Je ne remercierai jamais assez mon amie Marga de m’avoir emmenée il y a bien longtemps au rayon « romans policiers » de la Fnac et de m’avoir conseillé la lecture des Enquêtes de Nicolas Le Floch par Jean-François Parot.
Les romans policiers, j’avais coincé le curseur aux Maigret, mes parents s’en délectaient et m’enjoignaient de partager leur passion. Vainement.
Ainsi donc il existait des romans policiers historiques? Certes, le genre n’avait pas encore la vitalité et la diversité d’aujourd’hui (je suis fan depuis notamment des deux soeurs Claude Izner, de Michèle Barrière, d’Adrien Goetz et de Frédéric Lenormand).
« Achète le premier, me dit Marga, tu aimeras et tu dévoreras la suite ». La prédiction se révèle exacte encore aujourd’hui pour elle comme pour moi, une véritable passion pour les professeurs de français et d’histoire que nous fûmes!
Qu’aimons-nous tellement au fil des treize enquêtes menées par Nicolas le Floch, commissaire de police du Châtelet, département des Enquêtes extraordinaires?
La découverte par le menu de la seconde partie du XVIIIème siècle (les dernières années du règne de Louis XV et celui de Louis XVI), le temps de l’Encyclopédie et la mutation des Idées, la lente et inexorable marche vers la Révolution, un Paris moyenâgeux fascinant et pourtant puant, fangeux…
Jean-François Parot, en parfait historien érudit, y dépeint une société en pleine déliquescence, un pouvoir tétanisé par la crainte des attentats, des mouvements de foule et de l’espionnage, les luttes d’influence à Versailles, les guerres contre les Anglais, les alliances européennes, la naissance des États-Unis, quelles visions de l’Ancien Régime! Tout cela au gré d’intrigues policières passionnantes.
Le succès littéraire fut tel que la chaîne France2 décida d’en faire une série télévisée.
Les personnages prenaient alors des visages. Le choix des acteurs fut tellement adéquat que pour tout lecteur aujourd’hui, ils l’accompagnent immanquablement. On les voit en lisant !
Nicolas, Sartine, Noblecourt, Semacgus, Bourdeau et Sanson, La Borde, la macrelle Paulet…
Voilà les personnages récurrents dont la vie et la psychologie vont évoluer pendant ces plus de 25 ans d’histoire. Il y aura aussi des femmes : Antoinette et Aimée, les favorites de Louis XV et Marie-Antoinette, Marion et Catherine…
Même si on peut par certains aspects le rapprocher de d’Artagnan et de Fanfan La Tulipe, Nicolas n’est pas un héros sans peur et sans reproche. Enfant trouvé et recueilli en Bretagne, il a la hantise de ses origines. Il refuse un titre de noblesse mais se hérisse parfois face aux attaques républicaines de son cher Bourdeau. Il aime passionnément deux femmes mais est peu fidèle à l’une comme à l’autre. Avec l’âge, le panache fera place à l’introspection, même parfois à certains épisodes de franche dépression.
Louis XV puis Louis XVI le mettront en exergue, veilleront sur lui, la raison en sera élucidée dans la treizième enquête, la dernière parue, et nous sommes alors en 1786. La Révolution est bientôt là, comment la vivra-t-il? Y survivra-t-il? Je ne vous dis pas, les fans dont je suis sont tendus…
L’époque et le héros sont, vous le comprenez, terriblement attachants.
Attention aux candidats lecteurs: il faut lire les livres dans l’ordre. Chacun est très daté historiquement par l’intrigue construite autour d’un événement historique réel, mais aussi psychologiquement pour les personnages.
Il est temps de faire le point avec l’écrivain… Jean-François Parot, ancien brillant diplomate.
J’ai tout lu au fil des parutions et je profite de ces vacances immobiles et fades pour tout relire d’un bloc.
Certes il y a l’intrigue mais très vite pour ma part, elle devient presqu’accessoire. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est le contexte historique : la langue, la cuisine, Paris… Ça va faire l’objet de différentes chroniques. Vous n’êtes pas sortis de l’auberge!
J’avoue que celle-ci était en gestation depuis longtemps mais la conférence-cours d’hier avec Monsieur Onkelinx sur le Platée de Rameau m’a donné l’envie de la concrétiser.
La question : la langue du 18ème siècle finissant.
Cette langue, de Beaumarchais et de Marivaux, elle est très présente dans l’oeuvre de Jean-François Parot. Il la reconstitue à merveille à petite dose, à bon escient, avec des formules imagées qui enchantent l’amoureu(se)x de la langue française. Un lexique organisé par chapitre vous attend à la fin de chaque volume si nécessaire.
Un petit extrait de L’homme au ventre de plomb (qui commence avec la représentation des Paladins de Rameau justement):
« Comment, vous ignorez que votre suicidé a un frère cadet? Je vous l’apprends donc. Le vidame de Ruissec a été de tout temps promis à la tonsure, sans que jamais son père n’ait consulté son goût ni sa vocation. Frais émoulu du collège, il essuya toute une litanie de persécutions et n’eut bientôt d’autre choix que de se jeter au séminaire pour échapper aux obsessions paternelles. Rien n’est définitif, ce n’est qu’un petit collet qui n’a reçu encore aucun ordre. Séduisant et séducteur il n’a, par ses paroles et par ses actes, jamais cessé de marquer son aversion pour l’état ecclésiastique qu’on lui veut faire embrasser. Eh! foutre, je le comprends. On le dit libertin à l’excès, il y met sans doute un peu de provocation. il aurait des inclinations vicieuses et cet étourdi sans principes aurait recours à des procédés violents et à des démarches aussi contraires à l’honneur de son nom qu’à une simple décence de l’habit qu’il porte. »
C’est très compréhensible mais avec ce qu’il faut de désuet, et parfois de sens dévoyé par rapport à notre français moderne.
De cette langue, que nous en dit Jérôme Robart, Nicolas Le Floch à l’écran qui dut « se la mettre en bouche »?
Pas vraiment celle du XVIIIe, elle a le charme d’une langue musicale aux formules obsolètes. « Auriez-vous l’outrecuidance? », « Le bruit a couru qu’il se serait ensauvé du bagne de Brest », « La vérité est chose mobile et variable »… Autant de formules jubilatoires pour des dialogues épicés, dans une langue quasi morte et pourtant si vivante. a-t-on dit fort bien par ailleurs.
Une jouissance de plus pour la passionnée de linguistique que je fus pendant mes études…
Oh oui, Nicolas, on t’aime!
La cuisine du XVIIIème, ça vous dit?
Des trucs insensés, nos cuisiniers les plus déjantés n’ont rien inventé!
À la prochaine!