Toute ressemblance…

Le monde est en émoi devant les destructions perpétrées par les fous de Daech. Notre rapport d’occidental à l’art et au patrimoine nous fait nous révulser face à ces iconoclastes. Et pourtant beaucoup de nos ancêtres eurent la même réaction : pensons aux crimes de l’Inquisition et à ses autodafés,  à l’anéantissement des civilisations précolombiennes par la même autorité catholique. Plus près de nous, et avec des convictions tout à l’opposé, les Révolutionnaires français anéantirent bien des châteaux, des églises, étêtèrent statues de rois et de saints. Je vous l’accorde, il y a tout de même 225 ans. Depuis en Europe…

Les participants à la nouvelle émission de Franz Olivier Giesber « Les grandes questions » il y a quelques semaines faisaient le parallèle entre le régime nazi et l’Etat islamiste et en arrivaient à l’expression d’islamo-fascisme. Démonstration sans faille : mêmes méthodes face aux intellectuels rebelles, aux minorités, à la liberté d’expression, à l’art.

Drittes-Reich.jpegCar oui, revenons à l’art et à son anéantissement barbare. Il fut une époque dans l’histoire européenne que les plus anciens d’entre nous ont encore connue : la fin des années 30. En plein XXème siècle, Hitler introduit la notion d’art dégénéré dans les arts plastiques (tout comme en littérature et en musique). Dès 1935, Julius Streicher, le maire de Nuremberg, organise une première exposition sur ce thème. Une deuxième plus importante est organisée à Munich en 1937.  Les oeuvres présentées sont mises en relation avec des productions de malades mentaux pour l’édification des visiteurs, les artistes maudits sont présentés comme des barbouilleurs dégénérés mais aussi de dangereux comploteurs voulant détruire l’art allemand en le contaminant sciemment par cette peinture décadente. Les musées allemands sont « nettoyés », cinq mille oeuvres auraient été détruites et brûlées. Mais Goebbels, amateur d’art et possédant à titre personnel des toiles de ces peintres,  convainc Hitler d’en sauver certaines et d’organiser des ventes aux enchères afin de pouvoir financer la guerre.

C’est ainsi qu’est mise sur pied la vente de Lucerne (terrain neutre) en 1939. Cent vingt-cinq oeuvres ( 108 peintures et 17 sculptures) réalisées par 39 artistes majeurs, provenant des musées allemands, s’apprêtent alors à être écoulées pour remplir les caisses du troisième Reich.

Mis au courant de l’opération, un groupe de Liégeois parvient à réunir l’équivalent de 5 millions d’euros et part à Lucerne avec l’espoir d’acheter dix oeuvres, parmi lesquelles des tableaux de Gauguin (Le sorcier d’Hiva-Oa), d’Ensor (La mort et les masques), de Picasso (La famille Soler), de Chagall (La maison bleue) et un auto-portrait de Van Gogh.

On pourrait s’interroger aujourd’hui sur la valeur morale d’une telle opération. Tout d’abord il y avait urgence à sauver ces oeuvres. Ensuite les participants venus d’Europe et d’Amérique firent un pacte : chacun révéla les tableaux qui l’intéressaient et tous décidèrent de ne pas surenchérir, les oeuvres seraient ainsi acquises au prix plancher réclamé par les nazis, pas un centime de plus. Un seul ne tint pas parole: un amateur américain qui surenchérit face aux Liégeois à propos du Van Gogh et qui emporta le morceau. Il s’agissait du premier tableau de la vente, les Liégeois ne voulurent pas trahir leur serment mais surtout ne pas envoyer un signal négatif pour la suite des événements… L’État belge était aussi représenté et acquit des tableaux pour les musées d’Anvers et de Bruxelles. La vente ne remporta pourtant pas le succès escompté par Goebbels, seules un peu plus de 80 oeuvres trouvèrent acquéreurs, certaines rentrèrent en Allemagne, furent détruites ou disparurent de la circulation, se firent oublier dans les réserves de musées ou atterrirent chez des  marchands d’art comme le tristement célèbre Gurlitt.

Depuis le mois d’octobre et jusqu’au 29 mars, une trentaine d’oeuvres rescapées de cette vente de Lucerne peuvent être admirées à la Cité Miroir dans l’exposition « L’art dégénéré selon Hitler ». La concrétisation de 12 ans d’efforts de l’université de Liège pour convaincre les musées étrangers de prêter ces oeuvres si précieuses.

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On peut y admirer les 9 tableaux liégeois, des tableaux bruxellois (pas tous car un musée de la capitale refusa le prêt…) et anversois (tous! merci, amis flamands!) mais aussi des oeuvres éparpillées dans le monde entier et qu’il a fallu retrouver. Puis pas le plus simple, convaincre les musées de les prêter! Il y a notamment ce tableau de Kokoschka « Tower Bridge », venant du Minneapolis Institute, un des clous de l’exposition car jamais prêté auparavant et sans doute jamais plus avant longtemps.

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Je vous conseille vivement de visiter l’exposition avec un guide (ceux de l’association universitaire Art et Fact sont excellents) car franchement,  il est bien difficile de comprendre à la vue de certaines oeuvres ce qu’on pouvait leur reprocher ! Ici, on découvre un tableau représentant des fleurs à la mode impressionniste, des sculptures d’inspiration chrétienne  (sur la photo ci-dessus à gauche), plus loin un tableau champêtre anodin, presque naïf. Les peintres juifs, communistes, expressionnistes, on l’imagine. Mais certains artistes avaient été soldats de l’armée allemande, héros parfois lors de la 1ère guerre mondiale, d’autres même étaient inscrits au parti. Alors? L’étiquette « art dégénéré » pour la production d’un artiste pouvait tout simplement provenir des fréquentations artistiques ou politiques que celui-ci avait eues dans sa jeunesse, parfois très longtemps avant l’apparition du nazisme, de l’ambiance dégagée par sa production…

imagesCAEDN3TY.jpegLa sanction était inéluctable: interdiction dorénavant de peindre. Certains réussirent à émigrer; Emil Nolde, lui, se tourna vers l’aquarelle et intitula ses productions « tableaux non peints ». 

Très intéressante également, la frise de toutes les oeuvres proposées lors de la vente de Lucerne. Celles qui furent achetées et leur localisation actuelle, celles qui furent acquises plus tard, celles qui ont disparu, celles dont on ne sait plus rien…

imagesCAM77T2P.jpegD’autres infos : http://www.citemiroir.be/sites/default/files/dp-final-fr.pdf

Voici les 9 tableaux de la vente de Lucerne qui font partie de la collection permanente du BAL (musée des Beaux-Arts de Liège). Dès qu’ils auront regagné le musée, vous pourrez même les admirer gratuitement tous les premiers dimanches du mois.

La Maison bleue de Chagall, La Mort et les Masques de Ensor, Le Sorcier d’Hiva Oa de Gauguin, Monte-Carlo de Kokoschka, Chevaux au pâturage de Marc, Portrait de jeune fille de Marie Laurencin, Cavalier sur la plage de Lieberman, Le Déjeuner de Pascin, et La Famille Soler de Picasso.

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Ainsi donc comme l’ont fait les nazis il y a 76 ans, les Islamistes détruisent pour l’endoctrinement des masses populaires et vendent pour financer leur course criminelle vers le pouvoir. Toute ressemblance… hélas!