Entre les lignes (1)

En attendant l’heure de notre visite à l’exposition Toutânkhamon, l’organisatrice de notre voyage avait prévu une promenade dans le parc de La Villette. Sympathique initiative après un voyage de plus de cinq heures en car, avais-je pensé, qui allait nous permettre de nous dérouiller les jambes et prendre un peu l’air avant de nous immerger dans le monde pharaonique.

La promenade fut guidée par un ornithologiste botaniste historien… et me fit découvrir un lieu chargé d’histoire et un parc de plus de 55 ha paisible, bucolique, roucoulant d’eau et parfois exotique, en plein 19ème arrondissement de Paris.

Mes connaissances du lieu se limitaient au fait que c’était là que se situaient les abattoirs de la ville de Paris, la grande halle étant réservée à la viande de bœuf, deux halles secondaires consacrées à la viande de mouton et à la viande de porc.

Mais la commune de La Villette, c’est bien plus que cela : elle se trouva comme d’autres coincée entre deux lignes, entre deux murs jusqu’au début du 20ème siècle : le Mur des Fermiers Généraux et les fortifications de Thiers, les fameuses fortifs dont parlaient tous les chansonniers!

Le Mur des Fermiers Généraux n’était pas une muraille défensive mais un carcan autour de Paris voulu par Louis XVI en 1780 pour collecter l’impôt. « Ce mur murant Paris, qui rend Paris murmurant » disait Beaumarchais. Ce mur ponctué de 54 bureaux d’octrois appelés « barrières » fut pris d’assaut dans la nuit du 12 au 13 juillet 1789, vrai signal de départ de la Révolution. Il fut définitivement mis à bas en 1860 sous l’impulsion du Baron Haussmann qui voulait étendre la superficie de la ville de Paris. ††††††Ce qu’il en reste aujourd’hui? La Rotonde du Parc Monceau (devenue toilettes publiques), la Barrière du Trône (limite entre les 11ème et 12ème arrondissements, y passaient également les fortifications de Philippe-Auguste et de Saint-Louis), la fameuse Barrière d’Enfer (Denfer-Rochereau) dont le rôle fut primordial dans l’insurrection de Paris lors de la Libération en août 1944 et célèbre pour les amateurs d’opéra puisque c’est là que se situe le 3ème acte de La Bohème de Puccini et enfin la superbe Rotonde de Claude-Nicolas Ledoux au bassin de La Villette.†††††

Les fortifications, elles, furent érigées sous Louis-Philippe par Thiers de 1840 à 1844, en réaction au traumatisme de voir les Russes envahir Paris en 1814 après la défaite de Napoléon. C’était un anneau de 35 km avec 95 bastions, 60 portes et 16 forts avancés auquel Vauban, l’architecte de Louis XIV avait déjà rêvé. Derrière la zone fortifiée, 250 mètres de zone inconstructible et ensuite une route empierrée pour la circulation des troupes. Les différents bastions furent reliés par le chemin de fer de la petite ceinture.

Ces « fortifs » se révèlent rapidement complètement obsolètes puisque les Prussiens bombardent déjà Paris en 1870. Mais elles avaient permis aux Communards de tenir en respect les troupes Versaillaises. Elles deviennent tantôt un lieu de jeux pour les enfants et de promenades, des potagers ou alors la fameuse « zone » (le terme date de l’époque) où apparaissent des bidonvilles pour les sans-abris et où se replient tous les malfrats…

Dès 1884, certains envisagent de les démanteler et de construire un grand boulevard circulaire « de promenades, de jardins et de sports ». Dans l’entre-deux guerres, de très grands architectes comme Le Corbusier rêvent de cités-jardins. Sortent de terre alors des habitations bon marché en brique rouge (HBM). Les bidonvilles, eux, sont petit à petit rasés sur l’ordre du gouvernement de Vichy dès 1943.

Même si elles sont très présentes dans l’imaginaire collectif, il reste peu de choses de ces fortifications. Quelques morceaux de bastions, des marques au sol pour les matérialiser, quelques murs et ponts et la petite ceinture ferroviaire qui est aujourd’hui en voie de réhabilitation écologique à certains endroits.

C’est qu’à sa place est venu s’implanter le périphérique. Envisagé dès 1954 et inauguré en 1973…

Dans son besoin de liberté et d’extension, Paris a ainsi fait sauter ses deux derniers murs d’enceinte. La commune de La Villette se trouvait coincée entre les deux. Depuis la réorganisation des arrondissements Paris en 1860, elle fait dorénavant partie du 19ème.

Elle est traversée par le canal de l’Ourcq, creusé sous l’initiative de Napoléon dès 1802 pour ravitailler Paris en eau potable mais ensuite devenu voie navigable, industrielle et commerciale avec un port parmi les plus importants de France. Traversée également par les routes vers les Flandres et l’Allemagne.

Prochain article : nous prendrons le frais dans le parc!

Et si la passionnante histoire des fortifications de 1840 à nos jours (puisque de nouveaux projets sont dans les cartons des paysagistes et écologistes afin de rendre un peu d’humanité aux abords du périph’) vous intéresse, une seule adresse : des récits, des images, des photos, une documentation inouïe!

http://www.laurentbaziller-graphiste.fr/fortifs/index.html

Sacré Nicholas…

En 1913, pour créer cette œuvre maîtresse de la musique du XXème siècle qu’est le Sacre du Printemps, ils étaient quatre : ††

Le directeur des Ballets Russes Serge Diaghilev, le compositeur Igor Stravinski, le chorégraphe Vaslav Nijinski et le scénographe Nicholas Roerich.

Nicholas Roerich (1874-1947) est alors un célèbre peintre russe. Diplômé de l’Université de Saint-Pétersbourg en droit et de l’Académie des Arts, il fréquente les figures intellectuelles de l’époque: Stassov, Repine, Rimski-Korsakov et Diaghilev. Il a déjà collaboré avec ce dernier pour les fameuses Danses polovtsiennes du Prince Igor.

Il se lie d’amitié avec Stravinski et le seconde dans l’élaboration de l’argument du Sacre du Printemps, par sa passion pour l’archéologie, les rites anciens et la philosophie. Il avait notamment visité avec Héléna, son épouse et muse, plus de 40 villes, en quête de monuments antiques et des racines de la culture russe.

Nous sommes en 1913. De nombreuses photos et dessins témoignent de la création du Sacre. Ce qui a permis de reconstituer la chorégraphie et la scénographie originales.

C’est à ce titre que le nom de Nicholas Roerich est à la postérité connu des mélomanes. Et cela aurait suffi à sa gloire.

Mais pendant les 35 ans du reste de sa vie, il va révéler bien d’autres facettes de sa personnalité!

Terminons-en avec l’époque des Ballets et Saisons russes.

Nommé directeur de l’École de la Société impériale de l’Encouragement des Arts, il participe à de nombreuses expositions partout en Europe. Les plus grands musées (dont le Louvre) acquièrent ses tableaux. Des livres et des magazines d’art lui sont dédiés. En 1916, il s’exile en Finlande pour des raisons de santé. L’y rejoignent des artistes fuyant la Révolution de 1917. Les frontières étant dorénavant fermées, il est condamné à rester en Scandinavie, s’intéresse à son folklore et continue sa collaboration avec Diaghilev notamment pour le ballet Peer Gynt.

En 1920, Roerich tente l’aventure américaine, devient le directeur de l’Institut d’art de Chicago et organise une tournée de grandes expositions dans 30 villes américaines. Un peu plus tard, il rencontre Louis L. Horch qui devient son mécène et fait construire « The Master », un building de 29 étages dont les deux premiers sont dédiés à son art.

Et c’est ici que le destin de Roerich bascule et devient original et universel!

Épris depuis toujours de philosophie orientale, Nicholas et son épouse Héléna créent l’Agni Yoga Society d’inspiration théosophique, dans la recherche de valeurs universelles. Ils entreprennent un immense voyage en Asie pendant lequel ils découvrent le Tibet. Le peintre nous lègue alors des centaines de tableaux et des écrits, témoignages de ces paysages lointains et de sa spiritualité personnelle.

Quiconque a visité l’Himalaya ne peut y rester insensible… Pour ma part, ils me rappellent mon propre éblouissement devant ces sommets qui vous toisent de leur splendeur glacée hypnotique mais plus encore, ces jeux de lumières, ces immenses ombres violettes qui balayent les oasis du désert minéral que sont le Ladakh et le Zanskar. Souvenirs personnels très forts!

Me permettrez-vous devant ces beautés de vous livrer deux souvenirs de cette région du petit Tibet que nous avons explorée en 1986?

Dans l’avion tombeau volant qui nous conduisait de Delhi à Srinagar, un ami membre de l’expédition m’appelle, il était près du hublot: « Des nuages à ton avis? » Devant nous barrant l’horizon de part en part une mer blanche… « Oui… non! la barrière himalayenne… » Tous les 8000 de la Terre sous nos yeux dont l’Everest!

À pied cette fois en gagnant le camp 1 sur le grand plateau du Nun-Kun que nous devions escalader. Une immense crevasse à passer à chaque ravitaillement mais l’effort et les risques encourus valaient la peine car on se retournait et on avait la gifle du massif du Nanga-Parbat, 3ème 8000 après l’Everest et le K2. En majesté. Rien que pour nous…

 

Revenons à Roerich! Il se métamorphose et il rencontre Nehru et Indira Gandhi…

Avouez qu’on est loin du dandy de Saint-Pétersbourg, de Paris et de New York! Mais ce n’est pas tout!

En 1929, il crée « la Croix Rouge de l’art et de la culture », devenu le Pacte Roerich en 1935 qui servit à l’établissement de la Convention de La Haye sur la propriété culturelle et artistique. Il est pour cela nominé pour le Prix Nobel de la Paix. L’UNESCO s’en inspire pour sa « Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé », d’actualité devant les exactions de DAESH notamment…

Sa bannière de la paix qu’on retrouve dans nombre de ses tableaux:

Vous n’êtes pas au bout de vos surprises, une dernière car cet homme a des ressources insoupçonnées! Roerich est à l’origine de l’inclusion sur le dollar américain de la Grande Pyramide surmontée de l’œil de la Providence…

Nous voilà à la fin d’un voyage des plus étonnants, n’est-il pas, avec ce sacré Nicholas!