Le vin et les femmes, quelle histoire étonnante !
Sans tomber dans certains excès actuels d’un féminisme parfois outrancier, on peut constater qu’autour d’un produit aussi célébré et mythique que le vin, se sont installées des dynamiques patriarcales qui ont eu la vie dure au (très) long cours! Cela daterait des Romains qui croyaient dur comme fer « qu’un sang chasse l’autre » selon un précepte de Pline l’Ancien. Par extension, cela associait le cycle menstruel féminin et le vin, sang de la vigne. Aussi les femmes furent-elles, pendant des siècles, interdites au chai, où leurs menstruations pouvaient faire tourner le vin !
Les tâches nobles de la viticulture étaient par tradition réservées aux hommes ; leurs épouses s’occupaient du commercial, de l’administratif, des douanes, des salaires, de la gestion des vendangeurs. Femmes de l’ombre. Vint ensuite, dans les années 2000, le concept de « vin de femme » qui mit en lumière, en dehors de ridicules réticences sexistes masculines, le bonheur et le succès des femmes vigneronnes ou sommelières qui prirent définitivement leurs places dans ce milieu machiste.
Et pourtant ! Des femmes viticultrices, il y en eut de fameusement célèbres dès le début du 19ème siècle. Souvent par nécessité dans un département haché menu par les guerres jusqu’à celles de 1870 et de 14/18, avec leurs générations entières d’hommes perdus : la Marne eut ainsi des dizaines de « Veuves de Champagne » vénérées sous ce nom. Quelles femmes ! Les deux premiers exemples :
Barbe-Nicole Cliquot-Ponsardin (1777-1866)



Cette fameuse Veuve Cliquot!
Née noble à Reims, cachée pendant la Révolution française, elle se marie en 1798 avec François Cliquot. À la tête d’une maison de champagne créée en 1772, celui-ci meurt en 1805. Tout en étant mère, sa veuve de 27 ans refuse de vendre les terres et s’entoure petit à petit de collaborateurs pour faire évoluer le domaine. Dotée d’un vrai nez, intelligente et audacieuse, elle devient la pionnière des produits de luxe : son vin de Champagne aura du style, une marque reconnue avec la désormais emblématique étiquette jaune, un marketing avec relations publiques efficaces partout en Europe faisant fi des guerres napoléoniennes puis du blocus anglais, ses bateaux naviguant sous pavillon américain… En 1814, elle envoie un navire chargé de sa production vers Saint-Pétersbourg, s’assurant ainsi le marché russe avant toutes les maisons concurrentes. La tzarine est enceinte : « ils boiront, boiront encore », promet-elle. Pouchkine devient fan et en parle dans sa pièce Eugène Oneguine. Mais elle ne s’arrête pas là : elle perfectionne une technique de remuage avec les râteliers obliques pour éliminer les sédiments et rendre le vin plus clair ; elle améliore la bouteille pour mieux résister à la pression ; elle invente le champagne rosé en assemblage de vin blanc et rouge. À elle également, l’idée du champagne millésimé. Mais quelle vie!
Autre femme emblématique : Jeanne Alexandrine Louise Mélin veuve Pommery (1819-1890)
Dotée d’une sérieuse instruction qui l’a conduite en Angleterre pour en revenir parfaitement bilingue, elle épouse en 1839 Alexandre Pommery. Ils deviennent propriétaires d’un domaine, ont deux beaux enfants lorsqu’Alexandre meurt soudain en 1858 d’une attaque cérébrale. À Jeanne de prendre les rênes, s’inspirant de l’illustre veuve Cliquot.



Elle a le génie du commerce ! De 50000 bouteilles, la production va passer à plus de 2 millions avec un cercle d’activités en Angleterre, aux États-Unis puis dans le reste du monde. Ce succès est dû à une de ses créations révolutionnaires. Le champagne était par tradition un vin relativement sucré consommé au dessert. Elle comprend que sa clientèle anglo-saxonne et nord-européenne préfèrerait un champagne plus sec, elle en fait donc une version « brut » qui deviendra dry et extra dry immédiatement célébrée dans le magazine anglais Vanity Fair.
Techniquement parlant, elle décide d’utiliser les crayères naturelles pour le stockage des bouteilles, reliant les différents puits naturels par de vastes tunnels, des escaliers et des rails de transports des paniers de bouteilles pour diminuer la pénibilité du travail.






En surface, elle fait construire un grand domaine à l’architecture et aux couleurs étonnantes d’inspiration anglo-saxonne. Tout y est moderne et parfaitement organisé.



Amatrice d’art, elle fait sculpter par Gustave Navlet dans les caves, un bas-relief représentant le satyre Silène versant du nectar dans une coupe. Elle acquiert également aux enchères les Glaneuses de Millet, en faisant ensuite don au musée du Louvre (aujourd’hui au Musée d’Orsay)


Son collaborateur Henry Vasnier, éminent collectionneur d’art et ami d’Émile Gallé, fait construire à Reims par l’architecte Louis Sorel, un hôtel particulier qui constitue l’un des exemples les plus éminents de l’Art Nouveau à Reims : la villa Demoiselle. En 1985, acquérant le domaine Pommery, Paul-François Vranken, bien connu chez nous, en donne le nom à une cuvée emblématique avec une bouteille du même style, et entame la restauration des lieux. C’est un joyau de l’architecture du début du XXème siècle, témoignage unique d’une collaboration entre l’architecte Louis Sorel, l’ensemblier Tony Selmersheim et le peintre décorateur Felix Aubert, unis par la même inspiration, entre Art nouveau et Art déco. Cela parle à un de chez nous, où ces styles architecturaux sont iconiques.





Après ces veuves, en vinrent bien d’autres tout au long de ce 20ème siècle qui n’épargna pas la région. À la direction de domaines renommés : https://fr.wikipedia.org/wiki/Veuves_de_Champagne
Mesdames, chapeau et une petite coupe à votre santé!
A votre santé Mesdames !
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