Reprise d’un article datant de juillet 2018 lors du passage du Tour de France dans le Beaufortin. En août 2020, revoici les coureurs de la Grande Boucle dans la région… Cet article vous avait beaucoup plu, donc je vous le repropose !
Bonne (re)découverte !
Une gueule d’aventurier comme on les aimait au milieu du siècle dernier…
Né en 1906, il fut tout jeune animateur du syndicat d’initiative de Chamonix à l’époque de l’Olympiade d’hiver de 1924, guide de montagne à la plus prestigieuse des Compagnies, tenancier de brasserie, grand résistant, correspondant journalistique en Algérie, écrivain à succès, explorateur de terres hostiles… Sept vies et plus encore! Il mourut bon nonagénaire en 1999.
Nous l’avions rencontré en 1986. Une rencontre de hasard qui vous bouleverse à tout jamais.
Nous préparions notre expédition en Himalaya indien, nous redescendions de la Vallée Blanche où nous avions passé la nuit pour tester notre matériel et au sortir du téléphérique, nous nous étions installés, assoiffés et fourbus, à une terrasse du centre de Chamonix. Soudain était apparu un beau grand vieillard, un homme lumineux qui contempla longuement notre matériel de bivouac (les premières tentes à arceaux et les premiers matelas auto-gonflants) et surtout nos piolets techniques révolutionnaires, nos chaussures en coque plastique et nos crampons à fixation rapide type ski, incroyables cadeaux que nous avait faits notre sponsor principal, la firme Charlet-Moser, à nous alpinistes amateurs du plat pays! Avec ça, on était crédible pour tout Chamoniard, surtout hors saison touristique. On engagea donc la conversation, obligé! Il s’assit et partagea une bière. Bon dieu, si l’époque avait été au selfie, on aurait déchiré. Il y a 30 ans, on n’a même pas pensé à faire une photo, on était tétanisé, on se sentait comme aspiré par son charisme, on était simplement ravi et honoré…
Frison…, c’était Frison-Roche!
Deux ans plus tard, nous sommes allés, mon mari et moi, randonner dans son pays, le Beaufortin, poussés par l’envie de poursuivre le rêve et de mieux connaître les racines de cette légende que nous avions eu l’immense privilège de côtoyer.
Aussi après le passage cet été du Tour de France dans cette vallée, j’ai eu une irrépressible envie de redécouvrir cet homme mythique. Je suis donc allée récupérer dans notre bibliothèque de montagne l’avant-dernier de ses 35 livres, celui de ses mémoires, Le Versant du Soleil.
Et pendant quelques nuits enchanteresses, j’ai voyagé à l’ancienne, subjuguée par la vie incroyable d’un véritable héros du XXème siècle. Tout y était : le goût de l’aventure de l’époque, l’héroïsme et l’histoire France avec les deux guerres puis l’exode algérien, la saga familiale, la nature sublime et cruelle, l’écologie et l’ethnologie, les montagnes, le désert et les immensités polaires, les témoignages journalistiques, photographiques et cinématographiques… Un Nicolas Hulot puissance 100!
Avec ce talent littéraire, mêlant poésie et souffle puissant, qui en fit un écrivain adulé en son temps, encore présent dans toutes les anthologies de textes français pour ados! Ah, ce sens de l’image quand on étudie la description avec les élèves, lisez plutôt:
Ainsi vous sera découvert un paysage étrange, inattendu, même des alpinistes; les fines aiguilles de protogine semblent animées d’un mouvement démentiel, elles penchent, s’effilent, basculent sur le duvet léger d’un nuage solitaire, et sous elles les rimayes s’ouvrent et se ferment comme une respiration, la montagne inerte devient vivante, et vous percevez les bruits internes de ces glaciers, de ces rocs, la plainte susurrante du vent de neige sur les corniches, le plaquement brusque d’une rafale dans la brèche d’une aiguille, la canonnade métallique des pierres le long des couloirs, le bruit de soie froissée des avalanches, le tumulte des cascades syncopé par les courants d’air alternés et parfois couvrant tous les autres, étouffant même le bruit monotone du moteur de votre avion – ce bruit familier et ronronnant qui laissait deviner le grand silence intérieur -, le craquement de fin du monde d’un glacier qui s’écroule.
Petit parisien pauvre et orphelin après la Première guerre mondiale, Frison-Roche trouve une raison de vivre pendant les vacances dans sa famille à Beaufort-sur-Doron. Il y est berger l’été et acquiert pour toujours le goût de la nature. Pas bon à l’école, il soulage sa maman en prenant son envol très tôt. Chamonix l’attire, il y sera à jamais une personnalité marquante, y tenant une brasserie populaire, participant à l’organisation des Jeux de 1924, devenant également le premier guide de la Compagnie à ne pas être natif de Chamonix. Après une vie d’aventures, il y reviendra, faisant construire son chalet côté Brévent, le versant du soleil avec vue totale sur le massif du Mont-Blanc .
Il partit en Algérie avec sa petite famille, devenu alors journaliste. Le Sahara le subjugue, il y fait des méharées d’exploration avant et après la Deuxième guerre, pendant laquelle il est fait prisonnier puis devient résistant dans le maquis du Beaufortin, absent pendant plusieurs années de l’Algérie où il avait laissé son épouse et ses enfants… Il revient et poursuit ses traversées du Sahara, escaladant des sommets vierges et inconnus. Mais les temps changent et il décide d’abandonner cette terre chérie avant le déchirement final. La famille s’installe à Nice puis finit par revenir à Chamonix. Leur fils aviateur meurt lors d’un vol d’essai. Entre temps, le Sahara a fait place aux grandes solitudes polaires, et là encore Frison, lors de plusieurs expéditions, se fait explorateur et ethnologue.
Mais cette vie ne l’empêche pas d’écrire, elle nourrit sa vocation de conteur : Premier de cordée, La Grande Crevasse, Retour à la montagne et tous ses récits sahariens et polaires font de lui un immense écrivain d’aventures. 35 livres. Et beaucoup de best-sellers…
« Premier de cordée » deviendra un film tourné en pleine occupation, dans des décors naturels avec toute l’équipe artistique et technique vivant en refuge en pleine Vallée blanche. On peut trouver sa version restaurée en DVD.
Frison-Roche aura parcouru en tous sens les sept vallées du Mont-Blanc, la vallée du Beaufortin comme jeune berger puis traquant les troupes nazies en tant que résistant, tout le Sahara jusqu’à l’Afrique noire, le Grand Nord canadien, les terres polaires. Un itinéraire parfaitement conforme aux aspirations de son époque.
Certes, son discours sur l’Algérie, ses conceptions de « race » et de « civilisation » sont parfois un peu datées mais il témoigne toujours d’un grand respect et d’une vraie admiration pour les peuples qu’il rencontre et découvre.
Rétrospectivement et en relisant ses Mémoires, je me demande pourquoi il n’a pas tenté l’aventure himalayenne comme son contemporain, maire de Chamonix et héros de « Annapurna, premier 8000 », Maurice Herzog. C’était l’époque de gloire pour les Français. Nous lui avions parlé de notre projet, escalader le Nun-Kun dans l’Himalaya indien, un sommet « vaincu » par le Français Bernard Pierre. Je ne me souviens pas qu’il ait embrayé sur le sujet… L’Asie ne le tentait pas, tout simplement. L’exploit purement sportif non plus.
Frison revint à Chamonix, là où il avait acquis encore adolescent, son indépendance et où il avait rencontré son épouse. Il se fit construire Derborence, un grand chalet familial, sur le versant du soleil et proche de l’avalanche du Brévent pour ne jamais oublier la force de la montagne. Il y mourut en 1999.
Son souvenir reste vivant dans la capitale de l’alpinisme avec une superbe voie d’escalade, un trail et une cité scolaire…
Et pour nous tous, ses livres qui sont l’expression d’une curiosité insatiable et d’un immense amour de l’humanité.
Pour Frison, un de mes lieux favoris : la chaîne du Mont-Blanc depuis le Lac Blanc. Chamonix est en bas, avec son chalet Derborence accroché sous le Brévent, au soleil… Quelle vue!
Combien de vies as-tu vécues ? On était bien loin d’imaginer tout cela quand tu as quitté le « cocon lyrique » liégeois ☺. A la prochaine.
JC
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Pour je ne sais quelle raison, impossible d’éditer par la voie normale ton commentaire, chère cousine… J’ai dû me résoudre à faire un copier-coller pour te donner droit au chapitre !
Cosmos Saturne a ajouté un commentaire sur L’homme aux sept vies
Stupéfiée je suis!
Alors ce Nun-Kun, avez vous vu de vos yeux, à son sommet, l’innombrable et incandescente Chaîne Sacrée?
Il me semble tout à coup me rappeler ce décrochage et l’accident qui courbera mon cousin pour le restant de ses jours…..
Stupéfiant cette rencontre inopinée avec une sacré bonhomme!
Tu me fais rire avec ton « selfie » vrai vous auriez eu un vedettariat de disons….3 secondes!
Adolescente j’ai eu deux rencontres majeures…. » La Nahanni » une épopée du moyen nord, un tumulte d’eau, remplie de poissons, des forêts remplie de faune et de flore, et des paysages somptueux……et maintenant des petits jeunes en mal de fausse aventure se font héliportér, puis montent en gonflables de haute technicité pour une descente rapide avec 2 bons guides pour que personne n’y perde la vie. Et gros repas au bout bien arrosé.
Misère!
C’est violer cet endroit.
Juste pour pouvoir dire “ je l’ai fait » à coups de beaucoup de $ !
Mon dieu que je me sens vieille râleuse, ha ha!
Ce n’est vraiment pas ce qu’ autochtones , ni « voyageurs »en canots amérindiens du 18eme ont vécu. Quel courage, quelle patience, mais que de paysages.
C’est un des endroits canadiens que j’aurais adoré côtoyer.
La deuxième rencontre est « la piste oubliée »….ce que cela m’a fait rêvé.
Et en plus, pas laid le bonhomme! Il a dû avoir pas mal de succès!
Je n’ai pu écrire dans les commentaires car cela ne s’affiche pas.
Ici depuis 5 nuits, gel assez soutenu, et en journée, pas plus de 12, brrrrr!
Mais même pour ici c’est bien tôt dans la saison. Étonnant. Triste aussi, car anormal, comme chaque jour de météo désormais.
Je viens de terminer un livre-bible-de haute science-savoureux-etonnant-optimiste…….
Si tu es bien sage je te l’enverrai, aïe, à ouch, un de plus à ranger…….
Oui ma chère, pour moi un des 5 meilleurs de toute ma vie.
Je vais en commander plusieurs et l’envoyer à tout le monde.
Après cela il n’y en aura plus d’autres car je ne pourrai aller au delà de celui-là.
J’espère bien que tu es sur le grill!
Alors en ce samedi matin, trop froid pour jardiner, bien que très ensoleillé, je vais nous préparer potage poireaux-poires, poulet au citron et safran et crème au chocolat…..pourquoi se faire du mal quand on peut se faire du bien?
Je jardinerai cet après midi, car l’hiver me mord les fesses ce me semble.
Ou alors surprise, nous aurons une canicule en octobre! Tout est possible de nos jours.
Simon, imagine, va fêter ses 16 ans lundi!
Je n’en reviens pas!
Il est drôle, gentil, rempli d’humour, travaillant, et très intelligent pour ce qui l’intéresse: l’ordinateur et tout ce qui s’y rattache. C’est fou ce qu’il invente!
Il a fondé une compagnie avec un copain et ils feront des bénéfices d’ici une année!!
La dessus je te bise et prends bien soin de toi, le foutu virus fait à nouveau des siennes partout, ha non excuse, en Chine il n’y en a plus du tout de dire le merveilleux président….je rigole bien!
Tralala Plouf Plouf
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Comme dans toute expédition, chacun a son rôle et nous n’étions pas prévu pour le sommet, que nos compagnons d’ailleurs n’ont pas atteint… Mais j’ai tout de même pu atteindre les 5500 mètres, j’y tenais, je voulais aller plus haut que le Mont Blanc tout de même! Et d’un plateau, j’ai pu voir le massif du Nangat Parbat et celui du K2, situés au Pakistan tout proche. Ce sont les 2ème et 3ème 8000 de notre bonne vieille planète, impressionnants ! Mais dans l’avion entre New Delhi et Srinagar, nous avons pu contempler toute la chaîne himalayenne et là, c’est un souvenir qui me trotte toujours dans les yeux… Nous avions tout d’abord cru à un immense banc de nuages blancs et puis, nous nous sommes aperçus que c’étaient des sommets enneigés qui nous barraient l’horizon de part en part… On ne savait plus détacher nos yeux du hublot ! La chute qui a handicapé mon homme, c’est l’année suivante dans les arêtes de Rémieux, en Suisse. Une dégringolade de plusieurs dizaines de mètres car escalade sans corde, qui s’est terminée dans un pierrier et lui a coûté deux vertèbres.
Le temps ici aussi est capricieux, quelques gelées nocturnes qui ont mis à mal mes dernières tomates, puis une canicule de deux jours, et puis pour l’instant des températures entre 20 et 25°C sans aucune vraie pluie depuis des semaines. Mais on nous promet que tout va changer fin de semaine prochaine avec des perturbations tellement importantes qu’elles supprimeraient l’état de sécheresse ! Bang, pas de chance! Nous avons prévu, Barbara et moi, une excursion avec visite des ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville et celle du parc du château d’Enghien. Il fera frais et humide, tant pis pour nous! Pour le reste, on fait attention : masque, lavage des mains, gel hydro-alcoolique, manifestations intérieures où la distanciation sociale est effective avec des gens responsables et on privilégie tout de même les activités en extérieur tant que le beau temps le permet. Les deux dernières grandes épidémies qui datent des années 60 (grippes) ont mis deux ans à se résorber, il faut donc être patient, responsable et altruiste. Et ça… dans notre société actuelle, c’est bien difficile à faire comprendre aux gens. Au nom de leur sacro-sainte liberté individuelle, de leurs droits en tous genres (celui de faire la fête, celui de partir en vacances… et j’en passe), ils font n’importe quoi.
J’admire l’évolution de Simon, il la doit beaucoup à toi qui as eu tant de patience, d’abnégation et de clairvoyance pour le guider et en faire un gars bien.
Bon dimanche, cousine. Moi, je m’en vais le passer chez ma maman avec toujours un peu la peur au ventre, ne sachant jamais d’une fois sur l’autre dans quel état je vais la trouver… ainsi va le destin !
Bisous chaleureusement liégeois !
Rita
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