Tout est parti d’un épisode de la 2ème Guerre Mondiale encore presqu’inconnu. Jamais quand on se penchait un peu sur l’histoire de la diaspora juive, on ne le mentionnait.
Il faut dire que les origines en étaient particulièrement étonnantes et peu glorieuses pour les Américains et les Européens.
Oui, l’Histoire réserve parfois d’incroyables incongruités comme celle d’un pacte passé en 1939 entre une association juive et un dictateur désireux de purifier la race des habitants de son pays !
De cette improbable alliance sont nés une ville prospère et un paradis tropical que vous avez peut-être fréquentés si vous êtes allés en République dominicaine : SOSÚA.







Anciennement Hispaniola, l’île sur laquelle Christophe Colomb débarqua lors de son premier voyage et dont il fit la première colonie espagnole (Saint-Domingue) est aujourd’hui partagée entre deux pays aux destins économiques antinomiques : la République dominicaine et Haïti.
Si la République dominicaine est devenue une des économies les plus prospères de l’Amérique latine, elle a cependant vécu jusqu’à aujourd’hui, une histoire tourmentée faite de colonisations, de guerres civiles, de régimes autoritaires, d’occupation américaine, de corruption généralisée, de tourisme sexuel et d’une véritable dictature pendant 30 ans. C’est au cours de celle-ci que commence notre étonnant épisode.

En effet de 1930 à 1960, y sévit le dictateur Rafael Trujillo. Soutenu par les États-Unis, l’Église, l’armée et les classes sociales aisées, il fait régner un régime totalitaire et développe un culte de la personnalité tel que la capitale devient « Ciudad Trujillo » et qu’il se fait appeler « Son Excellence le généralis-
sime docteur Rafael Leonidas Trujillo Molina, Honorable Président de la République, Bienfaiteur de la Patrie et Reconstructeur de l’Indépendance Financière ». À sa mort, il a pris possession de plus du tiers des terres du pays et de 80 % des industries. Il est devenu un des hommes les plus riches de son époque. Compromis dans l’assassinat du président vénézuélien, il devient pour le président Kennedy un allié gênant et il est abattu par des armes fournies par la CIA.
Ce personnage peu recommandable est pourtant lors des accords d’Évian de 1938, le seul (parmi 32 chefs d’état) à accepter d’accueillir des Juifs d’Allemagne et d’Autriche pourchassés par le régime nazi.
Ne croyez pas qu’il se soit soudainement transformé en philanthrope, non, non. Il y voit de grands intérêts :
- D’abord celui de saisir une belle opportunité de développer son pays, ces Juifs allemands et autrichiens faisant partie d’une classe moyenne très éduquée.
- Ensuite reconnu négrophobe ayant fait exterminer plusieurs dizaines de milliers de Haïtiens alors que lui-même était métis, celui de « se refaire une certaine virginité » au niveau international.
- Enfin et surtout celui, dans son optique raciste, de purifier la population dominicaine en la blanchissant grâce à ces Européens. Il avait d’ailleurs déjà accueilli des réfugiés espagnols lors de la Guerre Civile dans le même but.
À la fin des négociations, il est prêt à délivrer 5000 visas mais y met ses conditions : il lui faut une population jeune et en bonne santé, capable de subvenir à ses propres besoins financiers et de vivre en autarcie, pouvant obtenir un visa de transit dans tous les pays traversés (y compris les États-Unis). Conditions difficiles à remplir pour ces gens jetés sur les routes de l’exil en ayant été dépouillés de tous leurs biens.
Qui conclut ce douteux marchandage avec lui ? Un groupe de financiers juifs américains. Les États-Unis ne voulant plus délivrer de visas pour l’installation de ces nouveaux immigrants sur son sol , il fallait absolument leur trouver une autre terre d’asile. Ils voyaient là également une première expérience possible de kibboutz à grande échelle, utile pour la création d’un éventuel État d’Israël.
Seuls environ 750 futurs colons réussiront à rejoindre la République dominicaine de 1940 à 1945. Ils se verront attribuer des terres aux alentours de Sosúa, une région jadis très prospère grâce à la United Fruit Company qui y cultivait la banane dans les années 1900 mais redevenue une jungle en friche. Restaient des habitations de fortune occupées parfois l’été par des amateurs de la plage paradisiaque toute proche.



Organisés en kibboutz, ces colons, pour la plupart des intellectuels, vont tout construire de leurs mains et tout inventer avec des hauts et des bas, mais atteignant au final une belle prospérité. Et par dessus tout, en ayant l’impression de vivre dans un vrai paradis terrestre loin des horreurs de la guerre, sauvés de l’enfer et offrant un avenir à leurs enfants qu’ils choient plus que tout.








La guerre finie, certains rejoindront enfin les États-Unis, ou l’Amérique latine ou encore Israël. Mais de nombreuses familles resteront à Sosúa et seront même dans les années 60, la cible des successeurs de Trujillo et d’un bombardement américain en représailles, car elles hébergent des opposants révolutionnaires venant de Cuba. Par la suite, leurs descendants se sont définitivement intégrés à la population locale. Il restait même fin des années 90 des colons de la première génération…
C’est un de ceux-ci que Catherine Bardon, spécialiste de guides touristiques sur la République dominicaine, a eu l’occasion de rencontrer lors d’un de ses voyages de prospection. Il lui raconta son incroyable histoire et elle la garda en mémoire pendant plus de 25 ans. Puis créa une saga littéraire : « Les déracinés ». On y suit les pérégrinations d’Almah et de Wilhelm. Elle est dentiste, il est journaliste, ils font partie de la grande bourgeoisie juive viennoise. Ils sont contraints à l’exil avec la ferme intention de rejoindre de la famille à New York où on les attend à bras ouverts. Parqués dans des camps sordides en Suisse puis embarqués pour une traversée de l’Atlantique, il leur est refusé de mettre le pied sur le sol américain. Vient alors la fameuse proposition dominicaine, celle de la dernière chance. Ils ne sont pas Juifs pratiquants, ils ne sont pas sionistes, ils n’ont aucun goût pour le prosélytisme mais c’est participer à cette expérience ou retourner dans l’enfer européen… Les quatre volumes retracent leur vie aisée à Vienne, leur fuite, leur errance, la création de Sosúa, les choix que les générations suivantes feront. Une histoire « vraie », bouleversante, au souffle historique et romanesque tout à la fois. Je n’ai encore lu que les deux premiers volumes qui m’ont littéralement conquise et m’ont fait découvrir ce pan inconnu de l’histoire.




Voici le lien vers une interview de Catherine Bardon parue sur le site Akadem « le campus numérique juif ». Vingt minutes qui éclairent et amplifient le récit que je viens de vous faire…
Bonne découverte !