Un enfant, quel enfant?

Il n’est pas rare à l’occasion d’une réunion familiale autour de l’ouverture d’un testament, qu’on voie apparaître un frère ou une soeur dont on ignorait absolument tout de l’existence. Sujet de bon nombre de films, de pièces de théâtre, de romans car une telle apparition met toute la famille dans un état de sidération absolue ! Certains de ces enfants cachés deviennent célèbres comme Jean-Marie Périer (en réalité le fils d’Henri Salvador) ou de Mazarine Pingeot (la fille de François Mitterrand).

Des enfants abandonnés, mis en nourrice ou confiés à des orphelinats, c’est extrêmement fréquent lorsque les femmes ne peuvent avoir accès à aucune contraception. Bien des mères au XIXème siècle et au début du XXème n’avaient pas d’autres choix, et dans tous les milieux.

C’est une énigme de ce genre à laquelle on est confronté à plusieurs reprises quand on se penche sur la vie intime de Giuseppe Verdi (1813-1901), grand compositeur d’opéras et héros patriotique de l’Italie naissante.

L’histoire officielle nous apprend que Verdi, jeune compositeur exilé à Milan ayant à son actif un premier succès d’estime (l’opéra Oberto), voit disparaître de mars 1838 à juin 1840 ses deux enfants (Virginia et Icilio Romano) et sa femme Margherita. Inconsolable, il envisage même d’abandonner la carrière de compositeur. 

En 1842, Verdi renoue avec le succès grâce à l’opéra Nabucco et à l’interprète du rôle féminin principal, Giuseppina Strepponi. Célèbre cantatrice, elle chante tous les grands rôles belcantistes de l’époque et plus tard Ernani et I Due Foscari de Verdi. Les deux jeunes gens ne sont pas insensibles l’un à l’autre et entament une relation amoureuse épisodique. Dès 1846, épuisée et ayant perdu sa voix, Giuseppina devient professeur de chant à Paris. C’est là que Verdi la retrouve en 1848 et qu’ils décident de vivre ensemble. Verdi a 35 ans, Giuseppina 31, le temps encore de fonder une famille. Et pourtant aucun enfant déclaré…                                                          

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Giuseppina Strepponi a connu une vie sentimentale tumultueuse. De ses multiples grossesses, elle a apparemment eu de nombreux enfants morts en bas-âge, et trois vivants qu’elle a mis en nourrice: Camillino, Adelina Rosa et Giuseppina Faustina. Quand elle s’installe avec Verdi, c’est une femme fatiguée, de santé fragile, désabusée et de caractère à jamais dépressif. 

Quant à Verdi, il se remet lentement de ses deuils et papillonne. Par son physique, ses succès et son caractère mélancolique, il plaît aux femmes. Selon Mary Jane Phillips-Matz (fondatrice de l’Institut américain d’études verdiennes et auteure d’une étonnante biographie de Verdi en 1994), il aurait eu un garçon avec une femme de chambre en 1850. Né à l’hôpital de Crémone, l’enfant aurait été adopté par une famille de Busseto.

Mais cette biographe va plus loin.

Elle trouve la piste d’une certaine Santa Streppini, née en 1851 également à Crémone et qui aurait été, elle aussi, adoptée par un couple proche de  Verdi. Par la ressemblance de nom, elle en conclut donc que Giuseppina Strepponi en serait la mère, Verdi le père. Cet abandon écornerait sensiblement l’image de Verdi, père indigne! Mais elle lui trouve certaines circonstances atténuantes. N’aurait-il pas dû alors reconnaître les trois autres enfants de sa compagne, devenir ainsi père de quatre enfants dans une période où sa carrière artistique n’était pas encore affirmée et tout cela, hors mariage… 

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Beaucoup plus tard, Giuseppina et Giuseppe adopteront Filomena. Née en 1859, devenue orpheline à 3 ans d’un cousin décédé de Verdi, et recueillie tout d’abord par le père de Verdi. Ils supervisent entièrement son éducation voulant la soustraire à une éducation religieuse trop stricte, l’adoptent donc. Ils la prénomment dorénavant Maria et l’envoient au collège à Turin d’où elle sort diplômée institutrice en 1876. Elle épousera Angiolo Carrara, le fils du notaire de Verdi et deviendra légataire universelle du compositeur. Elle décédera en 1936. Ses descendants, la famille Carrara-Verdi, occupent toujours et gèrent la Villa de Sant’Agata.  

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Voic le superbe témoignage de l’arrière-petite-fils…  En italien, quel immense plaisir plein de saveur! et pour les autres, je vous ai mis les sous-titres français. 

 

Pourquoi les biographes du grand compositeur cherchent-ils depuis toujours à élucider ces paternités possibles? Peu de parents à l’époque trouvaient de l’intérêt aux enfants en bas-âge et les perdre était malheureusement monnaie courante. Le couple Verdi n’a pas eu, quelles que fussent les circonstances véridiques ou imaginaires en ce domaine, une attitude différente de celle de leurs contemporains. 

Ce qui aiguise à vrai dire leur intérêt, c’est le sentiment parternel tragique récurrent qui traverse toute l’oeuvre de Verdi. Pensons à Nabucco, Luisa Miller, Rigoletto, Traviata, Aïda et même Falstaff, les relations père-fille sont y problématiques voire mortifères. Que dire de Simon Boccanegra dans lequel la fille perdue et retrouvée s’appelle Maria et est l’enjeu involontaire de l’empoisonnement de son père ! 

Pour avoir vécu pendant 35 ans avec un homme qui avait perdu lors d’une précédente union deux enfants, je puis témoigner du traumatisme, du désarroi, de la peine indélébile dans le coeur d’un père. Verdi les a phagocytés et traduits dans des rôles parmi les plus sublimes de l’opéra. Ce fut une part de son génie universel. 

Une telle saga ne pouvait qu’inspirer un grand romancier. Notre cher Jean d’O écrivit dans les années 80 une trilogie dans laquelle les paternités supposées de Verdi s’entrecroisent. Du d’Ormesson pur jus, vif ; maître de l’imbroglio et du puzzle à la résolution inéluctable, amoureux de l’Italie bien sûr. Je vous le conseille sans modération. Que du plaisir! 

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Un commentaire sur “Un enfant, quel enfant?

  1. Comment on découvre – au détour d’un récit toujours aussi intéressant et recherché – un pan de ta vie intime que tu nous livres avec beaucoup de pudeur. Amicalement et encore merci pour tout ce que tu nous apprends ou que tu nous fais redécouvrir.
    José

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