Au début, il y a quatre cadors: Louis, Charles, André et Jean-Baptiste.
André et Louis possèdent des agences sur Paris et travaillent dans toute l’Europe: l’un est spécialisé dans la création de jardins, l’autre dans les techniques de construction. Jean-Baptiste, lui, porte le surnom d’humaniste des jardins potagers. Quant à Charles, il dirige l’Académie royale de peinture et de sculpture. Une solide amitié les lie, une profonde amertume aussi, tant et si bien qu’ils se sont baptisés secrètement « les Compagnons de Vaux », en hommage au surintendant Fouquet qui eut le génie de réunir leurs talents.
Mais depuis le 17 août 1661, ils tremblent d’être entraînés dans la disgrâce décrétée par Louis XIV.
Le Roi, dans la fougue de ses 22 ans et sous les insinuations perfides et répétées de Colbert, foudroie l’Ecureuil pour laver l’humiliation supposée. Cependant dans la découverte de la perfection du château de Vaux-le-Vicomte et de ses jardins, le grand bâtisseur qui sommeille en lui sait reconnaître le génie de Louis Le Vau, de Charles Le Brun, d’André Le Nôtre et de Jean-Baptiste de La Quintinie, nos fameux cadors! Il les épargne; mieux, il les engage pour transformer le pavillon de chasse à l’abandon de son père à Versailles en un lieu calme et confortable où il pourra se reposer, donner quelques fêtes et satisfaire sa passion des jardins et jeux d’eaux.
Les jeux d’eaux…
Comme hydraulicien, Fouquet avait engagé Claude Robillard. Pour Versailles, Le Vau et Le Nôtre vont proposer au roi François de Francine avec lequel ils avaient déjà travaillé à Fontainebleau et à Saint-Germain.
Le quatuor amical devient alors le quintette de base dans la conception de Versailles. Les amis ne se quitteront plus, habitant des maisons contiguës afin de travailler ensemble jour et nuit au gré de leur inspiration et des volontés royales.
De ces cinq premiers concepteurs de Versailles, François de Francine est le moins connu, presque tombé aux oubliettes. Aucun portrait de lui. Et pourtant que n’admire-t-on pas encore aujourd’hui les Grandes Eaux, son chef-d’oeuvre !
D’où vient-il et qui est-il?
Les membres de la famille Francini sont originaires de Toscane et ont travaillé en tant que fontainiers pour les Médicis qui les anoblissent. Tommaso Francini est appelé en France par Henri IV pour les travaux du château de Saint-Germain-en-Laye. Il est aidé par son frère Alessandro sur le château de Fontainebleau. Ils se spécialisent dans l’édification de grottes et leur ornementation par des jeux d’eaux d’automates. On leur devrait également d’autres réalisations comme la fontaine des Médicis dans le jardin du Luxembourg et l’aqueduc d’Arcueil. La famille naturalisée, ils se nommeront dorénavant Thomas et Alexandre Francine puis de Francine, Marie de Médicis ayant confirmé lors de sa Régence leur petite noblesse italienne.
François (1617-1688) est le fils de Thomas. Son terrain d’expérimentation sera les jardins de Versailles. Il devra dès le début se battre contre une difficulté récurrente : amener suffisamment d’eau. Il installera notamment de grands réservoirs souterrains, des moulins à vent, des pompes et une fonderie, afin de produire les premiers tuyaux en fonte permettant un transport plus performant que ceux en bois ou en plomb habituellement employés. À lui le plus haut jet d’eau de l’époque (27 m). Au fil du temps et des monarques, bon nombre de ses réalisations ont disparu (comme la fameuse grotte de Thétis animée par un orgue d’eaux qui imitait le chant des oiseaux) ou ont été remaniées.
Cette « bataille de l’eau », avec en toile de fond la lente et incessante élaboration de Versailles, nous est racontée dans le livre de Jean Diwo, La Fontainière du Roy. C’est Clémence, la fille (inventée) de François de Francine qui va nous servir de guide. Elle aime se baigner à la nuit tombée dans les grands bassins du Jardin, elle manie les clés-lyres pour ouvrir et fermer les vannes, elle est chargée par son père de siffler discrètement lors du passage du roi devant une fontaine afin de transférer l’eau vers la suivante, donnant ainsi au monarque l’impression que tout fonctionne en même temps, elle est paternellement aimée par Le Nôtre qui souffre d’avoir perdu tous ses enfants…
Avec elle, on découvre la grande aventure architecturale, le développement de la vie à la Cour, l’activité guerrière et diplomatique, la vie quotidienne d’une famille de toute petite noblesse, quasi roturière. La condition de la femme également car Clémence a une sacrée personnalité! On y rencontre Jean de la Fontaine et Madame de Sévigné qui resteront fidèles à Fouquet, Molière, Lully, les favorites successives et bien plus encore…
Tout cela est écrit dans une langue d’aujourd’hui, dans un style agréable avec un allant de grande saga d’autant que notre « Ondine » vivra d’autres aventures dans un second livre narrant une grande réalisation de Louis XIV aujourd’hui disparue…(ce sera pour un prochain post!) Grande rigueur historique également puisque l’auteur indique en notes de bas de page les documents consultés.
Ce premier volume a le mérite de remettre en lumière ce François de Francine, injustement oublié! Pour ma part, ce fut une véritable découverte. Ci-dessous, le square des Francine à Versailles, construit sur l’ancien abreuvoir à chevaux… Une rue porte aussi le nom de Thomas Francine dans le 14ème arrondissement de Paris.
Pour en connaître un peu plus sur Versailles, ce superbe site: www.chateauversailles.fr
Jean DIWO, La fontainière du Roy, J’ai lu n°5204
Bonne lecture et bonnes découvertes!