Mort suspecte
- Le corps de Virginia a mis des semaines pour remonter à la surface, voyez-vous, continua Llewellyn. On suppose qu’elle a échoué contre un pilier de pont et est restée coincée sous l’eau. Pendant près d’un mois, autant que je me souvienne. Avril était bien avancé, en tout cas.
Le coeur de Jo s’accéléra.
- Alors, si on n’a pas retrouvé son corps le jour où elle a quitté la maison, elle a pu se jeter dans l’Ouse à n’importe quel moment.
- Exactement. Elle a très bien pu prendre votre cher train, après tout. Et descendre dans le Kent, où elle aura croisé votre grand-père.
Une note involontaire d’excitation perçait dans la voix de l’expert en livres anciens.
- Un de vos collègues de Sotheby’s a-t-il expertisé cette écriture ? demanda Jo. Quelqu’un qui pourrait certifier formellement que c’est celle de Woolf?
Llewellyn prit le cahier des mains de Jo. Il scruta la couverture brune maculée.
- Vous n’imaginez pas la complexité de la procédure, n’est-ce pas ? J’aurais à accuser réception du manuscrit au moyen de toutes sortes de documents que vous seriez contrainte de remplir, attestant votre propriété de l’article en question et votre droit à réclamer une telle analyse. Sauf que vous et moi savons que vous n’êtes pas propriétaire de l’article en question. Le cahier sera saisi dans nos ordinateurs, transmis avec les formulaires idoines aux services compétents. Il serait référencé et connu. Ensuite notre Marcus Symonds-Jones nous ferait son numéro. Il téléphonerait à ses amis journalistes, contacterait des collectionneurs privés – les universités et les bibliothèques du monde entier…
- Qui est Marcus Simmon-Jones ?
- Symonds, corrigea-t-il. Un individu parfaitement méprisable, qui dirige ma vie et la moitié de Sotheby’s. Le problème, Miss Bellamy, c’est que si votre cahier entre dans le système, il échappe automatiquement à votre contrôle, comprenez-vous ?
- Ce qui signifie ?
- Si ce cahier est réellement ce que vous pensez… si Woolf l’a écrit alors qu’on la croyait morte… si elle était vivante après avoir quitté Leonard et avait trouvé la mort autrement que selon la version officielle, si le journal n’est pas un faux, comme je commence à me le demander, je l’avoue…
- Pourquoi?
Il marqua une pause pour la dévisager.
- Parce que vous êtes vachement crédible, répondit-il enfin. (…) Parce que je veux croire que vous êtes aussi honnête que vous en avez l’air. Ce qui est la pire des raisons pour douter de mon jugement. C’est pathétiquement subjectif. Un expert en livres anciens se doit d’être objectif. Toujours…
- Merci.
Il fit un brusque signe de tête.
- Donc, s’il y a du vrai dans votre histoire, vous avez entre vos mains la découverte du siècle.
- Nous l’avons, corrigea-t-elle, sautant sur ses pieds. Nous avons la découverte du siècle. Et vous ne voudriez pas en perdre le contrôle?
- Et vous ?
- Pas avant de savoir quel rôle a joué Jock dans tout ça, répondit-elle avec détermination.
- Et si la vérité était quelque chose que vous ne vouliez pas entendre ? je parle de la vérité sur votre grand-père…
- Ce ne peut pas être pire que ce qu’il a déjà fait. J’assumerai les conséquences…
Stephanie BARRON, Le jardin blanc



