Diable préfabriqué

C’est à une autre époque, dans une autre vie que j’ai découvert Berlin. En octobre 2000, on y fêtait le dixième anniversaire de la réunification. L’avenir européen semblait radieux ; la guerre froide, définitivement enterrée ; la paix, à portée de main…

Si Paris s’enorgueillit de sa « Vieille dame de fer », la capitale allemande est, elle aussi, hérissée de tours. Vers l’ancien Berlin-Est, la fameuse Fernsehturm (la tour de la télévision) qui de ses 365 m permettait à la RDA de tout voir du côté ouest ; vers l’ancien Berlin-ouest, la Siegessäule ou Else d’or, colonne célébrant les victoires de la Prusse contre le Danemark, l’Autriche et la France ; La Funkturm (la tour de la Radio), relais vers « le monde libre »… Et pour poursuivre dans la comparaison avec Paris, dans le lointain ce qui pourrait faire penser au Sacré-Coeur!

Mais si on zoome, on aperçoit alors un bien étrange bâtiment complètement délabré.

C’est la Teufelsberg, la colline du diable avec à son sommet une ancienne « grande oreille » américaine, une des plus grandes bases d’espionnage du temps de la Guerre froide. On y recevait et décryptait tous les signaux venant du Bloc de l’Est, URSS comprise. Sa construction a commencé au début des années 60, s’est amplifiée dans les années 70 pour se terminer et fonctionner à plein régime dans les années 80.

La station de la NSA était parfaitement intégrée au paysage et aux loisirs berlinois avec des lieux de détente, une piste de ski, un grand lac et même un vignoble…

La disparition de l’URSS sonne le glas de la station. Elle est démantelée puis abandonnée. Aujourd’hui, ses ruines sont le témoin d’une époque pas si lointaine de l’histoire européenne et représentent un des plus grands lieux d’expression d’art urbain avec graffs, graffitis et tags en tous genres.

Des voix s’élèvent aujourd’hui pour réhabiliter le site mais tous les projets se heurtent au fait que la forêt environnante est classée désormais réserve naturelle.

Et pourtant, cette Teufelberg, cette colline du diable n’a absolument rien de naturel, c’est une création totale. Une création dramatique et assez morbide… Cette colline verdoyante de 120 mètres de haut a été construite dès 1950 avec 26 millions de m3 de gravats des ruines du Berlin bombardé.

Mais ce n’est pas tout! Ces tonnes de gravats ont enseveli un bâtiment que les Alliés voulaient voir disparaître à tout jamais : la Wehrtetechnische Fakultät, la faculté de génie militaire de l’université de Berlin… Un site imposant qu’il fut plus facile, même s’il avait été bombardé, d’ensevelir que de démolir.

Voilà donc l’étonnante histoire de cette colline du diable!

Si le site vous intéresse, il fait partie du programme de certaines agences touristiques lorsque les visites sont autorisées sur la base américaine… Quant à son avenir, il est depuis 2013 en discussion avec les différents intervenants politiques.

Il y a certaines vertes collines qui cachent décidément bien leur jeu…