Au fil des mots (135): « vaccin »

Ah, la Chine ! Ses virus et ses vaccins… quelle saga ! Malgré tout, question méthode de vaccination, on échappe au pire…

Je m’occupai aussi d’assurer ma santé. La vermine ne m’ayant pas dédaignée lors de mes vagabondages mandchouriens – c’est par les poux que se transmet le typhus – , je tenais à ne pas être à la merci d’un parasite dans cette Chine où je séjournerai peut-être plus longtemps que je ne pensais.

Depuis deux ans, les missionnaires sont immunisés contre le typhus exanthématique par un nouveau vaccin, fabriqué uniquement à Pékin.

Devant me faire injecter à trois reprises par le docteur Tchang, quelque quatre ou cinq milliards de germes fournis par deux cents poux environ, j’eus le loisir de visiter le laboratoire de l’université de Fujen. J’eus grand-peine à y entraîner Peter, qui prétendait que jamais un pou n’oserait attaquer sa peau de « dur à cuire ». Je lui fis observer que s’il tombait malade, j’aurais à le soigner, et qu’il me devait donc obéissance sur ce point.

Ce vaccin de Weigl est fait selon un procédé si curieux que j’en dirai quelques mots. On injecte à un cobaye le sang d’un malade atteint du typhus. Au bout de quinze jours, lorsque le cobaye est bien souffrant, on l’anesthésie, on lui ouvre le crâne, on enlève la matière cérébrale, virulente au plus haut degré.

Mais il s’agit encore de transmettre la maladie à des poux avant de pouvoir faire un vaccin utile à l’homme et c’est pour cela que le laboratoire de Pékin possède un élevage, unique au monde, de ces insectes.

Pour nourrir les poux, des Chinois guéris du typhus, et donc immunisés, viennent deux fois par jour leur servir de pâture. Une demi-heure, les poux sucent le sang qui leur est nécessaire. Chaque homme en nourrit deux cents sur ses jambes, répartis dans de petites boîtes dont un côté grillagé est maintenu contre la peau. Dans ces boîtes, sur un chiffon, sont posés leurs oeufs, qu’on recueille pour avoir des couvées du même âge.

« Ces nourrisseurs de poux, écrit le père Rutten, sont souvent des mendiants en haillons ; ils sont agréablement surpris aujourd’hui de recevoir un salaire pour nourrir des parasites qu’ils avaient hébergés gratuitement à toute heure du jour et de la nuit. »

Quand les poux ont dix jours, il est temps de les contaminer : au moyen d’une canule, on leur injecte dans l’intestin un peu de la matière cérébrale du cobaye typhique ; quelques jours plus tard les microbes pullulent. C’est alors qu’aidé d’un scalpel, on dissèque les poux ; leur intestin est placé dans l’eau phéniquée ; le liquide est broyé, clarifié, maintenu à soixante-dix degrés pendant une demi-heure… et le vaccin est prêt.

Ella MAILLART, Oasis interdites 1935, PAYOT

Ci-dessus, les patients nourrisseurs de poux, université de Pékin avec les petites boîtes attachées aux jambes.

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