Ah, la belle histoire!

Il était une fois, un vieux professeur qui donnait cours dans la même école depuis 36 ans. Elle y était arrivée en 1976 avec l’avènement de l’enseignement rénové. Elle faisait partie alors d’un groupe de jeunes profs ayant tous à peu près le même âge mais elle était la plus jeune. Résultat : pendant plus de 30 ans, elle a donné les cours que les autres ne voulaient pas. Chaque année au gré des envies de changements de ses collègues, elle devait changer, elle aussi, d’attributions, le fameux jeu de dominos. Elle a ainsi préparé plus de de 25 cours différents, parfois pour une seule année scolaire et pour une seule heure de cours à donner…

Le temps a passé et la voilà maintenant depuis l’an dernier la plus ancienne. Ouf, se dit-elle, pour les trois dernières années scolaires de ma carrière, je vais pouvoir souffler un peu, ne plus passer mes soirées et mes week-ends à préparer sans cesse des leçons. Je n’aurai qu’à un peu en modifier certaines selon les capacités de mes élèves et leurs centres d’intérêt. Le rêve, enfin!

Mais voilà que déboule dans son école un jeune homme (on se sait pas encore s’il est beau…), tout fraîchement sorti de l’école normale mais bien poussé dans le dos par une maman apparemment ponte politique.

Et qu’arriva-t-il, à votre avis?

L’Échevinat de l’Instruction publique de la Ville de Liège  a sommé le vieux professeur de céder quatre heures de français de son horaire à ce jeune homme en échange de 4 heures d’histoire (cours que le jeune homme ne peut pas donner, lui)…

Le vieux professeur n’a pas été prévenu, ni par sa direction, ni par son inspecteur, ni par son échevin. Elle n’a pas eu droit au chapitre. Elle se sent désormais dans la peau d’un simple pion qu’on déplace avec un ignoble mépris pour tout le dévouement dont elle a fait preuve jusque là (elle a aussi fait partie du comité de l’asbl de l’école pendant plus 30 ans, simple membre puis secrétaire et enfin présidente, responsable du service social et du prêt des livres). On lui a juste relayé cette injonction: « Elle a une nomination de professeur de français et d’histoire, elle est obligée d’exécuter notre décision… »

La voilà donc avec 3 classes tronçonnées (non, elle n’aura même pas des classes complètes, très pédagogique tout cela!). Des heures en 3ème année, elle rafraîchira son cours d’il y a 3 ans pour le mettre en conformité avec le nouveau programme ; une heure, une seule heure! en quatrième, où là, elle devra préparer un tout nouveau cours. Elle donnera cette malheureuse heure en pleine après-midi après avoir attendu pendant trois heures de fourche… Les élèves n’ont pas de manuel, le professeur doit donc tout leur fournir par photocopies qu’elle confectionne elle-même. Il lui faut choisir et préparer tous les documents, les mettre à leur niveau, confectionner les questionnaires, organiser les travaux de groupes, rédiger les synthèses lacunaires. 5 heures de recherche et de rédaction pour 50 minutes de cours, rendement de fou. 

Tout cela à 58 ans après 38 ans de carrière (dont 36 dans la même école) et à deux années scolaires de la retraite. Elle est pas belle, la vie?

Sauf qu’il n’y aura pas de baguette magique, ni de happy end. Le deus ex machina roule pour le pouvoir en place. 

Alors, chers amis lecteurs, le vieux prof en question, c’est moi! Tous ces déboires expliquent mon silence pendant cette semaine de rentrée. Je suis « un rien » abattue par cette situation ubuesque.

Juste pour ceux qui me disent droit dans les yeux: « Les profs, ils préparent leurs cours une bonne fois pour toutes, et après roule ma poule, la belle vie », un récapitulatif de tous les cours que j’ai préparés et donnés:

1C: latin – français – histoire – atelier lecture/écriture

1S: atelier lecture/écriture

2C: français – atelier lecture/écriture

2S: français – complément français – atelier lecture/écriture  

1diff: français – histoire

2diff: français – histoire

3T : français – histoire – sciences humaines – éducation économique et sociale

4T : français – histoire – sciences humaines – éducation économique et sociale

3P: français – histoire

4P: français – histoire 

27 cours si je compte bien… Et, oh, mais je me rends compte en contemplant ce palmarès, qu’il y a un cours d’histoire que je n’ai pas encore donné! Je ne le révèlerai pas, au cas où mes supérieurs me liraient et que cela leur donne des idées pour l’an prochain, question de fêter dignement ma dernière année scolaire!

Mésaventure éloquente, n’est-ce pas? Allez au boulot, et avec le sourire, la grimace est plus belle!