Explosion de couleurs, de senteurs et de goûts. Sans oublier « l’accent » comme disait Gilbert Bécaud dans ses Marchés de Provence… Intemporelle, cette chanson ! Et avec B.B…
Nos marchés à nous, nos chouchous, c’étaient celui de Vaison-la-Romaine, le mardi et celui de Carpentras, le jeudi. On n’y achetait pas la même chose. À Vaison, le poisson, les épices, les picodons et les faisselles de chèvre, le pain rustique et les fruits. À Carpentras, le miel, les légumes, la tapenade et l’anchoiade, le poulet fermier rôti… À Vaison, il y avait aussi trois superbes étals de livres ; à Carpentras, les beaux tissus et les fleurs! Après le marché à Vaison, on se prenait un petit pastis au Bar à Thym et on rentrait a casa ou on allait pique-niquer dans les dentelles de Montmirail et on repassait dire bonjour aux amis à la cave coopérative de Gigondas. À Carpentras, on mangeait toujours au Malaga et on rentrait par Beaumes-de-Venise ou Vacqueyras, ou encore on faisait le détour par Orange et les amis de Chateauneuf-du-pape… Que du bonheur!
Ces marchés, quel plaisir de les fréquenter au printemps et à l’automne, les commerçants avec les années étant devenus des copains qui saluaient avec chaleur amicale notre venue. En été, c’était autre chose. Fournisseurs débordés, on se saluait simplement par une clignette entendue (pour nous) et un « peuchère! » survolté (pour eux). C’était fou comme les marchés avaient aussi gonflé de toutes sortes d’échoppes attrape-touristes et de marchands flirtant avec les bordures de l’honnêteté… Ah! cette merveilleuse roue de comté qui avait fait de l’oeil à mon homme en plein cagna… Un morceau, monsieur? ben oui, un p’tit pour deux et hop, on se retrouve délestés de 25€. Difficile de rechigner au milieu d’un cercle de clients dégustant béatement les petits morceaux d’un fromage effectivement délicieux…
Qu’en avons-nous ri ensuite, de cette anecdote ! On s’était fait avoir comme des bleus…
La Provence, ses marchés et tout le bonheur qui allait avec sont, pour un quatrième été, bien loin. Mais rangeant hier « quelques » livres, je suis tombée sur celui-ci. Philippe Delerm, je l’adore, on trouve toujours dans ses courts écrits une madeleine de Proust, un baume un rien nostalgique mais optimiste, ça croque la vie!
Je feuillette et ô merveille, « Y a un peu plus, je laisse? » apparaît! Je lis avec gourmandise et oui, la madeleine de ce cher Marcel a marché et m’a inspiré ce post!
Pas mauvaise fille, je partage le texte!
Parfois c’est seulement « y a un peu plus ». Mais même alors, le « Je laisse? » est sous-entendu, y compris la montée interrogative. le commerçant est devant sa balance, le regard rivé à l’écran, comme un prêtre à l’offertoire, candide et concentré. Il s’est donné du mal pour satisfaire vos désirs avec exactitude ; au milieu de quelques phrases enjouées, son sérieux est devenu légèrement ostentatoire. Pas si simple de jouer devant lui le rôle du pointilleux, non j’avais dit une livre, je n’en veux pas davantage. Bien sûr, on pourrait surjouer l’amabilité de ton pour compenser la rigueur des propos, vous seriez gentil de m’en enlever un peu s’il vous plaît. Mais on le sait. On est coincé. De toute manière, on en serait réduit à jouer le rôle du casse-pieds, et ce serait tellement peu dans la note, l’effervescence bon enfant du marché, la bonhomie de ce rapport humain que vous êtes venu chercher ici. Car vous avez un cabas à la main, ou un panier, pas un caddie. Vous n’arpentez pas des couloirs symétriques ; vous déambulez, le nez en l’air, sourire aux lèvres. Vous ne remplissez pas vous-même des sacs de plastique difficiles à ouvrir. Il vous faut un officiant ; la qualité du rapport que vous entretenez avec lui est l’essence de ce commerce authentique et déclinant dont vous vantez les mérites – moi, j’adore faire mon p’tit marché.
Alors il faut laisser, bien sûr, et même davantage. Manifester par votre attitude que vous ne soupçonnez pas le marchand de mauvaise foi, même si vous gardez pour vous quelques idées dont l’aigreur n’est pas de mise, c’est curieux, il n’y a jamais moins, depuis le temps qu’il pèse ses haricots, il doit commencer à maîtriser son truc, à cinq euros le kilo, il ne s’embête pas. Mais le regard s’est détaché de la balance. Pour prolonger sa déférente interrogation, il plonge dans vos yeux. Vous faites semblant d’y lire la fraîcheur du maraîcher, non la rouerie du commerçant. Des clients attendent à vos côtés, vous savez bien ce que le public espère. C’est l’heure de la jouer grand seigneur, avec une infime réticence qui vous sauve à vos propres yeux, je ne suis pas dupe mais je connais mon rôle. Une moue approbative des lèvres, une oscillation approbative du chef, un battement de paupières. « Ça ira. »
Philippe DELERM, Ma Grand-mère avait les mêmes, les dessous affriolants des petites phrases,
Le goût des mots, Points
Goûtez Philippe Delerm, savourez-le à petites doses délectables, comme de succulentes et subtiles verrines!
Un article dans mon précédent blog sur toute la famille Delerm! (copiez le lien dans votre navigateur):
http://tempolibero.skynetblogs.be/archive/2011/11/index.html
Bonne lecture, les amis!