C’est un beau roman

Au 21ème siècle, c’est très souvent le dépouillement des églises cisterciennes qui nous émeut et nous fait découvrir la beauté de l’art roman. Nos yeux accablés d’images s’y reposent. 

Ici l’abbaye du Thoronet, puis celles de Sénanque et de Silvacane.

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Cette apparente simplicité est en réalité extrêmement complexe. Bâtie sur un équilibre parfait de la lumière, une harmonie des masses et des volumes, une acoustique particulière, l’église cache également toute une symbolique par son orientation et ses dimensions (les 4 éléments en croix latine selon les points cardinaux représentant chacun un mystère: la terre, la nativité ; l’air: l’Ascension ; le feu : l’esprit saint de la Pentecôte; l’eau: la purification, le baptême et la résurrection). La pierre doit être brute, sans aucune décoration ; seule concession éventuelle à la couleur: certains carreaux vernissés au sol.

Une telle architecture, originaire de Cîteaux, représente la pauvreté militante des ordres mendiants et un dépouillement afin d’associer les fidèles à la célébration divine sans qu’ils soient distraits. Elle présente également (surtout dans le sud de la France) des voûtes innovantes, proches du gothique. Ces monuments sont apparus à partir de la fin du XIIème siècle.

Cependant l’architecture religieuse a connu également un tout autre style roman, issu de la Renaissance carolingienne (de 751 à 987), de l’art ottonien puis de la découverte éblouie de Byzance lors de la Première Croisade (1096) : fresques, mosaïques, pierres précieuses, chapiteaux ornementés…

25664784751_fe8198f82f_b.jpgAu tournant de l’an mil, les murs d’une église sont un grand livre aux images changeantes selon l’heure des offices : une luminosité glorieuse de jour ou mystérieuse de nuit à l’aide des cierges. C’est une formidable machine de mémoire relatant toujours le même drame religieux et la destinée de l’Homme. De splendides fresques aux couleurs chatoyantes créent l’émerveillement des personnes illettrées et  servent sans aucun doute aussi à leur endoctrinement. Les monastères s’enrichissent des dons des fidèles et des seigneurs laïcs (auxquels ils appartiennent), et rivalisent alors dans la grandeur et la splendeur de leurs bâtiments.

La réforme grégorienne réglementera ensuite tout cela, la richesse ne devant plus servir à l’embellissement excessif des lieux de culte mais à l’aide aux indigents et au renforcement de la piété, notamment par la musique. La dérive dans la splendeur de Cluny fera alors place à l’austérité de Cîteaux comme vu précédemment.

Il est parfois bien difficile pour nous d’imaginer l’église romane comme un théâtre d’images car leswBkEzfJrbkBBpHDt5cS_PeHk_KM.jpg fresques murales ont subi les affres du temps historique et météorologique (surtout au nord de la Loire), et des restaurations peu scrupuleuses ou étonnantes à nos yeux contemporains comme celle d’Anatole Dauvergne, engagé par Prosper Mérimée, qui repeignit entièrement en 1860 l’intérieur de l’église d’Austremoine d’Issoire « dans le style roman » (voir ci-contre). Une interprétation, comme celles à la même époque de Viollet-le-Duc.

C’est depuis deux jours que je me suis plus particulièrement intéressée en détails à cette période de l’art roman ; j’étais restée subjuguée par le noble dépouillement serein et frais de Silvacane et de Sénanque lors de mes visites au cœur de l’été provençal. Mais bien tard l’autre soir, je suis restée scotchée sur le documentaire « Le triomphe des images il y a mille ans » qui nous présentait le miracle de Saint-Savin-sur-Gartempe, dans la Vienne (à une quarantaine de kilomètres de Poitiers). Et j’ai eu envie de vous faire partager mon émerveillement.

J’ai découvert donc Saint-Savin sur Gartempe, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1983, inscrite immédiatement au Patrimoine national dès 1840 par Prosper Mérimée lorsqu’il la découvrit et surnommée (par André Malraux?) « La chapelle Sixtine du Roman ».

L’extraordinaire dans ce bâtiment, c’est tout d’abord la surface peinte (environ 460m2) à une hauteur de plus 17 m et sur une longueur de 42 m.

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Un ensemble de 42 scènes ( 66 à l’origine) soutenues par de superbes colonnes.

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Outre la grande voûte, l’ensemble de l’église est également entièrement peint.

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Les fresques à l’époque devaient être chatoyantes. Les bleus et les verts ont disparu en grande partie, restent les dégradés d’ocre et les rouges. 

Qui a peint ce chef-d’oeuvre? On ne le sait pas et c’est un des désespoirs des médiévistes. Sans doute pas une seule personne même si une grande unité de style apparaît. On peut donc supposer que les artistes appartenaient à un même atelier sans toutefois que leur rôle soit bien défini, on les nomme donc aujourd’hui « concepteurs d’images ». 

Ils ont dû souvent passer du cadre de la miniature à la fresque et libérer ainsi leurs gestes en leur donnant de l’ampleur.

Outre les proportions étonnantes, ce qui fait l’originalité des fresques de Saint-Savin, c’est un style qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, comme si ce chantier avait été le seul réalisé par cet atelier. On y remarque le parfait équilibre des formes, la dynamique qui s’en échappe (les mouvements des vêtements) et une véritable volonté de narration (le martyre de Saint-Savin, la construction de la Tour de Babel, l’Arche de Noé…)

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L’expressivité se marque sur les visages mais surtout par les gestes de mains disproportionnées

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Voici, sur le site de l’abbaye, la possibilité de voyager dans la voûte sans se tordre le cou!   

http://www.panoglobe.com/2010/08/100801-07-stsavin/index.html

 

Un site également qui vous présente bien des détails:

https://inventaire.poitou-charentes.fr/operations/le-patrimoine-roman/64-decouvertes/392-l-eglise-romane-de-saint-savin-une-voute-peinte-exceptionnelle

 

Je ne puis que vous conseiller, si vous en avez l’occasion, de découvrir ce superbe documentaire dont le tournage a ému toute la région, dont France 3 s’en est enorgueillie dans toute la presse régionale mais qui l’a programmé le 14 août à 23h55…  Décidément, les lois de programmation des chaînes sont impénétrables! Je ne l’ai malheureusement pas encore retrouvé en entier, juste le teaser…

Le triomphe des images il y a mille ans, de Jérôme Prieur

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La chrétienté, la société et l’art ont été bouleversés lors du Moyen Âge par l’installation de la féodalité mais aussi par la réforme grégorienne, peu connue pourtant. C’est elle qui crée le pouvoir papal libéré de celui des seigneurs, ordonne le célibat des prêtres afin que le patrimoine de ceux-ci, mariés depuis toujours, ne soit pas divisé entre leurs héritiers, la suprématie des clercs sur les laïcs au sein même de l’église (le chœur où se tient l’officiant est dorénavant séparé, caché, mystérieux aux yeux des fidèles…) et bien d’autres choses encore expliquées dans le podcast ci-dessous. C’est certes un rien savant mais l’essentiel est tout-à-fait compréhensible et très étonnant.  

https://soundcloud.com/exomene/frequence-medievale-040-la-reforme-gregorienne 

Un commentaire sur “C’est un beau roman

  1. Qu’est-ce que le  » roman » dans l’Art ? Ce terme , inventé et adopté par des archéologues français du XIX s. , provient d’une combinaison entre le « bas-latin » et le français du XIII s. Ce style  » art roman » regroupe architecture romane ,sculpture ,peinture et statuaire de même époque . Elle prend ses sources dans l’Antiquité tardive en Lombardie ( cela me rappelle JMO 😉 )pour s’étendre dans diverses régions et contrées lointaines .
    Pénétrer dans ces abbayes d’époque ,c’est pénétrer dans un monde dépouillé et silencieux ,nullement angoissant , mais un monde pour le recueillement et à la recherche d’une paix intérieure .Les différents ordres religieux y vivaient selon des règles très strictes .La Règle de St Benoit étant toujours d’actualité chez nous comme ailleurs et , notre Pape actuel a choisi son nom .
    St Gavin -sur – Gartempe me surprend par son intérieur richement décoré , avec des couleurs autrefois chatoyantes , ses colonnes différenciées et , surtout avec sa splendide et longue fresque peinte sur la voûte ( pas de trace d’ébauche )…Je reste  » scotchée » devant toutes ces scènes tirées des livres de la Genèse et de l’Exode mais aussi amusée notamment par la représentation de  » La création de la femme » et de  » Joseph et Pharaon ». Cette fresque me fait un peu penser à la Tapisserie de Bayeux .( le bateau de Noé par ex.)
    Les différents liens nous informent très bien sur cette magnifique abbaye qui a subi de nombreux dégâts durant les siècles , dont la perte totale des archives brûlées par les protestants .
    Le Monde détient des merveilles réalisées par l’Homme , au prix souvent de nombreuses vies . des outils souvent archaïques , conditions de travail pénibles , et à des mystères de fabrication ou réalisation . Ce Chef- d’œuvre parmi tant d’autres , est heureusement classé par UNESCO et les nombreux médias nous permettent de découvrir ces  » trésors » et de nous les conter comme un  » beau roman  » .

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