Aida, opéra pharaonique qu’il faut avoir vu, pour les bobos, aux Arènes de Vérone ou au Stade de France. Mais Aida, opéra intime… Voilà le postulat proposé par Jean-Marc Onkelinx dès le début de sa conférence au Foyer Grétry de l’ORW ce mercredi dernier. Je soupire d’aise, c’est mon avis depuis toujours ! Et que JMO (comme on dit entre nous) le partage et le défende, waouh!
Alors le côté gradiloquent de l’oeuvre, il nous en parlera pour expliquer l’originalité de ces trompettes thébaines qui scandent la scène du triomphe, leurs métamorphoses « pistonnesques » jusqu’à la prise en mains par Adolphe Sax. La question des pistons, ça le connaissait, le Dinantais !
Après, après, ce ne furent que poésie et passion intime. Ah, le prélude… car oui, dans Aida, il n’y a pas d’ouverture mais un prélude qui commence avec des cordes soyeuses qui se frottent, un prélude qui va crescendo en se parant de la tragédie et qui finit tout nu comme une mélopée murmurée. Déjà un monde musicologique en soi… Les frissons, nous les avons dus à Karajan et les Wiener, sublimes. Pas retrouvés sur le net, alors je vous propose Harnoncourt, question de faire chic et sérieux!!!
Nous passâmes ensuite aux portraits musicaux des 3 personnages principaux : Aida, Amneris et Radamès. Et là encore, quelle économie de moyens, quelles astuces géniales, quelle virtuosité chez le maître de Busseto que certains wagnériens avaient catalogué comme un rustre paysan… Verdi cherche à recomposer un univers musical antique qui nous reste inconnu encore aujourd’hui et pour moi par exemple, l’introduction de la scène du Nil est miraculeuse, impressionniste. On y entend le clapotis de l’eau, le bruissement des papyrus, les cris des animaux dans la nuit… Version Sir Georg Solti, un peu crachotante, je m’en excuse.
Dans ses explications musicologiques et… corporelles (!), JMO fit souvent référence à Don Carlos, l’opéra précédant Aida, et à sa modernité. Déjà aucune ouverture. Et puis le personnage éponyme de l’opéra est broyé par la raison d’état et la religion sans que le compositeur lui ait fourni en compensation un air de bravoure. C’est ce que constatait ironiquement Plácido Domingo dont c’était, malgré cela, un des rôles préférés pour sa puissance émotionnelle et humaine, disait-il. Avec cet opéra tout en noirceur, on entre ainsi de plain pied dans la modernité de l’opéra italien. Dans Aida, on retrouve le même cas de figure : Amnéris est sacrifiée, c’est un immense rôle de mezzo mais qui n’a aucun air de bravoure, elle non plus. Et pourtant, ce rôle, toutes les mezzos en rêvent!
Qu’Aida soit au départ une commande, une oeuvre « commerciale » n’empêche en rien qu’à l’arrivée, ce soit un chef-d’oeuvre d’une originalité absolue. On sait que Verdi poussera encore plus loin la modernité avec Otello et Falstaff. Mais Aida reste une oeuvre à part, par la recherche du compositeur à recréer une « couleur locale » un peu comme plus tard, Puccini fera des recherches sur les musiques japonaises et chinoises. Et à propos de Puccini, son héroïne Tosca faillit elle aussi ne pas avoir « d’air ». « La Prière » au 2ème acte résulte d’une concession à la créatrice du rôle, certains d’ailleurs pensent qu’elle casse la tension dramatique de la scène entre Scarpia et Tosca.
Pour en revenir à Aida, JMO nous a proposé cette version vraiment belle avec des Viennois en très grande forme.
Pour ma part, voici ma préférée. Elle a presque 40 ans mais n’a en rien perdu de sa modernité. Muti y crée une urgence en bousculant un rien les tempi, pense à Debussy dans l’évocation des rives du Nil et permet à Domingo de parler comme un acteur pour exprimer son désespoir dans le trio avec Aida et Amonasro. Et ma foi, la distribution est royale.
Quel sera le choix de la production liégeoise? Pharaonique ou dépouillée? Je me souviens d’une version il n’y a pas très longtemps à Orange (avec un Alagna superbe, bien remis du scandale de la Scala) où les chanteurs portaient des sortes de peplums plissés blancs et se dénudaient souvent. Simple et chic.
Une autre version (peut-être à Liège?) où l’on assistait au triomphe installé comme dans un coin en ne voyant qu’une partie du défilé des troupes.
Quoi qu’il en soit, il nous restera la musique sublime de Verdi, l’essentiel.
(Mais j’aimerais tout de même qu’on nous évite les tanks comme à Paris, ça me gâcherait la fête)