Le coeur ardent de Liège vient de battre au son d’un opéra peu joué de Verdi : I Due Foscari, dramatique histoire d’un doge de Venise obligé d’abdiquer et de son fils condamné injustement à l’exil. Il y a donc Francesco et Jacopo, héros de l’histoire qui nous a occupés ce week-end. Certes, mais il y a d’autres Foscari… Vous ne le saviez pas? Alors que je vous explique tout!
Ma révolte adolescente m’avait conduite (il y a longtemps!) à combattre le germanisme musical de mise à la maison par un héros de l’italianità : Giuseppe Verdi. Mon goût pour l’histoire me fit ensuite comprendre combien ce musicien était également un homme de convictions, comme on dirait aujourd’hui. Bravant le qu’en dira-t-on en vivant en concubinage avec une femme plus âgée que lui et ancienne cantatrice, citoyen militant pour la cause de Garibaldi et le Risorgimento, anticlérical, ennemi acharné de la censure, philanthrope éclairé puisqu’il veilla au bien-être des plus faibles en finançant une sorte de salaire minimum pour tous les paysans de son domaine et une maison de retraite pour vieux artistes (existant toujours). Tout cela au XIXème siècle. Admiration.
Un voyage dans la plaine du Pô s’imposa donc au plus vite. En 1977 avec mes premières économies, je suis partie visiter la maison natale à Roncole, la jolie villa de Sant’Agata et évidemment Busseto, où tout, absolument tout est verdien.
Tout, absolument tout, disais-je, même l’unique hôtel à l’époque…
Son nom : I Due Foscari. Nous y voilà !
L’originalité de l’albergo I Due Foscari (outre son nom, celui d’un opéra pas le plus connu de Verdi, vous en conviendrez…) c’est qu’il a été ouvert par Carlo Bergonzi. « Qui c’est celui-là ? » vont me dire les plus jeunes de mes lecteurs. Carlo Bergonzi, toujours vivant, fut un très grand ténor des années 1960/70, considéré par la critique comme LE spécialiste de Verdi. À une époque où le chant verdien était malmené par le « mal canto » de certains, Bergonzi apparaissait (et apparaît toujours) comme le summum de l’orthodoxie. Il fut notamment le premier à graver une quasi intégrale des grands airs pour ténor de Verdi (évitant toujours très prudemment Otello). À mes yeux, son seul défaut : une totale inaptitude à être acteur et même s’il savait mieux que quiconque faire passer toutes les intentions de ses personnages dans son chant, cela devenait un peu rédhibitoire à une époque où d’autres avaient déjà intégré la révolution callassienne. La carrière terminée, il s’est tourné vers l’enseignement, léguant ainsi aux plus jeunes un témoignage artistique inestimable.
Quand il ouvrit son hôtel, bien des aficionados d’opéra s’y pressèrent dans l’espoir de le rencontrer, ce qui arrivait très souvent car c’était un homme simple et affable.
Autre particularité de l’albergo : pas de numéro aux chambres mais chacune porte le nom d’un opéra du grand Giuseppe. Je n’y ai personnellement jamais séjourné mais on dit que c’est une très bonne table d’Émilie-Romagne. Si le coeur vous en dit : www.iduefoscari.it/ Lors d’un séjour à Parme, consacrez un jour à ce pélerinage verdien, vous ne le regretterez pas.
Revenons maintenant à l’opéra I Due Foscari. Connaissant pourtant assez bien les opéras de cette époque (I Lombardi, Ernani, Attila), j’avoue humblement avoir négligé celui-là et j’ai bien eu tort car il est très beau et très intéressant aussi, une sorte de creuset des grandes oeuvres futures (je pense à Macbeth, Luisa Miller, Rigoletto et évidemment Simon Boccanegra qui joue sur les mêmes couleurs sombres).
Si la version de référence pour la cohérence et le prestige de sa distribution est aujourd’hui celle dont parle si bien Jean-Pierre Rousseau (http://rousseaumusique.blog.com/2013/05/11/pierre-blanche-2/ ) en faisant quelques recherches, je me suis rendu compte que beaucoup d’autres versions existent depuis très longtemps, que tous les grands chefs italiens (Serafin, Gavazzeni, Gardelli, Giulini, Muti, curieusement pas Abbado…) l’ont enregistré et que les trois grands derniers barytons verdiens italiens l’ont interprété : Piero Cappuccilli, Renato Bruson et Leo Nucci.
I Due Foscari, c’est ce genre d’opéra très célèbre et très joué en Italie (Milan, Naples, Rome, Parme, Venise, Trieste) mais n’ayant pas curieusement un grand renom ailleurs. Merci donc au directeur de l’ORW, Monsieur Mazzonis, de nous l’avoir fait découvrir à Liège ce week-end avec, ô luxe suprême, son plus grand interprète d’aujourd’hui. La preuve ci-dessous. À Liège ce vendredi, Leo Nucci n’a pas hésité à bisser le début de cette dernière scène sous le délire du public. Il y avait de quoi, quel chanteur, quel artiste généreux! Et quelle soirée!
Bref, je connais enfin les deux I Due Foscari, pour mon plus grand bonheur.
P.S. Le temps que le blog de Jean-Pierre Rousseau soit de nouveau accessible (problème récurrent depuis quelques jours), voici la version qu’il propose mais allez lire son post dès que possible, il contient également une belle critique du concert de vendredi.
Memorable soirée à ORW avec « I Due Foscari ».
Je decouvre cet opéra pour la 1ere fois et sous sa forme concertante.Et c’est un veritable tableau vivant qui apparaît sur scène,,sous nos yeux admiratifs : :un grand orchestre et des artistes allant et venant au rythme de leur rôle propre.
Les voix sont sublimes même celle du ténor « malade »(quoique pas assez puissant pour moi).Survient Leo Nucci traînant les pieds et accablé de douleur.Il ne joue pas Foscari-Père…il EST Foscari-Père tant dans son personnage que dans son interpretation magistrale.Il m’enveloppe de sa voix ,m’enivre,me possède litteralement…
Et c’est sous un tonnerre d’applaudissements et une standing ovation que ce grand baryton salue son public et nous gâte d’un Bis …chaleureusement accueilli.
Oeuvre peu connue ,peu jouée chez nous et pourtant prestigieuse à tous egards.
Maison de retraite »I Due Foscari « pour anciens musiciens et chanteurs….sous le soleil d’Italie.Je ne demande qu’a decouvrir mais tiens ! ça me rappelle le film « Quartet »…..
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Nous l’avons vu avec Leo Nucci également à la Scala (cadeau d’anniversaire, merci Irma), le 27 mars en 2009. Superbe, ma première (et dernière…à ce jour) Scala, à 55 piges !
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Bravo! Moi, je ne suis allée à la Scala que pendant les vacances d’été, zone de relâche donc! Mais à chaque fois que je suis entrée dans la salle lors de ces visites touristiques, j’y ai entendu la voix de Callas! Le fantôme l’opéra avait encore frappé…
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