À l’américaine!

Cette chronique m’a été inspirée après une folle semaine vécue à l’Opéra de Liège lors des superbes représentations du Barbier de Séville de Rossini. 

L’argument, on le doit à un homme : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.

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Fils d’horloger, écrivain, musicien, homme d’affaires et agent secret, Beaumarchais mena une vie tumultueuse tout au long d’un siècle qui ne l’est pas moins, né en 1732 et mort en 1799. Figure emblématique des Lumières, créateur des droits d’auteur, pourfendeur des privilèges de la noblesse, il fut néanmoins bien malmené à la Révolution. Personnage virevoltant aux multiples facettes parfois sombres et peu avouables, flamboyant, insolent, amoureux de la vie, le voici campé à merveille par Fabrice Luchini dans le film d’Édouard Molinaro. 

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En tant qu’agent secret, il se met au service de Louis XV et surtout de Louis XVI. À partir de 1775, il se lance dans la guerre d’Indépendance des États-Unis et joue le rôle d’intermédiaire entre les Insurgents et la France. Il reçoit du Roi une importante somme d’argent pour les soutenir et l’autorisation de leur fournir des armes. 

Un article polémique mais bien intéressant: (cliquer dans le coin inférieur droit pour tourner les pages)

http://fitheatre.free.fr/gens/Beaumarchais/Hist1Beaumarchais.htm

 

Parmi toute cette agitation frénétique qui caractérise la vie de Beaumarchais, la part de l’écrivain semble bien congrue et serait peut-être tombée dans l’oubli s’il n’avait écrit La Trilogie de Figaro ou le Roman de la famille Almaviva. Une saga familiale peu reluisante au Siècle des Lumières. 

On a parfois l’impression que ce sont les Américains qui furent les inventeurs de ces piètres séries que nous avons découvertes avec Dallas, sommet du bon goût qui déclencha une fièvre inédite en son temps, les rues se vidant à l’heure du feuilleton! 

Pourtant les sagas familiales faites de trahisons, d’amours scandaleuses et autres meurtres scabreux pullulent déjà dans les mythologies antiques écrites rappelons-le, par les Hommes qui créèrent les Dieux à leur image… 

La Trilogie de Beaumarchais est de la même veine… Certes il y manie la langue élégante du XVIIIème siècle, y développe son engagement politique et y fait entendre le grondement encore sourd de la colère du peuple. Mais les aventures de la famille Almaviva voient se mêler des intrigues amoureuses, des mariages, des tromperies, des trahisons, des adultères, des enfants naturels et cachés, le pouvoir de la naissance et de l’argent…  Dallas, les Feux de l’amour, Amour, gloire et beauté ne sont pas loin!

Voyons plutôt. 

Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile met en scène Figaro aidant le jeune Comte Almaviva à conquérir le coeur de la jolie Rosine, pupille du vieux Bartholo qui envisage de l’épouser pour faire main basse sur sa dot. Rossini en fera le livret de son opéra Il Barbiere di Siviglia.

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Le Mariage de Figaro ou la Folle journée nous transporte 10 ans plus tard. Figaro va épouser Suzanne, la camériste de Rosine, devenu Comtesse Almaviva. Mais le comte poursuit Suzanne de ses assiduités, voulant exercer ainsi son droit de cuissage. Quant à la Comtesse, elle n’est pas insensible au charme de son page Chérubin. Tous ces personnages vont à la fin de cette journée de noces tendre un piège au comte et le confondre. Mozart écrira sur le même thème son opéra Le Nozze di Figaro.

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La Mère coupable ou L’autre Tartuffe

La famille Almaviva a émigré en France.  L’avocat Begears, homme de confiance du comte, va dévoiler un à un les secrets de la famille dans le but de la dépouiller. Il convoite Florestine, pupille du comte, qui elle-même est éprise de Léon, fils naturel de ce même comte. Begears découvre qu’en réalité, elle est la fille naturelle du comte. Les tourtereaux, donc demi-frère et soeur, ne peuvent prétendre à un mariage jugé incestueux. À lui Florestine! Mais on apprend alors que Léon est le fruit de la liaison entretenue par la comtesse  avec son page Chérubin mort depuis à la guerre. Supplications et prières torturées de la comtesse en présence du comte outragé qui menace de la répudier. La famille étant au bord de l’implosion, Begears sent la victoire à portée de main. Mais on s’achemine vers une sorte de happy end : Léon et Florestine, n’étant plus frère et soeur, peuvent alors se marier! Figaro a définitivement démasqué l’affreux Tartuffe et ses ignobles plans. Dans cette oeuvre, le ton dramatique l’emporte. Avec le même argument, Darius Milhaud composa un opéra en 1965.

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Mélodramatiques et peu glorieuses, toutes ces aventures, non? Et ce n’est pas tout ! L’homme providentiel, c’est toujours Figaro, mais qui est-il vraiment ?  

S’appelant en réalité Emmanuel, il est le fils naturel de Bartholo et de sa servante Marceline… Avant de chasser mère et enfant, Bartholo l’avait marqué au cou afin de pouvoir peut-être un jour le reconnaître. Après des années d’errance, le garçonnet est kidnappé par des bohémiens qui lui prénomment alors Figaro. C’est dans le Mariage de Figaro qu’on assiste aux retrouvailles des parents et de leur enfant… 

Alors Beaumarchais, créateur ou pas du soap-opera… 

 

Fleming-Ghosts_Versailles.jpgLes Américains eux-mêmes nous donnent peut-être la clé avec l’opéra-bouffe « The Ghost of Versailles » du compositeur John Corigliano. Mis à l’honneur notamment lors du 40ème anniversaire de James Levine au Met de New York et repris régulièrement sur les grandes scènes américaines, l’oeuvre nous transporte à Versailles avec les fantômes de Marie-Antoinette et de Beaumarchais. La reine déprimant à cause de sa triste fin, notre auteur veut la distraire en faisant jouer la dernière pièce de sa trilogie, La Mère Coupable. Sur fond de Révolution française, le livret prend certes des libertés avec la pièce puisque les fantômes de Marie-Antoinette et de Beaumarchais s’unissent au paradis tandis que Suzanne, Figaro et la famille Almaviva émigrent en Amérique…

 

À l’américaine, vous disais-je!

 

Tempête mystique

9782253129844-T.jpgLe tricentenaire de la mort de Louis XIV a remis en lumière la grandeur et la décadence d’un règne qui dura 54 ans, record absolu! Comme pour Napoléon (héros également de cette année « 15 », bicentenaire de Waterloo), nous sommes confrontés à des personnages dont les actions et l’héritage restent adulés par les uns, détestés par les autres.

Que d’émissions, que de livres consacrés au Roi-Soleil ! On a frisé parfois l’insolation! Pour se faire un peu d’ombre iconoclaste, pourquoi ne pas l’aborder, littérairement parlant, en (re)lisant Le Montespan de Jean Teulé  (http://nouveautempolibero.skynetblogs.be/archive/2015/04/15/comme-au-bon-vieux-temps-de-l-assiette-8421155.html) et Intrigue à Versailles d’Adrien Goetz ?

Retrouvé dans mes sempiternels rangements, j’ai relu ce dernier avec un oeil tout neuf. Voici ce que nous en dit Adrien Goetz, l’auteur.

L’auteur se complaît à brouiller les pistes, à entremêler les fils de l’intrigue, à nous faire douter de tout et de tous autour d’un « méchant » bien pointé comme dans les meilleurs James Bond.

Mais chez Adrien Goetz, ce que j’aime par dessus tout, c’est la grâce et l’érudition avec lesquelles il glisse des éléments d’histoire et d’histoire de l’art de l’époque ou d’aujourd’hui dans sa prose mutine et parfois iconoclaste. On jubile et on en apprend des choses tout au long de l’enquête! 

3117RZV5CML._SX298_BO1,204,203,200_.jpgTout d’abord, il y a l’héritage contesté de ce flamboyant Gérald Van der Kemp. Les gens de ma génération se souviennent sans aucun doute de cet exceptionnel communicant que l’on voyait sur l’écran de la TV noir et blanc du temps de De Gaulle, qui remit Versailles à la mode. Soutenu par Malraux, il n’avait pas son pareil pour fréquenter la Jet set des mécènes américains fortunés et les faire « cracher »au bassinet versaillais. En 1980, il partit à Giverny qu’il remit , là encore, au goût du jour.

Le livre nous dévoile la « reconstruction » du château qui était passé entre bien des mains depuis la Révolution et qui était vide, exsangue. Remeubler un pareil monument alors que tout avait été saccagé ou expatrié en Angleterre, quelle gageure! Van der Kemp choisit une option que réfutait Pierre Verlet. Passionnant!

Mais il y a aussi du sang dans ce roman, des meurtres rituels, des religieux extrémistes, la porte ouverte vers le jansénisme. Voilà, pour moi à la relecture, l’intérêt principal du livre. Tout le monde a son avis sur la question, une impression vague qui oscille entre Pascal, Racine et Montherlant… L’abbaye de Port-Royal!     

 Réforme « à la française », le jansénisme est un courant religieux et doctrinal initié par Jansénius, évêque d’Ypres et dont le foyer culturel fut notamment l’université de Louvain. Vision très pessimiste de la destinée humaine, elle se répandit dans toute l’Europe du Nord et en Italie. Rigueur morale extrême, doctrine de la grâce prédestinée, valeur exclusive des Écritures, mysticisme. Louis XIV les combattit en vagues successives avec l’aide papale. Tout comme les Jésuites, dont les collèges étaient l’exclusivité, et qui voyaient d’un très mauvais oeil les Jansénistes créer les petites écoles.  La parole janséniste fut libérée avec la mort de Louis XIV et prépara la Révolution. Elle demeure aujourd’hui. Histoire étonnante, controversée, fascinante, étonnamment moderne si comme l’aurait dit Malraux, le XXIème serait religieux  ou ne serait pas.

Sous cette vision des choses, Versailles devient alors le ring des influences religieuses infiltrées au plus près du Roi. La Quintinie aurait été janséniste, ami pourtant de Le Nôtre bon chrétien, du donnant donnant. Le potager royal, ancien cimetière janséniste redécouvert. Et puis un autre plan du château de Versailles, sanctuaire janséniste rêvé avec l’Orangerie comme centre névralgique… La tête nous en tourne !

Le dénouement de l’intrigue aura lieu la nuit du 25 au 26 décembre 1999, alors que les jardins de Versailles sont hachés menu par la tempête, le château menacé. Comme une vengeance divine.

On ne résiste pas ! et au bout du compte, on s’en fout un peu de qui a fait quoi.  Adrien Goetz a distillé, grâce à son héroïne Pénélope et son petit ami Wandrille, le meilleur de l’histoire : la destinée historique et moderne du Château de Versailles. 

51uzKxz20SL._SX388_BO1,204,203,200_.jpgDans la foulée, j’ai acheté le livre « Les Wallons à Versailles ». Certes il y a Rennequin Sualem et la machine de Marly, tous les marbres qui viennent de nos régions, et puis Grétry…  mais aussi des banquiers, des agents secrets comme le Prince de Ligne, des scientifiques liégeois. Je vous tiens au courant.  Voilà, mon Versailles à moi! Dernière visite le 5 juin 2008 en voyage scolaire avec ma chère amie Françoise, ma « copleuse », bien trop tôt disparue.

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L’avis d’un expert?

http://www.lejdd.fr/Chroniques/Bernard-Pivot/Les-folies-de-Versailles-74455

 

 

 

 

 

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