Quadrilatère historique

Nous croyons tous tellement bien la connaître! À chaque visite bruxelloise, nous ne pouvons pas nous empêcher d’aller la saluer, la contempler, l’admirer : la Grand-Place.

Et pourtant, elle connut bien des vicissitudes, bien des meurtrissures jusqu’à ce que le bourgmestre Charles Buls (1837-1914) vienne enfin à son secours contre l’avis de beaucoup de ses contemporains.

Elle nous apparaît aujourd’hui comme un écrin doré chargé d’histoire et d’histoires teintées parfois d’ésotérisme. C’est ce que nous fit découvrir un guide passionné et passionnant sous l’angle de l’alchimie. Pendant deux heures, nous avons tourné sur cette place et scruté bien des maisons et des détails insoupçonnés !

Place du Grand-marché jusqu’en 1959 (elle s’appelle toujours en flamand « Groote Markt »), elle fut également le lieu des basses-oeuvres de l’Inquisition qui y installa son bûcher contre les Hérétiques et le lieu de la décapitation en 1568 des comtes d’Egmont et de Hornes sur ordre de Philippe II.

À seigneur tout honneur, nous démarrons de l’hôtel de ville, seul réel rescapé de la place moyenâgeuse. Si dès le XIIIème siècle, on fait mention de quelques maisons commerçantes entourant le marché, c’est au XVème que l’on décide de construire cet édifice en pierre de style gothique notamment sur l’impulsion des Bourguignons et de Charles le Téméraire. Édifié en deux étapes, ce qui explique que la flèche de 96 mètres ne soit pas au milieu : 12 arcades d’un côté, 7 de l’autre (beffroi compris). Serait-ce là un témoignage de l’alchimie humide et de l’alchimie sèche ? Le chiffre 7 est d’ailleurs très présent sur la Grand-place (dont 7 rues)… Sa cour intérieure est élégante, les colonnes et chapiteaux des arcades relatent de nombreuses scènes de vie dont des musiciens…

En cliquant sur les photos, vous pouvez les voir en plus grand !

En 1695, Louis XIV s’empare de la ville, la fait bombarder et raser. Les maisons entourant le marché étant toutes en bois, elles partent en cendres. Seul reste debout l’hôtel de ville en pierre dont la flèche servait de point de repère aux artilleurs… Les maisons moyenâgeuses font alors rapidement place à des constructions en pierre de style classique et baroque.

Depuis l’hôtel de ville, nous avons tourné dans le sens des aiguilles d’une montre et nous sommes arrêtés devant les maisons et bâtiments signalés par des points rouges sur ce plan.

Nous partons donc tout d’abord du coin de la rue de la Tête d’Or vers la rue du Beurre.

La maison du Renard (7) est surplombée par une statue de Saint-Nicolas, patron des merciers et décorée à son 2ème étage par quatre statues de femmes représentant les continents connus à l’époque dont une somptueuse négresse personnifiant l’Afrique.

La suivante, celle du Cornet (6), abrite aujourd’hui un magasin « Magritte ». C’était la maison de la corporation des bateliers. Son sommet rappelle la proue d’un navire de l’époque…

Après celles de la Louve (5), du Sac (4) et de la Brouette (3), voici celle du Roi d’Espagne (1,2). Érigée en 1696, elle fut entièrement reconstruite en 1901. On y voit Saint-Auber (le patron des Boulangers), le buste du roi d’Espagne Charles II entouré de ses deux principaux ennemis vaincus: les Arabes et les Amérindiens. Au sommet, la trompette de la Renommée. L’ensemble ne perd rien de son charme la nuit… (les photos de nuit ont été prises lors d’une visite en janvier 2019)

De la rue au Beurre à celle de la Colline, il y aura de part et d’autre de la Maison du Roi quelques arrêts devant la maison du Paon (35), celle du Pigeon (26-27 qui accueillit Victor Hugo), celle d’Anne (siège des pralines Godiva) et celle du Cerf « volant » ou cerf-volant (20), on comprend pourquoi! Référence à l’Oeuvre au Noir et évidemment à Marguerite Yourcenar et à son héros Zénon.

À l’origine une halle en bois où l’on vendait du pain (Broodhuis), la Maison du Roi est reconstruite en pierre à l’époque de Charles-Quint. Celle que nous voyons aujourd’hui date de 1873 en style néo-gothique, érigée selon les préceptes de Viollet-le-Duc.

Dernier angle de la place. On y trouve la Maison des Ducs de Brabant, en réalité 7 maisons de corporations en une seule façade… De la rue des Chapeliers à celle de Charles Buls, il y a notamment celle du Cygne (9) qui voit le congrès de fondation du Parti ouvrier belge en 1885. Karl Marx y écrit également le manifeste du parti communiste. Également celles de la Fortune et de l’Ermitage (15 et 14). La dernière sur l’arcade, l’Étoile, est démolie pour faire passer un tramway à cheval puis reconstruite en 1897. Elle donne accès à la statue d’Everad’t Serclaes qui apporterait la chance lorsqu’on lui caresse le bras !

Voilà terminé le tour de ce que nous considérons aujourd’hui comme un joyau, inscrit au patrimoine universel de l’Unesco depuis 1988. On en a plein les mirettes !

Pourtant, après les ruines fumantes sous Louis XIV et la reconstruction immédiate, la place subit les assauts des Révolutionnaires sans-culotte qui coupent ou cassent notamment toutes les têtes des statues. Les maisons sont ensuite badigeonnées et enduites selon la mode de l’époque, laissées parfois à l’abandon et sans dorure : c’est ce que montrent les premières photos de la fin du XIXème siècle.

C’est, comme dit plus haut, le bourgmestre Charles Buls qui décide à la toute fin du XIXème siècle, d’une grande campagne de rénovation de cet ensemble hétéroclite de constructions des XVème, XVIIème et XIXème siècles. En bon libéral (et franc-maçon), il en fait un témoignage laïc et politique contre l’Église.

N’ayant subi aucun dégât important pendant les deux conflits du XXème siècle, on lui refait un total look pour accéder à la prestigieuse liste de l’Unesco et depuis, elle fait l’objet de campagnes de rénovation très soignées et programmées.

Quelques photos du début du XXème siècle et puis la dernière datée de 1959, et on est abasourdi de l’état de la place : un vaste parking et des maisons bien sombres alors que Bruxelles venait d’accueillir l’Expo universelle de 1958…

Vive notre époque pour la mise en valeur de ce patrimoine inestimable de Bruxelles!