Gott! Welch Dunkel hier…

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Peut-être sont-ce les paroles prononcées par Jon Vickers ce 10 juillet 2015. En espérant cependant pour lui, le croyant fervent, que le lieu soit plus accueillant que la prison de Florestan, et que la lumière ait enfin remplacé l’obscurité dans laquelle l’avait plongé lentement la maladie d’Alzheimer depuis une dizaine d’années.

Sans aucun doute, la plus déchirante interprétation de ce célèbre cri du mari de Fidelio dans l’unique opéra de Beethoven.

Personnage carré physiquement parlant avec une voix ni italienne (bien qu’il ait interprété de grands rôles de ce répertoire), ni allemande (malgré ses nombreux rôles wagnériens), ni française (il fut pourtant Don José, Samson, Énée…). Une voix qui ne ressemblait à aucune autre, brute comme celle d’un bûcheron disaient certains en référence à sa nationalité canadienne, mais capable des nuances et des pianissimi les plus subtils. Une présence charismatique également à une époque où les ténors ne faisaient pas de l’investissement scénique une priorité… (ici en répétition avec Karajan et Rolf Liebermann)

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Pour les amateurs d’opéra de ma génération, le nom de Vickers fait tout de suite penser à ces enregistrements légendaires dont les pochettes même nous émeuvent aujourd’hui tellement elles nous étaient familières…

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Sa discographie est immense, beaucoup de ces opéras existent en plusieurs versions avec tous les grands interprètes de l’époque et les plus grands chefs. Son répertoire était aussi extrêmement éclectique. On y trouvera aussi le Requiem de Verdi, Le Chant de la Terre de Mahler, Elijah de Mendelssohn, le Winterreise de Schubert, la 9ème de Beethoven, certains lieder de Richard Strauss… Seul Mozart manque à l’appel et cela vaut mieux d’après quelques témoignages retrouvés après la seule interprétation qu’il donna de Così fan tutte en 1953 à Toronto. Le grand Nicolaï Gedda (toujours vivant n’en déplaise à certains), ayant interprété Ghermann de la Dame de Pique de Tchaïkowsky, confia qu’il voyait mieux ce rôle pour Vickers ou Domingo. Vickers ne releva pas le défi de chanter en russe. Dommage car la folie du héros lui aurait bien convenu…

J’ai aussi cherché à savoir si son chemin avait croisé celui de Callas. Eh oui, plusieurs fois dans Medea de Cherubini. Un extrait d’interview de la Divina avec la représentation de cet opéra à la Scala en 1961. On y aperçoit Vickers mais on ne l’entend pas malheureusement…

Il existe aussi des films, le plus souvent tournés avec Karajan, où son talent de comédien et son charisme sont bridés par l’inévitable play-back de mise à l’époque.

Quant à mon expérience personnelle, elle se limita d’abord au disque. C’est lui qui m’a fait découvrir Samson. J’ai adoré son Siegmund, le duo d’amour des Troyens. À la scène, j’ai pu voir son Otello à Garnier en avril 77 et j’avoue ne pas en avoir gardé un souvenir exceptionnel. Il y avait sur scène un Iago qui capta toute mon attention (Sherrill Milnes) et puis les costumes et la mise en scène avaient été conçus pour Domingo que j’avais vu plusieurs fois dans cette production. Il y campait un Otello charnel, comme un grand fauve, avec des costumes accentuant plus son côté maure et arabe que sa négritude. Vickers, la face très noire, eut du mal à se glisser dans cette vision du personnage.

J’ai tout de même retrouvé dans mes archives quelques documents émouvants de cette soirée…

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hqdefault.jpgDe Paris, je garde également un souvenir ébloui d’une retransmission de l’Incoronazione di Poppea où il campait, aux côtés de Gwyneth Jones et du Sénèque grandiose de Nicolaï Ghiaurov, un Néron fantastique. 

En dehors du Palais Garnier, c’est sans aucun doute, sur le sol français, aux Chorégies d’Orange qu’il livra ses représentations les plus légendaires : Tristan, Fidelio et La Norma.

Ah, cette Norma! Avec Montserrat Caballé, Josephine Veasey et … le mistral, d’enfer ce soir-là, qui ajouta encore plus de densité dramatique au jeu de ces immenses chanteurs. Définitivement pour moi, La Norma, c’est cette interprétation !

  

Pendant longtemps, j’ai cru qu’en raison de ses croyances religieuses très exacerbées, Vickers avait refusé d’interpréter Parsifal. Je me trompais lourdement. C’est en réalité Siegfried qui lui semblait trop païen. Il campa un Parsifal extraordinaire dont porte témoignage Christa Ludwig:

« (Kundry) quel formidable rôle! Et, en plus, merveilleux à chanter! Au dernier acte, lorsque Parsifal dit: « Du weinest-Sieh! es lacht die Aue » (Tu pleures! Vois, tout rit aux plaines), j’étais à chaque fois si émue que je me mettais à pleurer. Surtout lorsque Jon Vickers était mon Parsifal. Jon Vickers s’appropriait ses rôles au point de s’identifier à Othello ou à Parsifal. Il chantait ces « notes entre les notes » qui expriment la musique au-delà de la vocalité pure. J’ai chanté avec lui pour la dernière fois au Met avec James Levine au pupitre. Ce grand chef mit un tapis de pianissimo enchanteur sous le récit « Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust » (Je vis l’enfant au sein de sa mère)! Je n’oublierai jamais l’explosion de Vickers « Amfortas! », après le baiser de Kundry ; la prise de conscience subite de Parsifal s’exprimait si violemment dans la voix de Vickers que cela allait bien au-delà d’une note chantée. » 

Christa Ludwig, Ma voix et moi, Les Belles Lettres/Archimbaud – page 133.    

Un extrait sonore de l’Enchantement du Vendredi Saint lors d’une représentation à Bayreuth en 1964 (avec Hans Hotter). Et la fin impressionnante dans une version vidéo à Genève en 1981. 

 

 

Vickers4.jpgPour en revenir au côté italien de sa carrière, je vous recommande ce disque (enregistré à Rome en 1961) où l’on va d’étonnement en étonnement en l’entendant interpréter Gioconda, Don Carlo, Andrea Chenier, Tosca, Il Trovatore… Cielo e mar, Recondita armonia, Ah!si ben mio, Come un bel dì di maggio désarçonnants…    

Lors de mes recherches, je suis tombée sur ce portrait très intéressant réalisé par un autre bloggeur.  

http://www.paperblog.fr/7706282/in-memoriam-jon-vickers-1926-2015/

Pour ceux qui lisent l’anglais, un portrait « candide » par John Ardoin, dans The Tenors, Herbert H.Breslin, Editor. Et l’incontournable « En passant par Paris » de Rolf Liebermann, un livre monument avec des photos incroyables. 

En conclusion, je ne peux que vous souhaiter de bien belles heures musicales en découvrant ou en redécouvrant cet artiste majeur de la vie lyrique du 20ème siècle.

Sans aucun doute le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre.