Dans notre approche contemporaine du chant, il est parfois difficile de voir dédier à des femmes des rôles masculins. Cherubino des Nozze di Figaro, pas de problème, c’est un adolescent. Tout comme Octavian, son double chez Richard Strauss même si les rapports avec la Marschallin sont déjà bien ambigus. Quand il s’agit du rôle de Roméo dans I Capuletti e I Montecchi de Bellini interprété par une femme, on frise pour certains la limite de la crédibilité. Le bel canto est pris à son propre piège. On peut certes argumenter qu’à l’époque la voix de ténor propre au héros romantique n’était pas celle que nous connaissons… Cecilia Bartoli, Joyce di Donato et Elina Garança sont les garantes actuelles de cet art du chant, soutenues par d’éminentes études musicologiques.
Le chant baroque a, quant à lui, réussi sa révolution grâce aux contre-ténors qui ont fait renaître l’art des castrats. Par les moyens vocaux de la seule voix de tête (heureusement pour eux…), nous redécouvrons une tradition de virtuosité perdue mais ausi une certaine ambiguité sexuelle vocale qui plaisait à nos ancêtres.
Mais entre les derniers castrats du début du 20ème siècle et notre époque de redécouverte baroque, les grandes partitions de Bach et de Haendel furent interprétées par des voix féminines hors-normes comme celle de Kathleen Ferrier.
« Sa voix de contralto, reconnaissable entre toute, son attitude simple et directe, ont ému les scènes du monde entier, popularisé l’art lyrique et ont fait d’elle une cantatrice adulée en Grande-Bretagne, son pays natal. Le chef d’orchestre allemand Bruno Walter disait que ses deux plus grandes expériences musicales furent la rencontre de Ferrier et Mahler, « dans cet ordre », précisait-il. Pourtant, les débuts de Kathleen Ferrier furent difficiles. Quand elle voulut rejoindre le chœur de son école, on lui conseilla de ne pas chanter fort, car on jugeait sa voix très rauque. Issue d’un milieu modeste, elle arrêta les études à 14 ans pour devenir téléphoniste, mais profitait de ses loisirs pour jouer du piano. Ce n’est qu’à 25 ans qu’elle se découvre un don pour le chant. Elle se produit alors dans les concerts locaux et y trouve un exutoire à un mariage désastreux. Sa carrière internationale ne démarre qu’en 1946, à l’âge de 30 ans, mais sera fulgurante, avant qu’un cancer ne l’emporte huit ans plus tard. Portée par un souffle généreux, cette voix à la tessiture androgyne, troublante pour l’époque, lui permit d’interpréter le rôle d’Orphée dans l’opéra de Gluck. Mais c’est avant tout dans les lieder de Bach, Brahms, Schubert et surtout de Mahler, qu’elle fit merveille. Un an avant sa mort, elle interpréta, sous la direction de Bruno Walter, une version magistrale du Chant de la terre, qui fait référence aujourd’hui. «
Un enregistrement sous la direction de Karajan, un Bach bouleversant…
Bist du bei mir…
Mahler et Bruno Walter, comme un certain monde révolu…
Courez à sa rencontre et écoutez Brahms, vous l’aimerez! Mais elle chanta aussi Pergolese, Glück et Haendel…
Kathleen Ferrier (1912-1953), on devient addict de cette voix unique! C’est comme une force tellurique qui vous prend aux tripes! Avec elle, on vit dangereusement et c’est toujours étonnant et passionnant… Un envoûtant mystère.
Bonne découverte à tous.
http://www.kathleenferrier.org.uk