« Don » en espagnol, c’est comme « Sir » en anglais ; ça se combine avec le prénom et ça marque le respect… ajoutons ici une réminiscence du Burlador de Séville, nous sommes à l’opéra que diable! et le thème du concert n’était ni plus ni moins que l’amour! Voici le programme :
Prendre le dessin d’un bijou (Lakmé – Delibes) – À la voix d’un amant fidèle (La jolie fille de Perth – Bizet) – Ô nature, pleine de grâce, Pourquoi me réveiller? (Werther – Massenet) – Un ange, une femme inconnue (La Favorite – Donizetti) – Ô blonde Céres (Les Troyens – Berlioz) – Ah, lève-toi, soleil! (Roméo – Gounod) – Au mont Ida (La belle Hélène- Offenbach)
Ajoutez-y 5 bis… : La Fille du Régiment, Jérusalem, La Dame Blanche, Rigoletto et une dernière Belle Hélène !
Repus, nous étions repus ! La salle croulait sous les bravos, les battements de mains et de pieds, les cris ; lui, nous la jouait épuisé, titubant contre le pupitre du chef… Que c’est bon, ces escarmouches et ces clins d’oeil entre un artiste et son public!
Dans les couloirs du théâtre, l’ivresse passée, certains voulurent revenir à la raison et déjà ergoter sur telle ou telle chose. C’est de bonne guerre chez certains amateurs d’opéra, jamais contents!
Certes s’ils étaient venus pour la pyrotechnie notamment rossinienne, ils s’en sont allés un peu déçus même si la rafale des contre-ut de La fille du Régiment les réconforta. Mais ce soir, le propos de Juan Diego Flórez n’était pas pas celui-là, peut-être même plus jamais celui-là.
Il arrive un moment où un chanteur, quand il est artiste, ne peut plus se satisfaire de ce qu’il fait depuis des années : il a envie de partir à l’aventure. Surtout quand sa voix le condamne à des emplois tellement typés. Je me souviens de Natalie Dessay à Orange, alors en pleine gloire, confier qu’elle ne se voyait pas à 50 ans encore roucouler la poupée Olympia. Elle s’essaya avec plus ou moins de bonheur à des rôles plus en adéquation avec son tempérament dramatique puis inassouvie et frustrée, décida de tourner la page de la représentation d’opéra. La contralto Nathalie Stuzmann a créé son ensemble Orfeo 55 et conjugue direction d’orchestre et chant. Cecilia Bartoli, elle, est devenue une vraie musicologue et met sa voix si particulière au service d’oeuvres redécouvertes par elle. Même Philippe Jarrousky n’a pas craint de faire un merveilleux détour vers la mélodie française ou carrément la chanson française. Oui, une voix trop typée peut devenir un véritable carcan qui met en souffrance vos aspirations artistiques !
Alors notre cher Juan Diego, pour s’échapper, il a devant lui un superbe boulevard : les rôles de ténor de l’opéra français. Et c’est qu’il fait avec succès. S’il ne parle pas le français, il le dit superbement sans aucune faute rédhibitoire de prononciation mais bien avec cette chaleur de timbre qui manque si souvent à ces voix françaises trop formatées par la prosodie. Il sait s’alanguir avec le Werther du premier acte dans une ferveur presqu’écologique, avec Roméo dans une extase amoureuse, avec Gérald dans une rêverie exotique du plus bel effet. Certains le comparent déjà à Alfredo Kraus. Pour ma part, j’espère qu’il ne suivra pas le chemin sec, décharné et outrecuidant de celui-ci, s’étant auto-proclamé la statue tutélaire sans aucun rival possible de Werther notamment… Notre cher Péruvien a suffisamment d’intelligence et d’humour pour éviter l’écueil, son interprétation d’Offenbach en fait foi!
Werther justement, revenons-y ! N’est-ce pas la magie de la voix humaine et de l’opéra que d’entendre interpréter les mêmes airs par des voix aussi dissemblables que Flórez et Kauffmann !!!
Si vous me permettez moi-aussi d’ergoter, j’ajouterais qu’il y a une palette encore un peu monochrome dans son chant français comparé, oui, à Alain Vanzo ou plus proche de nous, à Roberto Alagna quand il ne faisait pas n’importe quoi et qu’il était le digne successeur de Georges Thill. Mais Juan Diego a encore toute une carrière devant lui pour assurer ce virage et approfondir ces rôles qui lui vont déjà si bien!
Après une telle débauche d’efforts, il nous a reçus gentiment au Foyer Grétry pour une séance de dédicaces. Les appareils photos crépitèrent comme on disait dans le temps !
Comme il nous a enchantés, merci à lui !