandez pas lesquels….
Donc oui, Debussy, bien sur. Mais P et M ne me disent rien. Il faudra que je creuse le sujet lorsque ce sera possible….pas tout de suite: les nouvelles du côté francophone disent que l’on doit s’inscrire en ligne à partir de 70 ans, pour vaccination lundi prochain…… et les mêmes en anglais disent que le gouvernement provincial va nous appeler à partir de 82 ans pour vaccination mardi prochain…….
Ou est la vérité…ah et nous avons tout en deux langues et ils ne sont pas d’accord! Rigolo quand même, non?
Donc c’est la ruée, les sites plantent, et scron-gneugneu, je suis têtue, donc j’y passe mon temps.
Là c’était juste une petite récréation…..
A un de ces tantôt les amis.
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