Faire petit-déjeuner ses filles sur le tombeau de leur père au fond d’une crypte lugubre et permettre à Toinette et à Marie-Caroline de jouer à la marelle entre les tombes, quelle éducation, chère Marie-Thérèse ! D’autant que ces deux demoiselles vont devenir reines: l’une en France, l’autre à Naples.
Elles resteront très liées : Marie-Antoinette trouvant en Marie-Caroline la seule confidente de ses déboires conjugaux et Marie-Caroline appelant à l’aide sa soeur dans une grande opération de reconquête industrielle. Un homme les lie : Anselme Masson, porcelainier de la manufacture de Sèvres.
En effet, nous sommes dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, époque où la porcelaine à pâte dure ou tendre est un produit stratégique. Le roi Charles III rentrant en Espagne a délocalisé les manufactures de porcelaine napolitaines à Buen Retiro, en Espagne. Devenue reine du royaume de Naples et des Deux Siciles, Marie-Caroline veut relancer, malgré l’embargo du roi d’Espagne, cette production. Chargé de cette mission par la dauphine de France, Anselme va tenter de l’aider au péril de sa vie et de celles de ses compagnons car les ennemis européens de cette initiative ne reculeront devant rien. Les deux reines n’y tiendront pas non plus leurs promesses… Cette première partie du livre nous plonge dans une Naples bouillonnante mais aussi dans l’éblouissement des premières fouilles à Herculanum et Pompéi.
Plus tard, Anselme trouve refuge à Rome alors qu’un conclave s’organise. On vit alors ce moment de l’intérieur, à l’ancienne. Et il y est aussi question de poison…
De retour en France, Anselme, homme des Lumières et franc-maçon, redécouvre Marie-Antoinette en reine. Il avait quitté une jeune femme intelligente et à l’esprit très ouvert, maintenant il la retrouve sombrant petit à petit dans des frivolités somptuaires dictées par ses courtisans et inspirées par son malheur matrimonial. La colère du peuple enfle de plus en plus devant ces dépenses et ce train de vie délirants. C’est l’époque des Philosophes : Anselme côtoie l’ami Diderot, nous parle de Voltaire l’exilé et de Rousseau déjà en retraite à Ermenonville. Dans ce contexte, les femmes se découvrent aussi bien des talents et des envies d’exister intellectuellement. Et puis on croise également Benjamin Franklin incitant Louis XVI à envoyer un corps expéditionnaire en Amérique…
Comme ce très beau roman de Jean-Pierre Desprat entre en résonance avec notre époque : époque charnière dramatique, bouillonnante, inspirante, presque déjà romantique. Ce livre fait partie d’une trilogie : Bleu de Sèvres, Jaune de Naples et Rouge de Paris (non encore édité) mais il peut se lire « seul », ce que j’ai fait, étant attirée par son titre. Récit très intelligent, très instructif aussi – parfois un peu ralenti par les explications techniques à la manière de Jules Verne – mais comme le dit si bien Daniel Pennac, on a la liberté de les passer… et ainsi de poursuivre un récit « à la Dumas »!
Le style est élégant mais sans pédanterie, la langue contemporaine, sans difficulté aucune. Alors bonne lecture à tous !