Il est communément admis que Richard Wagner a composé 13 opéras : Die Feen, Das Liebesverbot, Rienzi, Der Fliegender Hollander, Tannhäuser, Lohengrin, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nurnberg, Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Gotterdamerung (la Tétralogie ou Ring des Nibelungen) et enfin Parsifal.
Mais le legs wagnérien ne se limite pas à cela puisque le catalogue WWV contient 111 oeuvres : des opéras, des sonates, des pièces orchestrales, des pièces chorales, des lieder (parfois sur des textes français), des arrangements d’oeuvres, des drames sans musique.
Revenons à l’opéra, ou plutôt à la musique de scène. On dénombre 27 oeuvres achevées ou restées en chantier.
Éliminons les 13 opéras connus cités plus haut.
Il en reste 14.
Certaines sont restées au stade du livret (puisque Wagner les rédigeait), d’autres ont été composées en partie, d’autres encore ont vu leurs partitions perdues.
1 | Leubald | 1827- 28 | Sur des thèmes de l’oeuvre de Shakespeare. Une version du texte existe, mais pas de partition. |
6 | Die Laune des Verliebten | 1829-30 | Sur une pièce de Goethe. Plus aucune trace du livret et de la partition. |
31 | Die Hochzeit | 1832 | Sur une histoire de J.G.G. Büsching. Joué à Leipzig en 1938 |
40 | Die hohe Braut | 1836-42 | Livret de Wagner, joué à Prague en 1848 , mis en musique par Jan Bedrich Kittl sous le titre de Bianca et Giuseppe. |
48 | Männelist grösser als Frauenlist, oder Die glückliche Bärenfamilie | 1839 | Basé sur un conte des Mille et une nuits. Livret complet mais pas la partition. Joué en 2007 à Londres. |
66 | Die Sarazenin | 1841-42 | Livret basé sur le Manfred de Lord Byron. Pas de musique. Jamais représenté |
68 | Die Bergwerke zu falun | 1842 | Sur une histoire de E.T. HOffmann, jamais représenté |
76 | Friedrich I | 1848-49 | Projet sur Frédérick de Prusse. Pas de livret ni de musique. |
80 | Jesus von Nazareth | 1848-49 | Livret en prose, certains éléments ont été utilisés pour Parsifal. |
81 | Achilleus | 1848-49 | Livret en prose, pas de musique. |
82 | Wieland der Schmied | 1849-50 | Livret en prose refusé par Berlioz et Liszt. |
89 | Die Sieger | 1856 | Livret en prose pour un opéra sur un sujet bouddhiste. Des éléments musicaux ont été utilisés pour d’autres oeuvres. |
99 | Luthers Hochzeit | 1868 | Livret à propos du mariage entre Martin Luther et Katherine von Bora. |
102 | Ein Kapitulation | 1871 | Farce lors du siège de Paris en 1870. Wagner tenta sans succès de le faire mettre en musique par Hans Richter. |
Passé les polémiques engendrées de l’emploi de l’oeuvre de Wagner par l’idéologie nazie et les réticences sur la conduite d’un homme parfois sans scrupules, on doit admettre la richesse musicale et philosophique léguée.
Il faut souligner sa profonde connaissance de la philosophie de Schopenhauer et son intérêt pour le bouddhisme, découvert grâce à Mathilde Wesendonck. Son oeuvre ultime, Parsifal, dépeint parfaitement tout cela.
Mais jusqu’à sa mort, Wagner songea à un opéra sur un sujet bouddhiste. En 1856, il rédige un synopsis « Die Sieger » (les Vainqueurs) basé sur un récit découvert dans l’Introdution à l’histoire du bouddhisme indien d’Eugène Burnouf.
Prakriti, une jeune fille indienne de la plus basse extraction, brûle d’un impossible pour Ananda, un proche de Bouddha. Elle ne pourra vivre auprès de son amant qu’en entrant dans son ordre religieux et en faisant voeu de chasteté. Renoncement au monde comme rédemption, l’histoire de Prakriti et d’Ananda est également une métaphore de l’inégalité entre les hommes et les femmes.
Wagner tentera jusqu’à la toute fin de sa vie de concrétiser ce projet, en vain. Le mardi 13 février 1883, une violente dispute avec Cosima à propos de l’invitation faite à Carrie Pringle (l’interprète d’une des filles-fleurs de Parsifal) de venir les retrouver à Venise, provoque une crise cardiaque qui emporte le compositeur.
Jean-Claude Carrière, adepte du bouddhisme, et le compositeur Jonathan Harvey ont, début des année 2000, construit l’argument d’un opéra, « Wagner Dream « , mêlant les derniers instants de Wagner et les éléments de Die Sieger. Une illusion-révélation « le temps d’un battement de paupières » ou encore « le temps immobile du dernier soupir ». Jonathan Harvey, compositeur notamment de Bakhti, veut ainsi mettre en scène l’ultime vision de Wagner à l’instant de sa mort et cette vision serait tout simplement cet opéra bouddhiste qu’il n’a pas écrit.
L’oeuvre fut créée à Luxembourg en 2007 puis enregistrée et disponible en CD.
« La partition est somptueuse. Les passages entre le théâtre et la musique, la parole et le chant, le temps historique confié aux acteurs et le rêve confié aux chanteurs coulent avec naturel, l’électronique « live » réalisée à l’IRCAM par le compositeur et Gilbert Nouno est d’une justesse jamais atteinte encore dans le domaine de l’opéra, ce qui incite l’auditeur à se laisser porter au cœur de l’espace sonore qui l’enveloppe et ne cesse de le surprendre, se disséminant furtivement dans la salle. Ce qui est malheureusement aplani par le remarquable enregistrement produit par Cyprès (1), capté à Amsterdam en juin 2007 mais forcément réduit à la seule stéréophonie. Tout en évitant citations et pastiche, la musique extrêmement raffinée et aux harmonies chatoyantes, extraordinairement élaborée et d’une expressivité foisonnante qui réussit le miracle de fondre l’ombre de Wagner à travers celle de l’un de ses héritiers les plus marquants, Gustav Mahler, et les parfums de l’Orient à la pure créativité de Harvey, envoûte dès les premières mesures pour ne plus lâcher l’auditeur quatre vingt dix minutes durant. »